19 juillet 2021

[R] X-Day

Série en 2 tomes de Setona Mizushiro, éditée en VF par Asuka, en VO par Akita shoten.
Désormais disponible en un volume de 380 pages, 9,99€.
Chronique datant du 12/07/2005.

En janvier 2005, le tout jeune éditeur Asuka lance sa collection shôjo avec comme premier titre X-Day de Setona Mizushiro, mangaka alors inconnue en France devenant rapidement populaire au fur et à mesure de la parution de ses œuvres. Désormais dans le giron de Kazé Manga, elle continue de faire parler d’elle avec notamment Heartbroken Chocolatier.
Quand je pense aux jeunes mangaka que les éditeurs français nous ont fait connaître, quatre noms me viennent spontanément à l’esprit, parmi tant d’autres : Inio Asano et Tetsuya Tsutsui côté seinen, Mari Okazaki et Setona Mizushiro côté shôjo/ladies. Quatre découvertes frappantes et originales, chacune dans son style. Voilà pourquoi je reprends cette chronique de juillet 2005 sur Mangaverse.

xday01Rika, jeune lycéenne, ne supporte plus sa vie. Hier championne de saut en hauteur, un accident l’a contrainte à temporairement arrêter avant qu’elle ne se rende compte qu’elle ne pouvait plus reprendre cette activité. Puis son petit ami qui l’a quittée, sans qu’elle sache vraiment pourquoi, au profit de la jeune Kako, nouvelle coqueluche du club d’athlétisme.
La jeune fille, par ennui, finit dans la salle d’informatique du lycée et, sous le pseudonyme de “11”, fait sur un chat la connaissance d’autres élèves à qui elle propose, impulsivement, de faire disparaître le lycée. Si certains ne prennent pas ça au sérieux, trois personnes semblent prêtes à mettre ce plan à exécution…

Pour son premier shôjo, Asuka frappe fort en ne nous présentant pas un titre facile d’accès, bourré de guimauve et de petites fleurs. Mais au contraire, un manga assez noir, terriblement sensible, à fleur de peau, mettant en scène des relations humaines houleuses et difficiles particulièrement bien décrites prenant cœur dans notre univers quotidien.

Voici quatre jeunes gens qui connaissent un énorme mal de vivre. Tous, en apparence, ont une vie sans histoire.
Rika “11” était une championne remarquée de saut en hauteur avant une petite blessure mais elle est très entourée de bonnes amies et continue de sourire, même si son petit copain est allé voir ailleurs.
Kumihiko “Kin san” est un garçon de première très populaire et toujours souriant.
Le professeur Takano “Jangalian” semble être un homme respectable et entretient, dit-on, une liaison avec la fille du directeur.
Quand à Nanaka “Polaris”, c’est une fille sage et tranquille.

Pas d’ijime en vue (harcèlement psychologique et physique d’un élève par ses camarades), pas de chasse aux sorcières, rien de ce qu’on trouve souvent dans les shôjo mangas pour expliquer et légitimer parfois bien lourdement le mal-être des personnages. Après tout, l’ex-petit ami de Rika n’est qu’un gars ordinaire, pas spécialement plus salaud que ses congénères même si ce n’est pas l’honnêteté qui l’étouffe. Simplement un mec certainement aussi paumé que son ex et qui cherchait quelqu’un de plus facile à vivre pour se sentir exister au travers elle. Sa nouvelle copine n’a, elle, rien de la pouf de service, celle qu’on déteste au premier coup d’œil tant elle suinte la méchanceté et l’hypocrisie telle une Sae version Peach Girl, mais semble au contraire être une simple et joyeuse jeune fille. Bref, pas de personnage simpliste, fadasse et facilement catalogable à l’horizon.

Notre groupe de quatre n’est donc constitué que d’adolescents ou d’adultes tout ce qu’il y a de plus basiques, de plus banals, confrontés à un quotidien tout ce qu’il y a de plus classique.
Mais ils veulent faire sauter le lycée.
Caprice de gamins immatures, pourris gâtés, arrogants qui s’ennuient dans leur vie trop facile ? Bien au contraire.
Si certains connaissent des blessures bien plus profondes et traumatisantes que d’autres, tous ne font que subir leur vie, chaque jour plus étouffante, insupportable. Ce qui passerait aux yeux d’autres personnes pour des détails les enfonce à chaque fois un peu plus dans leur désespoir, leur faisant chaque jour perdre un peu plus pied face aux tracas du quotidien. Comme le dit Rika “Comment des choses aussi triviales peuvent-elles faire autant souffrir ?”.

Ainsi, on ne se retrouve pas face à un manga parlant avec légèreté et inconscience de sujets graves telles que le suicide ou le harcèlement, mais bien face à des personnages tout à fait lucides sur la prison d’absurdité qu’ils se sont eux-mêmes créés. Ils sont conscients de se laisser détruire petit à petit par des broutilles insignifiantes qu’ils n’ont simplement pas la force de dépasser. Se retrouvant alors prêts à en finir par épuisement face à tout ce qu’ils n’arrivent plus à assumer, à force de tromper leur monde avec leur masque tout sourire, comme si de rien n’était. Ayant l’impression de porter un fardeau de plus en plus lourd au milieu d’un univers qui les ignore. Un univers qui ne remarquera même pas qu’ils ne sont plus là. Un univers qui ne les aura jamais vus exister.

