30 juin 2022

Seder-Masochism

Film d’animation de Nina Paley, 1h18.
Pas de sortie en salles prévue, ni de DVD. Devrait être disponible gratuitement sur le net.

C’est lors du Festival d’Annecy 2008 que je découvre la réalisatrice Nina Paley avec son film Sita Sings the Blues, qui reçoit d’ailleurs le Cristal du long métrage. Un film original plutôt sympathique qui m’avait laissé un bon souvenir. Alors quand j’ai vu qu’elle revenait à Annecy avec son nouveau film, Seder-Masochism, et qu’en plus le résumé parle de “luttes tragiques contre les forces patriarcales”…

Seder-Masochism
Comme pour son film précédent, Nina Paley utilise sa technique d’une animation simple et très colorée, blindée d’ironie et de beaucoup de chansons.
Ici, elle nous raconte l’Exode – Moïse qui conduit les siens hors d’Egypte pour rejoindre la terre promise – en version comédie musicale très irrévérencieuse.
Mais ce qui structure le film (et lui donne son âme), c’est la partie personnelle où la réalisatrice interroge son père Hiram sur sa religion d’origine, le Judaïsme. Sachant que cet entretien a été fait trois mois avant sa mort… Non seulement on y ressent énormément d’amour entre un père et sa fille, mais aussi d’humour, avec un questionnement sur la foi. Ainsi que ce qui donne son nom au film : Hiram décrit le Séder, rituel de la Pessah, qui commémore justement le passage de l’esclavage en Egypte à la liberté en Israël.

Côté récit, les différentes étapes de l’Exode nous sont donc mises en scène avec d’une part le dessin, souvent ironique et direct question mort violente, et de l’autre l’accompagnement musical, des chansons des années 50 à 70 qui enrichissent le propos. Certaines directement inspirées de la Bible, comme Go Down Moses par Louis Armstrong, d’autres moins… comme Paroles… Paroles… par Alain Delon et Dalida. Dont l’utilisation est hilarante. Tout comme le début d’I will survive par Pharaon après les 10 plaies d’Egypte, joliment illustrées avec un humour noir parfait.

Il y a en fait deux facettes politiques dans ce film : d’un côté, ce qu’on peut faire au nom d’une religion, y compris massacrer à tour de bras, ou occuper une terre qu’on s’est accaparé – This Land is Mine, où chaque peuple qui est arrivé sur les terres du Proche Orient se fait flinguer par le prochain, et c’est au final l’Ange de la Mort qui peut réclamer réellement le titre de propriété…
De l’autre, l’effacement des figures féminines – comme la déesse mère – par les religions monothéistes, par un pouvoir patriarcal qui ne s’est jamais gêné pour prendre toute la place. La réalisatrice place ainsi régulièrement les sculptures de Vénus paléolithiques tout au long du film pour représenter ce féminin que les religions du Livre ont effacé autant que possible.


Côté défauts, je redirai sans doute ce que j’avais déjà dit pour Sita Sings the Blues : certaines chansons sont un peu longues et cassent le rythme, quelques secondes en moins par ci par là aideraient sans doute. Mais on ne retrouve pas la redondance du film précédent : si on a l’impression au départ que les chapitres qui s’enchaînent n’ont pas forcément de lien direct, on se rend compte au fur et à mesure qu’il y a un vrai ensemble cohérent. En fait, durant le film, j’ai un peu pensé au style de Liv Strömquist avec ses BD féministes très militantes qui utilisent également beaucoup l’humour et l’ironie pour faire passer son message.

Au final, c’est un film toujours très surprenant qu’on découvre là, très personnel, s’attaquant à des sujets brûlants avec sincérité et efficacité. Les applaudissements sont d’ailleurs très fournis en fin de séance et j’entends plusieurs personnes dire qu’elles ne s’attendaient pas à ça, qu’elles pensaient s’endormir et ont au contraire été totalement prises par le film.

Après la séance, je fais un tour du côté de la conférence de presse.


Nina Paley n’est pas là ? Mais elle a fait tout le film de A à Z ! En fait, elle ne peut pas être à Annecy, pour des raisons de santé, mais elle est quand même avec nous par Skype et répond avec beaucoup d’humour aux diverses questions.
Et nous présente la personne qui se cache sous le nom de Producer X dans le générique. Chantelle Hougland est en fait une amie qui la représente lors des festivals. La réalisatrice faisant ses films seule dans son coin, et ne pouvant pas aller dans chaque festival (qu’elle n’aime pas faire, je la comprends…), elle s’est rendu compte que ce serait pratique que quelqu’un d’autre se charge de ça… d’où Producer X. Qui a d’ailleurs eu du mal à atteindre Annecy à cause de problèmes d’avion, elle est arrivée après le début de la projection du film.

J’apprends ainsi que Sita Sings the Blues avait eu des soucis de diffusion à cause des droits d’auteurs sur certaines chansons. Pour celui-ci, c’est bien simple, elle ne s’en est absolument pas occupé. En effet, elle est un militante engagée pour la culture libre. Sita Sings the Blues est ainsi passé sous licence libre et comme elle le dit, les gens n’ont pas regardé son film parce qu’il était gratuit mais parce qu’ils ont entendu dire qu’il était bon…
Et Seder-Masochism sera également disponible gratuitement une fois la période d’exclusivité des festivals passée (peut-être six mois). Pas de sortie DVD à attendre donc. Mais la possibilité d’accéder à ce très sympathique film facilement, je vous le recommande !
Pour en savoir plus, le site officiel et la bande-annonce.

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