Volume unique par Vanyda, édité par Dargaud en janvier 2016, 170x240mm, 192 pages, 14,99€.
Deux ans après Un petit goût de noisette, Vanyda revient avec une nouvelle histoire complète, toujours chez Dargaud, Entre ici et ailleurs. Une BD qui s’intéresse à un sujet que j’ai pour ma part rarement vu traité, celui du métissage.
Coralie, 28 ans, vient de rompre avec son copain après sept ans de vie commune. Seule pour la première fois, elle tente de retrouver un équilibre dans sa vie. De nouvelles rencontres vont la pousser à faire face à des ressentis sur son identité mi-française mi-laotienne qu’elle a jusque-là peu explorés…
C’est un récit tendre, troublant et émouvant que Vanyda nous invite à partager.
Tendre car on ressent beaucoup de chaleur et d’amour entre ces divers personnages, au profil varié et plutôt finement développé, à partir d’un simple regard ou d’une petite phrase. On sent que les mots sont choisis sans pour autant faire faux dans la bouche de jeunes vingtenaires-trentenaires. Bien évidemment, Coralie est tout de suite attachante (l’empathie face à la fille qui galère dans son appart, forcément !) et dégage une vraie personnalité, une identité à laquelle justement elle doit finalement faire face, après des années sans s’être vraiment posée de questions.
Troublant et émouvant car Vanyda parvient à mettre les mots sur des ressentis complexes, sur des idées concernant justement ces questions d’identités. Questions qui ressortent énormément actuellement face à l’actualité mais qui sont en fait absolument fondamentales, tant au point de vue individuel – la construction de soi, l’appropriation de ses racines, l’héritage des parents – que global – face à toutes ces identités qui s’enchevêtrent, on gère comment, on se positionne comment ?
C’est évidemment nettement plus important que ce genre de récit soit le fait de personnes directement concernées : personnellement, en tant que blanche, je peux imaginer ou peut-être comprendre intellectuellement telle situation mais je ne pourrai jamais la vivre et donc la ressentir viscéralement, perdant forcément une part d’authenticité si je voulais la faire partager. C’est donc d’autant plus fort de retrouver ce questionnement et ce cheminement écrits par quelqu’un ayant les mêmes racines que son héroïne. Un cheminement fort qui interpelle sur ces notions fondamentales, habituellement rarement abordées car on préfère les planquer derrière un universalisme bien propre bien lisse qui a surtout pour conséquence d’effacer et de nier tout ressenti différent du ressenti blanc assimilé au neutre et à l’objectif (ce qui est évidemment complètement faux).
Ainsi, Entre ici et ailleurs met en scène une introspection de cette jeune femme prenant soudainement conscience de la force que ses racines laotiennes peuvent lui apporter, sans pour autant en faire une obsession, juste un questionnement pour avancer dans une vie qu’elle sent incomplète. Elle découvre la capoeira (art martial afro-brésilien), se lie d’amitié avec d’autres métissés plus ou moins avancés sur la question de leurs origines, et entreprend un retour sur elle-même, ses attentes, ce qui la rattache à ce qui l’entoure, les poids hérités de son histoire familiale forcément un peu chargée. Elle est d’ailleurs constamment confrontée à ces questions par les interrogations des autres qui ne cessent de lui demander d’où elle vient…
Sa relation amorcée avec une de ses nouvelles connaissances est d’ailleurs particulièrement parlante : il n’est pas méchant mais entre son petit paternalisme condescendant, ses allusions à l’exotisme ou ses potes dont les paroles bourrées de racisme latent ne le font pas réagir, on a là une belle description du gentil mec pas du tout conscient de ce qu’il transporte, totalement aveugle au mal qu’il peut faire.
D’autres personnages masculins sont tout aussi intéressants, mais dans un sens plus sympathique, que ce soit Kamel, l’ami véritable qui lui permet d’avancer au travers de leurs échanges, Axel le collègue qui lui fait prendre conscience de quelque chose de fort ou… non, lui je n’en parlerai pas.
La partie capoeira est également plutôt riche et bien amenée, joliment gérée, pas juste là pour faire “exotique”, justement.
Évidemment, on retrouve toujours le joli trait de Vanyda, des cadrages accrocheurs, une narration rythmée et sachant gérer les (nombreux) dialogues sans alourdir le propos. Et certaines pleines pages sans parole sont de toute beauté.
Avec ce nouvel opus, Vanyda continue d’agrandir et d’approfondir sa palette d’émotions, d’histoires, de personnages avec beaucoup de chaleur et de douceur. Son récit touche juste, avec élégance et finesse, et aborde beaucoup de sujets sans pour autant se disperser, parvenant à donner une cohérence à l’ensemble. Une belle tranche de vie, riche et profonde…
Je pense que c’est le récit que je tendrais à quelqu’un qui essaie de comprendre les discussions actuelles sur la diversité (bon ce serait aussi parce que c’est vachement bien). Non pas qu’il donne toutes les clés, mais il introduit plusieurs pistes de réflexion avec infiniment de douceur.
Je ne me suis pas attachée tout de suite à Coralie, que je trouvais un peu passive. Mais j’ai dû être un peu dure, normal d’être une larve après une rupture ^^” Et petit à petit, elle s’affirme et c’est cette partie que j’ai trouvé intéressante.
Le nouveau copain un peu trop protecteur m’a rappelé certains comportements vis-à-vis de l’« exotisme » 😀
Quant à Kamel, j’avais peur d’avoir un cliché, mais non, il est très intéressant.
Bref, j’ai été déçue par Un petit goût de noisette, mais Entre ici et ailleurs m’a relativement plu. Je trouve malgré tout (et dommage) que les histoires sur la double culture et les questions d’identité sont plus élaborées de l’autre côté de l’Atlantique (notamment pour tout ce qui est asiatique – je ne cherche pas à tout mettre dans le même sac, mais il y a une histoire et un continent communs). En France, ça me semble plus récent et donc plus balbutiant encore.
En France, on se la joue universaliste, et pas multiculturaliste. Ça ne pousse pas à s’interroger sur ces questions puisqu’il faut oublier sa culture d’origine pour “s’intégrer” et glorifier la culture française. Rien d’étonnant à ce que ce soit nettement plus développé dans les pays anglo-saxons…