31 janvier 2023

Spinning

Volume unique par Tillie Walden, édité par Gallimard BD en novembre 2017, 160x215mm, 400 pages, 24,00€. 

Vu le sujet abordé dans Spinning, première BD de Tillie Walden traduite en français, voilà clairement le genre de BD que je ne pouvais pas manquer !

SpinningTillie Walden, dessinatrice américaine d’une vingtaine d’années, nous livre ici une autobiographie de son adolescence à Austin, Texas. Son quotidien est alors cadencé au rythme des entraînements de patinage artistique la semaine, des compétitions le week-end, tout en tentant de survivre au collège. Se sachant homosexuelle depuis ses 5 ans, elle doit aussi apprendre à gérer ses béguins dans un univers très féminin et pas forcément très ouvert…

On pourrait penser que 20 ans, c’est tout de même bien jeune pour déjà proposer une autobiographie. Et pourtant, Tillie Walden se frotte ici à cet ardu exercice avec talent.
J’ai évidemment immédiatement pensé à Allison Bechdel dans le même registre, avec Fun Home ou C’est toi ma maman ? : même élan de sincérité volontariste et touchante face à ces jeunes années de construction de leur identité, sans complaisance. Mais là où Bechdel intellectualise énormément, psychanalysant tout, alignant les citations littéraires, rendant sa lecture certes riche mais assez exigeante, Walden reste elle au plus près de celle qu’elle était à 12 ou 16 ans. Elle l’explique elle-même dans la postface, son but n’était pas d’être dans l’exactitude des faits mais dans le récit de son adolescence au travers de ses souvenirs, pour tenter de partager ses émotions et ressentis de cette époque plus que l’exacte réalité.

La jeune Tillie n’est pas heureuse. Une mère distante, un père affectueux mais effacé, un frère jumeau avec qui elle partage beaucoup mais à qui elle ne peut que cacher une partie d’elle. Ses journées commencent à 4h pour son premier entraînement. Au New Jersey, cette période est déjà difficile, beaucoup de sévérité, de pleurs, d’épuisement. Mais quand la famille déménage à Austin, le patinage qui aurait dû être son point d’ancrage dans ce nouvel environnement ne rend en fait pas la transition plus facile. Il faut rencontrer de nouvelles têtes, faire semblant de sympathiser même quand le courant ne passe pas vraiment, se refaire une place à coups de patins et de pirouettes dans un milieu compétitif où la moindre différence dérange. Elle dont les parents ne s’intéressent pas du tout à son activité sportive détonne au milieu des gamines couvées de près par leur mère. Il n’en faut pas plus pour en faire le mouton noir de la troupe.

Pour autant, Tillie n’est pas du genre à se laisser abattre. Forte et déterminée, elle tient le coup, encaisse y compris les brimades d’une camarade de collège, et taille sa route. L’adolescence n’est déjà en soi pas une période facile à gérer mais dans des conditions de sport de haut niveau, qui plus est en tant que fille dans une discipline très genrée, il faut une sacrée force de caractère pour tenir malgré tout. Elle déteste la patinoire, ses odeurs, son froid mordant, se bat chaque jour contre elle-même pour malgré tout continuer à se lever et affronter ça. Ce n’est pas une passionnée folle de patinage : mais ses journées sont trop chargées pour qu’elle ait l’énergie de se poser trop de questions qui bouleverseraient une routine permettant au temps de passer.
Ajoutons là-dessus que Tillie se sait donc lesbienne depuis son enfance. Elle le cache, évidemment, même si on est dans les années 2000 : pas besoin de rajouter une nouvelle raison d’être pointée du doigt. Mais la jeune fille n’a pas honte de qui elle est. Sa première histoire, touchante, pudique, n’a comme souvent pas de fin heureuse mais lui permet d’affronter la réalité de ses sentiments et le regard des autres. Toujours, elle avance, même si elle se laisse porter par le courant d’un quotidien chargé et épuisant.

Au fil des pages, des différentes anecdotes qu’elle relate, elle exprime avec justesse et subtilité les émotions, les relations d’amitié plus ou moins fortes, les béguins, les peurs, les aspirations. On assiste à la construction complexe d’une jeune fille qui apprend petit à petit à prendre sa vie en main, passant de l’enfance à l’âge adulte avec détermination, sachant toujours se relever malgré tout ce qu’elle doit supporter.
S’il est beaucoup question de patinage dans ces 400 pages, pas besoin d’être fan de ce sport pour y trouver son compte : Tillie Walden s’intéresse surtout à ses relations avec les autres patineuses, ses divers entraîneurs, et l’impact que tout ça a sur sa vie. Elle décrit avec intensité tous ces moments tour à tour drôles, légers, épuisants, rageurs, terrifiants, parvenant à toucher juste, sans besoin de grands discours ou de tire-larmes.

Spinning peut impressionner avant lecture : 400 pages, gros pavé. Mais sa lecture est fluide, prenante, touchante, parlante, nous faisant découvrir une jeune femme livrant un portrait d’elle sans complaisance – elle n’a pas forcément un caractère facile, développé au contact d’un monde dur et compétitif – mais attachant, fort et percutant. Il n’y a aucune lourdeur, rien de pesant ou déprimant mais au contraire une force de vie rageuse et combattante.
J’espère qu’on pourra continuer à suivre le travail de Tillie Walden en français. Mais je vais sans doute déjà me laisser tenter par ses deux autres comics disponibles en anglais…

Une réflexion sur « Spinning »

  1. Je me souvenais que tu avais fait une chronique sur Spinning, mais bon, si j’avais un peu – beaucoup – oublié ton texte quand a-yin m’a offert le titre en VO (une “sombre” affaire de doublon), je l’ai accepté avec enthousiasme en me souvenant que tu en avais parlé. Et je te rejoins sur ton avis : lecture fluide (alors que la fluidité et VO font deux chez moi généralement), prenante, touchante. Je suis prêt à lire ses autres titres (Yin, si tu m’entends… 😀 ) !

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