10 décembre 2022

Journal d’une disparition

Volume unique par Hideo Azuma, édité en VF par Kana en janvier 2007.
Sens de lecture japonais, 150x212mm, 10,00€ (plus édité).

Pour la chronique du jour, j’ai eu envie de m’éloigner un peu des nouveautés et de fouiller dans mes étagères trouver un one-shot (oui, je manque de temps, je fais au plus pratique) qui me tente. Et je suis tombée sur deux volumes de Hideo Azuma sortis chez Kana il y a quelques années, dont Journal d’une disparition.

Journal d'une disparitionHideo Azuma devient mangaka en 1969, proposant principalement des histoires comiques ou SF. Mais en 1989, il part acheter des cigarettes et ne revient pas. Pendant plusieurs mois, il devient un sans-abri qui apprend à survivre en faisant les poubelles et en fumant les mégots qu’il trouve. Ce ne sera pas son unique disparition…

À 39 ans, Hideo Azuma connaît une grosse crise créative. Se perdant dans son style devenu trop routinier, après des années de surcharge de travail, il fuit et part s’installer en forêt, loin de ses congénères. Il survit bon gré mal gré, ressentant la morsure du froid nocturne, l’humidité constante qui s’infiltre partout, cherchant constamment de quoi survivre. Bâche plastique trouée, couverture moisie, de quoi tenter de se faire un couchage précaire. Il finit par ne vivre que la nuit, pour éviter les rencontres, apprenant au fil des jours quels quartiers et quelles poubelles sont les plus susceptibles de lui fournir de quoi manger… et boire.
Autant dire que ces premières pages ne sont pas très ragoutantes, nous mettant d’office face à une précarité certes choisie mais pas vraiment préméditée, y compris dans ses aspects les plus difficiles (même s’il dit lui-même avoir évité de parler des scènes les plus dures). Le pesant quotidien de mangaka, avec ses responsabilités, ses obligations, ses deadlines, avait fini par le ronger, l’acculant à une fuite finalement illusoire car forcément temporaire. Mais le retour à la réalité n’a aucune raison de se faire facilement et il disparaît une deuxième fois quelques années plus tard, cette fois-ci plus préparé, et se retrouve même à travailler sur des chantiers où il côtoie une diversité de personnages assez atypiques. Le manga se coupe alors en plusieurs parties, nous racontant ces deux épisodes en fait très différents dans leur ressenti et leur déroulement, même si cela se termine toujours de la même manière.
Enfin, dans une troisième partie, l’auteur revient plus en profondeur sur un problème profond qui l’affecte après sa deuxième disparition, son alcoolisme, qui le conduira en hôpital psychiatrique pour réussir à se sevrer et parvenir à se détacher de cette addiction qui a manqué de le tuer.

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Au vu de ces sujets plutôt difficiles, on pourrait croire se retrouver là face à un manga lourd et pesant, plombé de misérabilisme et de pathétique. C’est en fait tout le contraire, d’une part par le trait d’Azuma. Issu d’une génération de mangaka ayant côtoyé Tezuka (qu’on aperçoit d’ailleurs), l’auteur utilise un dessin très rond, un peu daté peut-être mais parfaitement maîtrisé, assez mignon sans pour autant faire totalement enfantin. Ce style graphique et le ton assez ironique et détaché employé par Azuma apportent un certain recul et un peu de légèreté dans un récit qui parle tout de même d’un homme fuyant sa vie avec quelques idées suicidaires en prime.
On évite donc toute lourdeur tout en ressentant parfaitement le désarroi d’un homme quelque peu torturé par une vie pas désagréable mais qui lui pèse, le déroute, le fragilise et finit d’ailleurs par le pousser à une addiction qui ressemble elle aussi à une fuite de la réalité. Un comportement et des sentiments malheureusement très classiques dans nos sociétés actuelles, qu’on pourrait pourtant croire plus faciles à vivre que les précédentes mais qui n’apportent pas pour autant le soutien et l’épanouissement promis.
Si la partie sur le travail technique des tuyaux de gaz n’est pas forcément la plus palpitante, elle propose quelques portraits assez fins et surprenants, tout comme à l’hôpital psychiatrique, avec des patients tous différents, prisonniers de leur addiction qu’ils gèrent à leur manière, plus ou moins heureuse.

Le volume est en fait une autre manière de présenter le Japon, loin des buildings, de la foule des quartiers marchands, des hommes d’affaire pressés en costume-cravate, du système pro-réussite où le travail est le thème central de tout. L’auteur comme le personnage qu’il incarne proposent un recul bienvenu par rapport à tous ces thèmes finalement très anxiogènes où la moindre erreur est inacceptable, où le temps rythme tout, où la moindre petite faiblesse pour être utilisée.
Certes, la vie qu’il décrit n’a rien d’idyllique mais pose question par rapport à l’existence imposée aujourd’hui, que ce soit au Japon ou ailleurs. Et tout ça sans misérabilisme, avec humour et intelligence.

2 réflexions sur « Journal d’une disparition »

  1. Excellent manga, en effet, qui m’avait beaucoup marqué à l’époque.

    Je regrette tout-de-même une chose : que les seuls manga de l’auteur sortis en France soient ses autobiographies, et qu’aucun éditeur n’ait choisi de proposer les titres qui l’ont rendu célèbre au Japon. Je sais que son style n’est pas forcément le plus vendeur – le lolicon grand public des années 80 – mais certaines adaptations de ses travaux ont quand même été diffusées sur nos chaines, à commencer par l’excellent La Petite Olympe et les Dieux.

  2. Ah ! Bah! moi j’ai essayé de le lire et j’ai trouvé ça d’un ennui mortel. De me suis arrêté après 4 chapitres de “je fouilles les poubelles, je dors, je fouille les poubelles, je dors, je fouilles les poubelles…”
    je suis pas du tout entrée dans le truc

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