Série en 2 tomes par Reiko Momochi, éditée en VF par Akata, en VO par Kodansha.
Sens de lecture japonais, 112x176mm, 180 pages, 6,95€.
Des mangas sur la bombe d’Hiroshima, on en a déjà, et pas des moindres, que ce soit Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa ou les œuvres de Fumiyo Kouno. Mais concernant la peur du nucléaire post-Fukushima, on commence tout juste à en voir arriver. Après Les cerisiers fleurissent malgré tout de Keiko Ichiguchi chez Kana où l’auteure faisait part de son horreur et désarroi face à la triple catastrophe, Akata nous propose Daisy – Lycéennes à Fukushima de Reiko Momochi.
Fumi habite Fukushima, à une soixantaine de kilomètres de la centrale du même nom. Un peu plus d’un mois après le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire du 11 mars 2011, elle revient pour la première fois au lycée, n’ayant jusque-là jamais osé mettre le nez dehors. Elle retrouve ses trois meilleures amies, Moé, Mayu et Ayaka et tente de reprendre une vie normale. Mais est-ce seulement possible dans de telles conditions ?
Les choses commencent classiquement. Une lycéenne retrouve ses « best friends forever » à l’école, celles avec qui elle a créé un groupe de musique, avec qui elle partage les rires, les coups de blues ou les coups de cœur, avec qui elle rêve d’avenir.
Oui mais voilà, rien ne sera plus jamais classique pour Fumi et tous les habitants de la zone. La catastrophe du 11 mars a non seulement enlevé des vies, ravagé des maisons, détruit des champs, des entreprises, elle a surtout libéré un démon invisible. On ne le sent pas, on ne le voit pas, cela le rend encore plus terrifiant. Les enfants ne peuvent pas sortir jouer dehors, tous craignent la moindre goutte de pluie, les décombres proches de la centrale ne peuvent être déblayés efficacement et à chaque instant, tout peut de nouveau basculer.
Si Fumi et ses proches se sont plutôt bien sortis de la tragédie initiale, l’épée de Damoclès radioactive qui plane au dessus de leurs têtes restent constamment dans toutes les mémoires. Et comme si cela ne suffisait pas, au delà des radiations qui s’insinuent partout, une autre menace, tout aussi invisible et larvée, gagne tout le Japon : rumeurs, préjugés, diabolisation… Au delà des encouragements de circonstance plus ou moins sincères, le reste du Japon ne sait quoi faire de cette région désormais sinistrée, de ses habitants potentiellement contaminés, de cette plaie béante qui leur rappelle à chaque minute leur arrogance, leur vulnérabilité, leur mortalité. Les agriculteurs voient leur travail réduit à néant, leurs récoltes rejetées même si les tests sont bons. Les touristes ne viennent plus, les auberges ferment. Les gens ont peur, les familles se déchirent, certaines partent et quittent tout, d’autres sont forcées de rester, la peur au ventre. Pour tous, c’est une nouvelle épreuve. Notamment quitter leur terre, leur ville, en ne sachant pas s’ils pourront revenir un jour en toute quiétude ou si leur belle région restera marquée au fer rouge pour les centaines d’année de vie des poisons radioactifs.
Plus de confiance, plus de joie, plus de rires, des villes entières détruites et abandonnées, des maisons vides qui finissent par pourrir sous l’assaut du temps… et les âmes de leurs anciens habitants elles aussi rongées tant par la peur du nucléaire que par le désespoir et l’hébétement face à l’inconcevable. Combien de vies frappées, écrasées, méprisées par une administration incapable d’assumer ses actes et leurs conséquences, préférant encore le mensonge et l’aveuglement pour tenter de sauver la face face au reste du pays, peu informé ?
Au milieu de tout ça, Fumi, sa famille, ses amies. Arrivant à un moment charnière, la fin du lycée, face au choix de sa suite d’études qui déterminera sa vie d’adulte, elle ne sait quoi faire. Elles avaient toutes des rêves plein la tête, impatientes de quitter leur campagne pour la grande ville, mais tout change quand elles comprennent qu’elles risquent de ne plus jamais pouvoir y revenir une fois parties, que tout risque de s’effacer définitivement si tout le monde fuit.
Reiko Momochi, dont le père était originaire de Fukushima, est allée sur place rencontrer les survivants et témoins de la catastrophe. Elle les a écoutés et a repris leurs mots, leurs peurs, leurs doutes, leur profond sentiment d’injustice face à la tragédie et au comportement hypocrite et peu lucide de leur gouvernement, refusant la moindre remise en question d’un modèle pro-nucléaire qui a pourtant largement montré ses failles.
La question n’est pas là de juger une situation extrêmement complexe, que ce soit les réfugiés à reloger, les besoins de décontamination des sols, le suivi de la santé des populations, les conseils de précaution (la situation étant inédite, on ne sait simplement pas ce qu’il faut faire), le stockage des matériaux hautement contaminés, le rejet des eaux potentiellement radioactives, la gestion d’une centrale en ruine toujours menaçante… mais de voir par les yeux des habitants, mis face à une situation qui n’avait jamais été envisagée. Au delà de tous les beaux discours restent la colère, le désarroi, la terreur, l’angoisse, le désespoir… et au fond de tout ça, peut-être un peu de lumière.
Car Daisy, s’il est un manga profondément touchant, émouvant, est surtout un manga lumineux. Au travers de la jeunesse de Fukushima, c’est toute une population qui aspire à se relever, reprendre les rênes de sa vie, et s’adapter à de nouvelles conditions tout en faisant en sorte d’apprendre de cette tragédie.
C’est même me semble-t-il très rare de voir parler politique dans un manga, surtout shôjo, et ici la question est abordée de front, sans doute de manière très idéaliste (ce qui est sans doute la démarche de certains parmi ceux qui se lancent dans la politique, espérons quand même qu’il n’y ait pas que des cyniques avides de pouvoir…). On est là face à une œuvre qui pousse à relever la tête et tenter de faire bouger les choses. Sans pour autant croire qu’il ne suffit que d’un peu de volonté pour combattre l’inertie générale.
C’est donc là un très beau manga, fort et émouvant, posant des questions au delà des frontières et des cultures, poussant à l’action face à l’immobilisme, au volontarisme face à la peur. N’attendons donc pas qu’une catastrophe nous tombe dessus pour comprendre…
ah! cette chronique me donne encore plus envie de le lire !! Faut absolument que je me procure ce titre