Série en 5 tomes par Haruka Ono, éditée en VF par Akata.
Sens de lecture japonais, 112x176mm, 6,99€.
Premier tome paru en mai 2018.
Akata continue son exploration des thèmes LGBT avec cette fois-ci Aromantic (Love) Story de Haruka Ono.
Futaba Kiryû est une mangaka de 32 ans. Son créneau, ce sont les shônen s’intéressant à des problèmes sociaux lui permettant de parler de thèmes bien rudes qui lui tiennent à cœur. Mais vu l’échec commercial, son éditeur lui demande de se tourner plutôt vers le… harem manga, une comédie romantique où un garçon sera entouré de filles n’espérant que sortir avec lui. Problème : Futaba et l’amour, ça a toujours fait deux. Ce qui n’empêche étonnamment pas son manga d’avoir du succès…
Après lecture de ce premier tome, je pensais attendre d’en voir un peu plus avant d’écrire une chronique. Car je ne suis pas totalement convaincue et que je ne sais pas trop vers quoi va se tourner l’autrice…
La première partie du volume est très bonne : Futaba est un personnage aussi drôle qu’intéressant. Enthousiaste et passionnée, elle a un côté quasi-militant quand elle dénonce les injonctions genrées essentialistes de la société. Notamment l’idée que “l’amour est au cœur de la vie des femmes” comme ose lui balancer son éditeur. Alors qu’elle-même est justement la preuve du contraire.
L’amour, les relations romantiques, le couple, tout ça ne l’intéresse pas le moins du monde. Elle ne supporte pas que tout autour d’elle ne cesse de proclamer qu’une femme non amoureuse est forcément malheureuse et que le seul destin qui attend ses congénères féminines est de tout faire pour plaire (à la gente masculine qui plus est, parce que la société reste extrêmement hétéronormée).
Alors forcément, quand elle se retrouve obligée de travailler sur un manga centré sur quelque chose dont elle ne sait rien, et qui ne l’intéresse aucunement… elle bouillonne. Le manga est un succès alors qu’elle-même le trouve caricatural, sans une once d’originalité et même pourrissime selon ses propres termes.
Toute cette critique du système, des obligations de la société patriarcale qui ne voit dans les femmes que des êtres conditionnés uniquement à se caser au plus vite est donc plutôt réjouissante.
C’est quand les deux mecs de la série se pointent que j’accroche nettement moins. D’un côté, le jeune taciturne qui lui fiche la trouille, de l’autre le quadragénaire sûr de lui et embobineur de première. Deux hommes qui rentrent dans sa vie et comptent y tenir une place rapprochée alors qu’elle-même ne voit à la base aucun intérêt à ça.
Autant le personnage de Futaba confiante, mal lunée et grande gueule est attachant, autant la voir perdre tous ses moyens, ne pas savoir comment se conduire et manquer de se noyer dans son stress dès qu’un mec s’intéresse à elle est assez rageant. Difficile de ne pas craindre de voir la situation se retourner en mode “Ah mais en fait c’est juste que je n’avais pas trouvé le bon qui allait faire battre mon petit cœur de midinette qui se mentait à elle-même”. Elle perd toute assurance et j’ai l’impression de me retrouver de nouveau dans un shôjo classique avec deux beaux gosses qui tournent autour de leur pauvre petite proie toute tremblotante. Alors qu’elle aurait tout aussi bien pu les envoyer bouler, sachant très bien ce qu’elle veut et ne veut pas. Elle est aromantique ou juste célibataire par flemme/stress ?
(Si vous n’êtes pas familier·e·s avec l’aromantisme, souvent associé, même si c’est différent, à l’asexualité, n”hésitez pas à jeter un œil au site AVEN ou à l’Aven Wiki, par exemple.)
Petite remarque également : en page 98, elle dit “La réaction typique de ceux qui ont la chance d’être nés hétérosexuels”. La chance ? Vraiment ? Elle est donc si mal dans sa peau ?
Qui plus est, parler de travestissement pour un personnage transgenre, n’est-ce pas quelque peu maladroit ? Une femme trans ne se travestit pas quand elle porte une robe, elle s’habille, simplement.
Ça fait un peu grincer des dents…
(Edit : pour en savoir plus, allez voir le commentaire de SHK en dessous de la chronique. Il apporte des éclaircissements intéressants.)
Bref… Ce premier tome nous présente une héroïne intéressante (et ses deux meilleures amies ne sont pas mal non plus) qui remet en question beaucoup de choses et c’est aussi réjouissant que drôle.
Mais je suis nettement plus réservée avec les deux hommes qui débarquent et semblent lui pomper toute sa flamboyance énervée.
La série faisant 5 volumes, je vais néanmoins lui laisser sa chance pour voir si la mangaka finit par tomber dans la romance la plus basique ou redonne un peu d’explosivité à son héroïne.
Tome 2 prévu pour le 23/08/2018 (Et je m’inquiète un peu à avoir la couverture française : un des deux prétendants, tout seul, sans même l’héroïne. OK…).
En même temps il faut bien que l’histoire se crée, si l’héroïne envoie bouler les 2 protagonistes masculins dès le départ, y’a plus d’intérêt au développement des convictions de l’héroïne. Je trouve intéressant au contraire que plusieurs orientations soient entremêlées.
