Volume unique par Jade Sarson, édité en VF par Cambourakis, 173x240mm, 240 pages, 23,00€. Sorti en mai 2019.
Suivant de près les sorties de l’éditeur Cambourakis, je découvre la parution de cette BD anglaise, Pour l’amour de Dieu, Marie ! de Jade Sarson.
C’est l’histoire de Marie, jeune Anglaise élevée par un père très croyant et éduquée dans une école catholique. Mais Marie a surtout retenu une chose de la Bible : Aimez-vous les uns les autres. Et ça, elle l’applique avec énormément de zèle. Trop sans doute, dans l’Angleterre très puritaine des années 60, pas prête pour une femme aussi prompte à aimer son prochain…
Je connais principalement les éditions Cambourakis pour leur collection féministe Sorcières (plein d’essais souvent passionnants sur le sujet des droits des femmes) mais il y a également quelques bandes dessinées qui sortent parfois. Et la dernière en date, Pour l’amour de Dieu, Marie ! de l’anglaise Jade Sarson… je ne sais pas vraiment quoi en penser.
Sur 235 pages, l’autrice nous fait suivre la vie de Marie, élevée dans un contexte extrêmement croyant. Mais au grand dam de son père, elle a une conception très ouverte de la notion d’amour. Marie AIME. Et très vite, elle n’a plus grand-chose en commun avec son homonyme la Vierge Marie…
Marie aime tout le monde. Bien sûr, cela interroge sa conception de l’amour vu qu’elle aime en un regard seulement. S’il y évidemment une part d’attirance physique, sans doute, c’est surtout que Marie accepte l’autre tel qu’il/elle est, sans a priori, sans jugement, dans son intégralité. Elle “aime”, sans limite, sans condition, sans considération pour le genre, le physique, les potentiels handicaps, les goûts hors de la norme (très) rigide de cette époque.
Y compris William, un camarade de classe qui apprécie les tenues féminines tout en n’ayant pas peur d’utiliser ses poings sur le ring de boxe du club de son père. Et c’est principalement l’histoire de ce duo très libre et sans limite que l’on va suivre pendant quelques décennies.
Le trait est très délicat et sensuel, montrant tout de manière assez crue mais pas spécialement voyeuriste et sans avoir besoin d’en coller des tartines au fil des pages. L’autrice joue beaucoup avec les couleurs, y compris au niveau de la teinte des pages, au départ très jaunes pour les années les plus anciennes (comme jaunies par le temps) puis s’éclaircissant de plus en plus au fur et à mesure des années qui passent, pour finir par des pages blanches pour l’époque la plus récente. C’est plutôt bien trouvé.
L’histoire de Marie et William est assez agréable à suivre en soi… mais on ne sait pas trop finalement ce que l’autrice veut dire. Avec un personnage aussi fort et passionné que Marie, on pourrait s’attendre à ce qu’elle se batte d’autant plus pour faire changer les mentalités, aider ses congénères, qu’elle s’implique pour bousculer l’ordre établi. Or, il n’en est rien. La jeune femme vit sa vie, et c’est tout. Pourquoi pas, après tout, mais…
Elle a droit aux remarques homophobes et misogynes de sa famille, se fait remarquer à l’école avec son comportement très sexuellement libéré, doit plus tard faire avec les règles d’une société peu amène avec le statut de femmes non mariées… mais c’est tout.
On a même droit à l’explosion d’un bar gay… et on s’en fout. Ca glisse, comme si de rien n’était, on ne sait pas trop pourquoi cet événement a été inclus alors qu’il n’apporte rien. De même que la jeune femme est confrontée au racisme (notamment) anti-Indien de sa famille face à un de ses copains… mais là encore, c’est juste un détail en passant.
Qu’il n’y ait pas d’identité, de volonté politique dans cette BD, pourquoi pas – personne n’est obligé de devenir militant juste parce qu’il diffère de la norme -, mais avec un tel personnage, il est difficile de comprendre l’absence de toute coloration militante. Le tout reste à un niveau basiquement individuel, sans réelle description et mise en scène du contexte d’une époque ou d’un pays. Ça pourrait honnêtement se passer dans n’importe quel pays occidental à à peu près n’importe quelle époque que ça ne changerait pas grand-chose (des pays très puritains et très à cheval sur “les bonnes mœurs”, ce n’est jamais ce qui manque).
Donc d’un côté, on a cette absence d’enjeu et de contexte politique, et de l’autre, on a des personnages qui sont très poussés à l’extrême dans leur particularité, comme s’il avait fallu répondre à toutes les cases du bingo de la représentation : le mec handicapé, le mec indien, le mec travesti bisexuel ET boxeur, la fille maltraitée à la maison, ronde et racisée… et Marie, la pansexuelle polyamoureuse qui AIME tout le monde (je m’interroge quelque peu sur la question d’âge tout de même, ce n’est pas toujours très clair). Et sans réellement de discours militant derrière qui englobe l’ensemble.
C’est ce qui me laisse très perplexe, comme si tous les bons ingrédients étaient là mais qu’il manquait une étape dans la recette pour que le gâteau gonfle vraiment. J’ai l’impression qu’elle a du mal à impliquer ses personnages en profondeur, restant plutôt en surface.
Pour l’amour de Dieu, Marie ! est donc une BD intéressante mais un peu déséquilibrée, voulant peut-être trop en faire d’un côté tout en n’allant pas au bout de ses ambitions de l’autre. Peut-être aussi que vu les personnages qu’elle mettait en scène, j’avais de trop grosses attentes pour l’histoire en elle-même…
Dans tous les cas, on notera le très bon travail d’adaptation graphique et d’impression effectué, donnant un très bel album.