28 mars 2023

Le syndrome de l’imposteur

Volume unique par Claire Le Men, édité en VF par La Découverte, 170x240mm, 96 pages, 17,00€. Sorti en mai 2019.

Je ne savais pas que les éditions La Découverte sortaient parfois des BD (en même temps, ils n’en ont que quatre au catalogue), dont la dernière en date, Le syndrome de l’imposteur de Claire Le Men.

Le syndrome de l'imposteurLucille Lapierre, jeune interne en psychiatrie, se retrouve pour son premier stage dans une UMD, une Unité pour Malades Difficiles. Pas les six mois les plus simples pour se faire à la pratique après six ans de théorie intensive…

Avant de sortir cette première BD, Claire Le Men était… interne en psychiatrie, avec un premier stage en… UMD. On peut donc raisonnablement imaginer que Lucille Lapierre est son alter ego dessiné, lui permettant de raconter de manière romancée ce qu’elle a pu connaître durant ses premiers mois au contact des patients.

Interne, ça veut dire avoir déjà passé six ans (voire plus, si on a redoublé la première année) à bosser d’arrache pieds pour apprendre une théorie dense et un peu obscure, sans vraiment être confronté au réel. Alors forcément, quand arrive le premier stage, c’est l’extase, la béatitude, la joie d’avoir enfin affaire à du concret. Même si dans le cas de Lucille, ça veut dire arriver dans un environnement difficile comme l’UMD, avec des patients au parcours très lourd, des règles particulières, et une peur de chaque instant de se tromper.

Dès le départ, on en apprend plus sur les différents profils d’internes en psychiatrie. Car l’étudiant en psychiatrie diffère des autres étudiants en médecine, qui vont plutôt s’occuper du corps là où lui va s’occuper de l’esprit. Un autre monde, quoi. Pas vraiment d’examen, d’éléments purement techniques mais (dans le meilleur des cas) de la communication, de l’écoute, bref, de la parole.

Avec cette BD, Claire Le Men ne joue pas la complaisance. Elle égratigne autant ses collègues internes, que le reste de l’institution psy, sans méchanceté mais avec précision et lucidité.
Elle interroge surtout le rôle, le pouvoir et donc l’immense responsabilité du médecin psy face à des patients pas forcément capables de se faire comprendre. Et explique l’importance du contexte de vie de chaque patient, pour réellement cerner sa pathologie et pas juste faire rentrer des symptômes qui n’en sont peut-être pas dans un gabarit de maladie.
D’ailleurs, elle rapporte l’expérience de Rosenham, psychologue qui en 1973 aux Etats-Unis a clairement remis en question le regard biaisé des médecins psy. Même si ça n’a pas forcément changé le fantasme de certains, persuadés qu’ils sont parfaitement objectifs et qu’ils ne peuvent être aucunement influencés, risquant alors de complètement rater des éléments importants dans le cas de leurs patients.

Bref, Lucille Lapierre se pose beaucoup de questions. Et doute, constamment, alimentant son syndrome de l’imposteur, persuadée qu’elle n’est arrivée à un tel niveau dans ses études que par chance/erreur/hasard. Et qu’elle pourrait alors être un danger pour toute la personne la prenant pour un « vrai docteur ».


Vu le changement de métier de Claire Le Men, on peut sans peine comprendre que ses incessantes questions ont eu raison de sa carrière médicale… mais lui permettant alors de mettre en scène une part de l’institution psychiatrique, du côté des soignants mais à un niveau lui permettant d’avoir suffisamment de recul pour interroger le système. Elle est même extrêmement lucide sur son statut d’interne.

De plus, elle met les patients, l’humain, au cœur de ses questionnements mais sans jamais les instrumentaliser. Le corps médical qu’elle côtoie n’est jamais maltraitant mais le fonctionnement même du système peut facilement permettre les erreurs d’appréciation, la perte du sens humain, le manque d’équilibre entre les délires de certains patients et la froideur technique de la médication.
Son propos est très intéressant, didactique, jamais condescendant mais au contraire bienveillant et à l’écoute. Le syndrome de l’imposteur est donc plutôt à recommander, apportant une approche loin des peurs agitées par nos politiques souvent prêts à instrumentaliser la « folie » pour justifier leur abandon du bien-être de leurs concitoyens…

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