Série en 7 tomes par Terry Moore, éditée en VF par Delcourt, 164x254mm, 14,50€ le volume.
Rachel Rising est une série de Terry Moore, à qui on doit déjà Strangers in paradise (18 tomes, bientôt en 3 tomes chez Delcourt), Echo (6 tomes, Delcourt) et prochainement Motor Girl. Je vous en avais déjà parlé lors de la sortie de son premier tome, en mai 2014, je reviens pour une chronique sur la série complète.
Manson, une petite ville des États-Unis, apparemment tranquille. Une jeune femme émerge d’une tombe fraîche, perdue dans les bois. Ses yeux sont injectés de sang, sa gorge porte la trace d’une corde mais elle n’a aucun souvenir de ce qui lui est arrivé. Elle sait juste qu’elle devait aller à une soirée avec son amie Jet mais ensuite… Elle ne sait pas encore que son retour d’entre les morts n’est que la première étape d’une vengeance vieille de 300 ans. À moins qu’elle ne remonte à plus loin encore…
Terry Moore est un artiste à part. D’un côté, son style graphique est très facilement reconnaissable et il utilise toujours les mêmes archétypes pour ses héroïnes – oui, il ne met en scène que des héroïnes, même si quelques personnages masculins essaient parfois de gratter quelques cases de lumière -, de jolies blondes au fort caractère. Mais à côté de ça, à chaque série, il s’essaie à un genre différent et oscille même entre plusieurs genre dans une même série. Ainsi, si Strangers in paradise commence comme une série sur le quotidien de deux amies, il finit par tourner au drame mafieux violent. Echo est une série sur une femme paumée mise en contact avec une arme surpuissante par l’inconscience et l’irresponsabilité de scientifiques, elle part ensuite dans un côté plus spirituel et commence à aborder des thèmes bibliques qu’on retrouve alors dans Rachel Rising, la série suivante, lorgnant plutôt côté horreur.
Pour autant, Rachel Rising n’a rien d’une série religieuse. Si elle débute sur un air de procès de Salem et de chasse aux sorcières où l’obscurantisme et la misogynie rivalisaient d’imagination pour garder les femmes soumises, elle se développe ensuite vers quelque chose d’encore plus ancien. Mais il ne s’agit alors pas là de foi mais d’histoire. Celle d’un commencement où la femme a refusé de se plier aux ordres et en endure depuis les terribles et injustes conséquences.
En fait, Terry Moore profite de ce nouveau récit pour explorer plus en profondeur la place de la femme (j’utilise le singulier pour une bonne raison), d’une en particulier. Il n’est pas réellement question de misogynie ou de patriarcat ici, puisque l’homme a finalement peu droit au chapitre dans ce récit, où l’humain n’est qu’une marionnette livrée à ses pulsions sordides.
Car si Rachel Rising parle de vengeance, elle parle avant tout de vie et surtout de mort. Mort omniprésente à chaque page, souvent violente, absurde, cruelle, vaine. Terry Moore ne fait pas dans la délicatesse et tranche net, zigouillant à tour de bras, n’hésitant pas à faire d’une gamine la pire des tueuses en série… tout en la rendant terriblement attachante, hilarante dans son franc parler et son sens de l’humour des plus douteux. Son humour n’est pas noir, il est rouge sang.
Ainsi, la galerie de personnages pratiquement exclusivement féminine est étonnante, attachante, flippante, un peu choquante aussi. On y retrouve ces amitiés féminines fortes, faites de coups de gueule, de galères, d’enterrements, de résurrections, de manipulations, de mensonges pour taire des vérités trop dures, trop impossibles, trop cruelles.
L’auteur profite également de sa série horrifique pour explorer le mal le plus profond, le plus sombre. Celui qui détruit et tue avec le sourire, qui extermine et incendie sans sourciller. Certaines scènes sont extrêmement glaçantes, certains chapitres très glauques et difficile de voir l’humain sous un beau jour face à tant d’horreurs, de faiblesses, de bas instincts si facilement manipulables et mis en scène.
Et en même temps, on arrive à rire, à s’attacher à des personnages forts et puissants, pleins de zones d’ombres, de secrets et aux limites floues et incertaines.
Au fil des chapitres, l’histoire semble partir sur d’autres pistes, explorer d’autres aspects, tout en parvenant à garder un côté assez homogène. Le final n’est sans doute pas aussi explosif qu’on aurait pu s’attendre lors de la lecture du volume 1… et pour autant, pas de déception. La fin de certains arcs est parfois un peu rapide, d’autres ne sont pas clairement terminés, mais les principaux ont leurs réponses. Et si la fin reste assez ouverte, j’y vois surtout un attachement profond de Terry Moore pour ses personnages qu’il ne quitte qu’à contrecœur (potentiellement pour les retrouver plus tard, on parle bien d’une suite pour SiP), n’ayant en fait fini qu’avec un chapitre de leur vie.
En fait, la grande force des séries de Terry Moore, c’est l’incroyable foisonnement d’idées qu’on y trouve. Même si toutes ne seront pas exploitées, même si clairement des arcs restent en suspend, même s’il y a toujours un risque d’éparpillement en cours de route, ses histoires ont un souffle unique, une force vitale, qui nous permet de vivre des aventures aux événements totalement imprévisibles puisque tout peut changer d’une page à l’autre, comme si c’étaient les personnages eux-mêmes qui décidaient de leur sort que l’auteur ne ferait que retranscrire.
Rachel Rising est une série sombre et violente, gore et désabusée face à une humanité qui ne sait que s’entre-tuer depuis son apparition. Le mal qui aime s’y incarner est peut-être le mal absolu, mais l’humain n’a de toute façon pas besoin de lui pour blesser, mentir, agresser, guerroyer, massacrer. Et pourtant, malgré tous ses défauts, ses faiblesses, ses bassesses, on parvient toujours à s’y intéresser et même à s’y attacher…
Belle chronique, merci pour cette lecture.
Par contre, je n’avais pas réalisé que c’était le dernier tome ! Il y a clairement une suite qui est appelée à la dernière page. Mais je sens qu’il va falloir ne pas être pressé, vu que je viens de voir que Terry Moore est sur une nouvelle série qui n’a clairement rien à voir.