Se rendre compte de son état, de ses peurs et de ses faiblesses est une chose. Réussir à en tirer parti, à reprendre pied, à trouver en soi la solution pour se sortir de cet abîme en est une autre, bien plus difficile. Cela demande bien plus de force, de remise en question et surtout d’actes que personne d’autre que soi ne pourra inventer. Cela demande également à accepter les autres, accepter ce qu’ils peuvent apporter, ce qu’ils peuvent prendre. En bref, accepter la vie telle qu’elle est, sans fatalisme ni découragement mais avec lucidité et courage, même face à des broutilles.

Mais vouloir faire péter l’école parce qu’on est mal dans ses baskets, ne serait-ce pas exagéré ? Pas tant que ça, dans le sens où l’école représente pour ces quatre personnes une prison, l’incarnation de tous leurs problèmes, de cette société dont ils font partie sans réussir à y prendre véritablement part, là où tous les autres semblent si à l’aise. Ils projettent dessus toutes leurs peurs, tous leurs ennuis, tout leur désespoir. En la détruisant, ils pensent se défaire de tout ça, un peu comme dans ces fêtes où l’on brûle une grande statue de papier censée incarner le mal. Une sorte de feu purificateur. Une fuite en avant, un rejet de leurs erreurs et de leurs problèmes sur autrui. Détruire l’école, c’est se purifier, renaître à nouveau, tout recommencer à zéro en ayant effacé l’ardoise.

Mais sans qu’ils s’en rendent compte, cela leur donne également un but à accomplir, une raison de rester en vie. Ils se découvrent une force qu’ils ne se soupçonnaient pas, capables de prendre des décisions et d’avancer, d’agir au lieu de toujours subir. Un premier pas vers la fin du désespoir dans lequel ils se débattaient.
Là où d’autres finiraient par se faire bouffer par cette force auto-destructrice qu’ils ressentent, en se suicidant, en se droguant, en se niant, eux détournent cette auto-destruction vers la destruction du symbole de leur désespoir. Un premier pas vers l’adulte qu’ils doivent devenir ou assumer, avec ses qualités et ses défauts. C’est le passage obligé s’ils veulent pouvoir survivre et au final, vivre, en souriant non pas pour cacher leurs larmes ou leurs faiblesses mais pour faire rejaillir leur force, celle qu’ils ont tous et qui leur permettra d’affronter ce qui leur semblait si insupportable hier.

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Les choses sont dites avec énormément de finesse, d’intelligence et de subtilité. Tout est dit mais surtout est donné à ressentir au lecteur. On pourra bien évidemment y rester totalement insensible, n’y voir que jérémiades puériles de gamins immatures incapables de dépasser leur condition de nourrissons en manque d’affection, ne faisant que se plaindre et gémir en rejetant leurs faiblesses sur les autres, sans jamais oser leur dire en face. On pourra ne pas se sentir concerné le moins du monde par ces actes qu’on jugera excessifs en réponse à des broutilles de gamins. On pourra, bien évidemment… à moins de sentir quelque part peut-être comme un écho à nos propres interrogations présentes ou passées, à nos propres moments de doute, d’abîmes sans lumière et de désespoir face à une vie peut-être banale et sans relief mais également une vie sans danger que beaucoup nous envierait.
De plus, l’ensemble n’est ni lourd ni déprimant. Il y a même quelques petites pointes d’humour, quelques moments plus tranquilles, plus enjoués, ces petites touches du quotidien, anodines, qui s’avèrent être en fait la réponse à leur mal-être.

Les cinquante dernières pages du second volume sont occupées par une nouvelle, Le dernier repas. On change totalement de sujet puisqu’on y suit la naissance d’une amitié entre un jeune garçon et un veau, dans un monde futuriste où le bétail a désormais forme humaine. Bien sûr, on pourra arguer qu’on arrive à abattre le bétail justement parce qu’il n’a pas forme humaine et ne parle pas, mais l’objectif de la mangaka ne semble pas spécialement de partir dans cette problématique digne du premier volume de Parasite. C’est plutôt ce qui se noue entre le jeune garçon et son nouvel ami qui est intéressant, une relation qui prend toute son ampleur dans le final, sensible, ne jouant pas la carte du patho trop appuyé, pas si prévisible qu’on aurait pu le croire. Bref, une nouvelle qui n’abaisse en rien la qualité de l’histoire principale.

À partir d’un sujet assez casse-gueule, pouvant rapidement partir sur le mélo exagéré ou le sensationnel lourdement appuyé, Mizushiro parvient à nous dessiner le portrait de personnages banals, quotidiens, souffrant d’un mal-être exprimé avec sensibilité, subtilité et intelligence. Une bonne surprise, en fait !

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