Volume unique par Liv Strömquist, édité en VF par les éditions Rackham, 170x240mm, 144 pages, 20,00€. Sorti en mai 2016.
Quatre ans après Les sentiments du prince Charles, première BD de Liv Strömquist que les éditions Rackham ont eu l’excellente idée de nous permettre de découvrir, celles-ci récidivent avec L’origine du monde. Elles en ont même profité pour sortir en même temps une réédition de la première, devenue alors difficile à trouver…
L’origine du monde, c’est le nom d’une célèbre peinture de Courbet (Gustave, pas Julien…). Le genre de peinture qui fait s’affoler le robot-censeur de tous les réseaux sociaux puisqu’il montre en gros plan, sans aucun doute possible, un sexe féminin. Et c’est donc fort logiquement le sujet principal de cette nouvelle BD féministe de Liv Strömquist.
Comme dans Les sentiments du prince Charles, elle travaille un focus particulier par chapitre, utilisant des références historiques, des études scientifiques et des exemples contemporains pour développer tout un argumentaire féministe sur la vision que l’on porte sur les organes féminins (ou du moins considérés comme féminins par notre société binaire et cissexiste – niant ou infériorisant la transidentité).
Le premier chapitre donne le ton, s’intéressant à sept hommes qui, au fil des siècles, se sont un peu trop intéressés à ces fameux organes. Non pas que s’y intéresser soit une mauvaise chose, au contraire, mais tout dépend de la manière… et on s’en doute, la manière ici n’était pas très bienveillante.
Entre les adeptes de la clitoridectomie, et autres techniques pour empêcher les femmes de toucher à ce fameux clitoris, rendu responsable d’à peu près tous les maux de la planète, les fanatiques pour qui le sexe féminin ne pouvait être que d’origine démoniaque, les charcuteurs de bébés intersexes qui avaient le malheur de ne pas rentrer dans le moule de la binarité, les chasseurs de sorcières reconnaissables à la forme de leur sexe, les individus mêlant avec bonheur sexisme et racisme avec exposition du cerveau et de la vulve d’une femme noire (Saartjie Baartman) et autres excités du bocal refusant qu’une femme s’intéressant aux mathématiques et à la philosophie tout en ne se mariant pas puisse être vraiment une femme… on a là déjà un sacré florilège des pires manifestations de ce que les femmes ont dû déjà endurer depuis des siècles (et de la haine des hommes à leur encontre).
Mais ça, ce n’est que le début… Viennent ensuite des focus sur l’orgasme féminin, sur l’histoire de la représentation du sexe féminin au fil des siècles, sur la méconnaissance des femmes sur leur propre anatomie, due en grande partie au sexisme qui a rendu cela sale et dégradant, et enfin sur les menstruations, le tabou d’entre les tabous, toujours aujourd’hui où tout est fait pour cacher ce sang dont il ne faut surtout jamais parler.
La lecture est passionnante, souvent drôle, extrêmement riche, permettant de comprendre et de prendre conscience de beaucoup de choses sur la condition féminine, les injonctions de la société patriarcale, les techniques utilisées depuis des siècles pour permettre de garder ce rapport de domination du groupe hommes sur le groupe femmes. Chaque chapitre apporte énormément d’informations, fait réfléchir, donne des arguments, explique précisément d’où viennent les injonctions que subissent les femmes depuis toujours.
Je l’ai trouvé pour ma part un peu plus facile d’accès que Les sentiments du prince Charles, mais ces deux BD sont des indispensables que chaque féministe devrait pouvoir lire au moins une fois (et pas que les féministes bien sûr !!). Le propos est clair, intelligent, documenté, extrêmement éclairant. Passionnant et nécessaire. Merci, Liv Strömquist (et Rackham !).
A noter que j’ai également publié un billet sur cette BD sur mon site Militancrise.
J’ai hâte de me faire le combo expo à l’Institut suédois et lecture de cette BD. Et je suis contente que Stromquist soit redécouverte !