Volume unique par Emmanuel Guibert, paru chez L’Association.
298 pages, 28,00€.
Je ne sais pas ce qui m’a fait prendre ce volume de La guerre d’Alan, exposé au milieu des rayonnages. La réputation plutôt flatteuse de l’auteur, dont je n’avais encore rien lu ? Ou le sujet, intéressant en lui-même et permettant peut-être d’avoir un autre regard que les multiples films et documentaires sur la Seconde Guerre Mondiale ?
Car il s’agit bien là d’un autre regard sur cette période. On est loin ici des héroïques G.I. débarquant sur les plages de Normandie au milieu des rafales et des giclées de sang. Au hasard d’une rencontre, le dessinateur Emmanuel Guibert a ainsi fait la connaissance du vétéran Alan Ingram Cope qui allait lui donner accès à ses souvenirs de soldat engagé dans une guerre dont il ne savait finalement pas grand-chose.
Des combats, il n’en a pour ainsi dire pas vécus, débarquant en France en mars 1945 à quelques mois de la reddition finale, membre d’une unité blindée après avoir été instructeur radio aux USA, formant d’autres soldats ensuite envoyés au front. Les amateurs d’action ne trouveront alors pas là de quoi se défouler, les souvenirs d’Alan nous faisant simplement suivre son quotidien de militaire puis de civil une fois la guerre terminée. Et pourtant, aucun ennui car le jeune homme a vécu son lot d’aventures et de rencontres humaines captivantes, nous régalant d’anecdotes tantôt drôles tantôt émouvantes, souvent inattendues et enrichissantes, pour lui comme pour nous, lui permettant de progresser sur le chemin d’une vie à construire par un jeune homme en recherche de lui-même.
Beaucoup de voix off au fil des récits d’Alan, comme si on l’écoutait directement nous parler, tout en ayant un certain recul du fait de l’intermédiaire d’Emmanuel Guibert qui nous retranscrit son propre ressenti par ses magnifiques dessins, pleins de nuances, de sensibilité, de simplicité et d’évidence, images nées de ses discussions avec le vieil homme. Le tout offrant alors un savoureux mélange entre les coups de crayon du dessinateur attentif et le récit prenant et passionnant d’Alan, dont on ne sait jamais ce qu’il va nous révéler page après page. Ses souvenirs sont souvent tendres et chaleureux, sans aigreur ni bonne morale, ni même aucune complaisance envers lui-même.
Ainsi, il lui arrive en évoquant un de ceux qu’il a croisés d’émettre quelques regrets sur sa propre conduite, sur ses choix d’alors qui auraient pu peut-être changer le destin de l’autre s’il avait agi différemment… Pas d’amertume pesante ou de repentir hypocrite, juste les questionnements d’un homme au soir de sa vie face à des décisions d’il y a des années, a priori anodines mais si pleines de conséquences parfois.
La guerre d’Alan est un émouvant et étonnant témoignage d’une vie bien remplie, pleine d’imprévus, de rencontres, de découvertes, d’introspections, de doutes, d’erreurs parfois, un témoignage plein d’humour, d’humanité au beau milieu d’un conflit construit sur la haine et la bêtise. Alan n’était pas un surhomme, un héros sans défaut, juste un humain dont le récit plein de sincérité et de simplicité sait toucher juste et parler à chacun d’entre nous, au delà des convictions et des différences qui nous séparent parfois.
Je dois reconnaître qu’avant de me lancer dans cette lecture dont je ne savais rien, j’avais du mal à imaginer ce que pouvait apporter L’enfance d’Alan, nouveau volume paru voilà quelques semaines. Nous raconter les souvenirs de guerre d’un vétéran, OK, mais ses souvenirs d’enfance, quel intérêt ? Et pourtant, la lecture de La guerre d’Alan rend cela tout à fait évident. Comment ne pas avoir envie, après avoir suivi cet homme de la fin de son adolescence à sa vie d’adulte, de voir d’où il vient, ce qui l’a amené à ça, à cette ouverture, à ce cheminement qu’il nous a fait suivre durant cette première incursion dans sa mémoire ? Le sujet n’est pas la “Grande Histoire” en elle-même mais bien l’individu qui, en parlant de lui, parle en fait à chacun de nous, interroge sur nos propres choix, sur ce qui fait nos vies, sur les décisions à prendre, à assumer. Sur tout simplement cette soif d’évoluer, de suivre sa route, avec ses petits cailloux dans les pompes comme ses rencontres qui permettent d’avancer un peu mieux, un peu plus clairement.
Depuis le temps que j’entends parler en bien de ce titre, je me dis qu’il va vraiment falloir que je m’y mette. Est-ce que tu prévois de lire L’Enfance d’Alan ?
Oui, c’est prévu, il attend sur les étagères au côté de ses innombrables collègues 🙂