Série en 2 tomes par Warren Ellis et John Cassaday, éditée en VF par Urban Comics, 185x282mm, 28,00€.
Volume 1 paru en juillet 2016, 408 pages.
Volume 2 paru en janvier 2017, 488 pages.
C’est par pure curiosité que j’ai acheté Planetary de Warren Ellis, dont j’aime beaucoup sa dernière série Trees, et John Cassaday. Fortement influencée par le fait qu’il n’y avait que 2 tomes, certes volumineux, et qu’il semblait faire partie de ces classiques à lire.
Et je me retrouve de nouveau à galérer à chroniquer un monument…
Fin du XXe siècle. Un café paumé dans un désert américain. Une femme entre. Il n’y a qu’un seul client, un homme tout de blanc vêtu. Elle s’appelle Jakita Wagner et vient recruter Elijah Snow pour intégrer l’équipe Planetary : trois personnes aux talents peu ordinaires, sortes d’archéologues des mystères de notre monde.
Je n’ai résumé là que les dix premières pages. La suite est de toute façon impossible à raconter. Au fil des 27 chapitres de cette épopée, Warren Ellis et John Cassaday ont de quoi vous faire bouillir les neurones façon cocotte minute : ça commence doucement, avec des premiers chapitres intrigants où le trio ne fait qu’arriver après la bataille et constater les dégâts, sans réellement prendre part aux choses. Ils ne sont que des observateurs là pour récupérer et récolter des informations. On ne comprend pas tout, on a l’impression de louper plein de choses, mais très vite cela ne nous suffit pas, et cela ne suffit pas non plus à Jo… Elijah Snow.
Nous voilà alors définitivement plongés dans un grand huit infernal, où tout s’enchaîne sans temps mort, regorgeant de références aussi bien aux super-héros de la pop culture qu’à la littérature fantastique fin XIXe – début XXe, sans oublier le cinéma notamment asiatique, les films de monstres japonais, les polars hongkongais, le wu xia pian chinois. Chaque chapitre est différent des autres, aborde une histoire précise et ce n’est qu’au bout de quelques centaines de pages qu’on voit clairement se dessiner un motif, une structure complexe et sophistiquée au travers de récits qui semblaient ne pas forcément pouvoir se rencontrer. Et pourtant, tout s’enchevêtre, trouve sa place, s’imbrique, au fil de flash-back qui explorent les nombreuses zones d’ombre.
Que ce soit graphiquement ou scénaristiquement, les auteurs font preuve d’une imagination démesurée, nous explosant autant les yeux que les neurones. La lecture est exigeante mais quel trip ! Des théories scientifiques les plus poussées à l’explosion de toutes les lois de la physique, en passant par des multivers, des réécritures d’histoires, des interprétations inattendues, des rencontres illustres ou galactiques… le voyage est jouissif, décoiffant, explosif. Revisitant les super-héros à leur sauce, Superman, Wonder-woman, Green Lantern, Les 4 fantastiques, Hulk, The Lone Ranger, La ligue des Gentlemen Extraordinaires, etc., ils en jouent avec délectation, n’hésitant pas à leur faire subir le pire, à les faire chuter, à les détourner, tout en parvenant à en garder l’esprit premier.
Tour à tour récit d’aventures façon pulp des années 30, plongée dans les mythes de naissance des super-héros, dans les origines du fantastique, Ellis et Cassaday se font eux-mêmes archéologues de la pop culture du XXe siècle, sans pour autant céder à la facilité de la nostalgie tant à la mode ces dernières années. Ils reprennent des idées, des créations, en les réinterprétant, les réincarnant, leur donnant un nouveau souffle totalement original, avec une profondeur vertigineuse qui ajoute au tournis de la lecture.
Voilà une œuvre puissante, touffue, riche, qui mérite à coups sûrs de nombreuses lectures pour en découvrir toujours plus. Si une première lecture permet déjà d’en saisir les bases et le scénario central, nul doute que d’autres apportent de nouvelles pièces qui s’ajustent dans un mécanisme savamment monté, minutieusement modelé.
Planetary a débuté en 1998, comme une réponse à la fin d’un millénaire et aux interrogations que suscitait le nouveau, plein d’incertitudes face aux changements tant technologiques que moraux que connaissait la société humaine. Une réponse ou une manière de clore un siècle et ses horreurs, plus ou moins connues et reconnues, pour mieux rebondir et entamer le suivant avec énergie, imagination, soif de découvrir et d’évoluer pour le meilleur de l’humanité. Warren Ellis aurait-il plus foi en ses congénères que son compatriote Alan Moore avec Watchmen (qui signe d’ailleurs la préface, tandis que Joss Whedon s’occupe de la postface) ?
Planetary est en tout cas un must à avoir dans sa bibliothèque.