Volume unique par Shinji Kajio et Kenji Tsuruta, édité en VF par Ki-oon en septembre 2018.
Sens de lecture japonais, 170x240mm, 15,00€.
Après le one-shot Souvenirs d’Emanon, Ki-oon continue de nous faire suivre le parcours hors du commun de la jeune femme sans nom avec Errances d’Emanon, toujours par Kenji Tsuruta adaptant les écrits de Shinji Kajio.
Nous avions donc rencontré Emanon dans le précédent one-shot de la collection. Lecture pas obligatoire en soi mais tout de même fortement recommandée pour déjà appréhender le personnage.
Ainsi, Emanon nous apparaît sous les traits d’une jeune femme de 18 ans. Mais elle porte en elle la mémoire de la Vie depuis son apparition sur Terre. De génération en génération, ces souvenirs se transmettent de mère en fille et la nouvelle incarnation erre au milieu d’une humanité qui ne se sait pas observée.
Difficile pour elle de se lier véritablement avec ses congénères humains, semblables à des chandelles dont la flamme s’éteint vite quand elle doit supporter le fardeau d’une mémoire qui n’oublie rien. Un fardeau de solitude donc, que la jeune femme porte au fond des yeux, dégageant une mélancolie un peu fataliste, presque sereine. Les problèmes du quotidien ne sont rien pour elle puisque son existence l’oblige à ne voir les choses que de manière globale, au delà de l’étroitesse et de la limitation de nos vies.
Elle ne sait pas pourquoi mais espère qu’il y a bien une raison à tout cela. Elle ne peut se permettre le luxe d’une crise existentielle, vu l’éternité qui lui est promis. Elle est obligée de croire à un sens, et s’en créé même dans ses actes, tentant d’influer sur certaines situations critiques selon ses possibilités, pouvant utiliser l’infinité du temps dont elle dispose pour mener à bien certaines missions.
Par son existence même, elle ne vit pas sur le même plan que nous. Les humains qu’elle rencontre s’en rendent vite compte, comme hypnotisés par cette femme que rien ne semble étonner. Elle avance, au gré du courant, traçant son chemin sans s’inquiéter de tout jugement, qui ne sera après tout qu’éphémère quand elle sera toujours là.
D’un côté, elle nous ancre dans le moment présent car pour elle, passé et futur ne veulent rien dire. Le temps qui passe n’a aucune signification, aucun poids quand on a l’éternité devant soi. D’un autre, son existence nous rassure par la certitude qu’elle impose que la vie continue quoi qu’il arrive.
Si on n’a aucune réponse, et peu de repères temporels, on ne ressent aucune frustration, Tsuruta parvenant à nous faire partager la sorte de sérénité tranquille de son héroïne. Comme dans le volume précédent, il continue de planer, plus fortement encore, ce petit parfum d’éternité, cette douce fragrance mélancolique liée à une vie qui ne peut se terminer réellement, alors débarrassée de la peur de la mortalité mais chargée du poids de son infinie solitude.
Le trait de Tsuruta fait merveille dans ce genre d’histoire, sachant créer une ambiance éthérée, une spontanéité du moment présent comme tente de le vivre Emanon face au fardeau de l’éternité.
Comme toujours, l’auteur apprécie de déshabiller son héroïne – elle passe pratiquement toute la première partie nue – mais sans impression de voyeurisme malsain, sans réelle volonté de dévoiler ni aucun sous-entendu sexuel. Elle erre, simplement, au fil du temps qui passe sans réellement la toucher.
La première partie est en couleurs, superbe, permettant d’encore plus profiter du trait de Tsuruta et de la beauté des paysages qu’il sait mettre en scène.
Souvenirs d’Emanon était sorti en 2008 au Japon, Errances d’Emanon en 2012 et deux autres tomes ont suivi, en 2013 et 2018. Il nous reste donc bien du chemin à accomplir auprès de cette fascinante jeune femme, nous permettant d’en apprendre plus sur son histoire et peut-être de mieux comprendre pourquoi ?