Après attention il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas conscience d’être aromantique ou asexuelle. Certaines personnes défendent les mêmes idées que l’héroïne du manga, parfois beaucoup avec moins d’affirmation, mais ne se sont jamais posés la question de ce qu’il en était pour eux-mêmes.
Certes, les envoyer bouler pourrait couper un peu l’histoire… ou pas. Tout dépend justement ce que l’autrice veut faire de son héroïne. Si c’est pour finalement retomber sur un classique shôjo, je trouve que ce serait un peu renier le parti pris de départ.
On nous vend quand même le manga comme quelque chose d’aromantique – c’est le titre de la série quand même -, pas juste une célibataire qui perd tous ses moyens face à deux prétendants. Donc voilà, ça me laisse perplexe pour un premier volume mais je reste ouverte pour un second tome.
Pour ma part, j’ai eu le même ressenti que toi, Morgan. La première partie est bien sentie, même si le propos n’est pas très subtil, ce qui est un peu dommage. Par contre, dès qu’a débarqué le vieux-beau dragueur et sûr de lui, le titre a chuté en qualité, à cause justement de la réaction de Futaba. J’ai trouvé aussi que la traduction n’était pas trop au point dès que ça touchait aux différentes problématiques du genre (ceci dit, vu que les questions du genre partent dans tous les sens et que tout le monde un peu hors norme revendique tout et n’importe quoi, c’est compréhensible), à moins que ça ne soit le texte original qui soit fautif et la traduction ne fait que montrer ce manque de maîtrise, notamment lors des deux points que tu as évoqué dans ta chronique. Je suis tout de même curieux de voir comment ça va évoluer, même si je ne suis pas très optimiste, je dois avouer.
Ce n’est pas forcément très subtil mais on est dans un manga, pas dans un traité de socio en même temps 🙂 Et puis la subtilité, je ne crois pas que ce soit la qualité première de Kiryû 😉
C’est pas faux 🙂
Mais moi, j’aime la subtilité dans les mangas. Il faut dire que je suis en pleine relecture des titres de Fumi Yoshinaga, et c’est une maîtresse dans l’art de dire les choses sans insister (trop) lourdement 🙂
Je n’en doute pas… mais c’est plus “simple” d’être subtil sur certains sujets que sur d’autres.
Snif snif… T_T Je pensais sincèrement que le titre allait t’enthousiasmer plus que ça.
Juste pour rebondir sur quelques petites choses :
– À propos du titre : en japonais, le titre traduit littéralement donne “Maître Kiryu ne comprend rien à l’amour”. Mais bon… En soi, le projet était très risqué, et je voulais absolument éviter un titre qui fasse bête “shôjo manga”, et je voulais un titre frontalement évocateur. Fallait-il utiliser le mot “Aromantic” ou pas. Je ne veux pas spoiler, donc, c’est compliqué. Mais les questions d’aromantisme, d’asexualité, les différentes formes du sentiment “amoureux” (au sens très large du mot), le désir sexuel, l’affection… Toutes ces choses vont être abordées dans le manga. Après, il y a bien un triangle relationnel dans le manga, un trio de personnages dont on observe les interactions, et avec des personnages qui éprouvent de l’amour. En ce sens, il me semble que le titre qu’on a choisit évoque bien ça : “Aromantic” en gros, pour l’héroïne. “(Love)” en plus petit, et entre parenthèses, pour les deux personnages masculins”. Et “Story”. Notre titre n’est pas uniquement centré sur Kiryu, en fait. Ce que je peux dire, en tout cas, c’est qu’au Japon, les voix des non-satisfait.e.s de la conclusion du manga sont celles des lecteur.ice.s de romances très conventionnelles aux conclusions très banales.
– A propos de la fameuse page 98, et notamment des termes “travestissement” et “transgenre” : aaaaaah, qu’est-ce que je m’en veux… Concrètement, si on regarde la page en français, on voit qu’il manque un espace entre deux mots (qui sont du coup collés). Bah, j’avais commencé à faire une correction. Et puis comme sur le moment, je ne trouvais pas comment formuler le passage correctement, j’ai continué pour y revenir plus tard. Et comme on était très en retard, et qu’on croule sous le travail, j’ai zappé (mais genre, trou noir dans le cerveau) T_T Et après, quand j’ai réalisé, c’était trop tard. Mais en fait, ce n’est pas comme ça en japonais. Après correction, ça donne : “Haru est un personnage transgenre”, “il ne s’agit pas d’un travestissement à ses yeux”. Et quand même, ça n’a plus du tout le même sens. Je suis tellement frustré d’avoir laissé passer ça…… T__T (cela étant dit, il faudra aussi corriger 4 pages avant)
– Pour le côté “la chance d’être né hétérosexuel” : en fait, il y a une nuance difficile à retranscrire sans faire trois kilomètres de phrases. Ici, le terme “chance” n’évoque pas “l’envie d’être”. Mais plutôt “la bonne étoile”. Dans le sens, “le genre de propos qu’on peut se permettre de dire quand on est hétéro” / “parce que c’est plus facile d’être hétéro”. Dans le sens “c’est parce qu’il connaît la facilité d’être hétéro et l’orgueil qui va avec qu’il peut se permettre de dire ça”. Je sais pas si je suis très clair…
– Et pour les couvertures… Ah ah ah ! Ca a aussi été un sac de noeud !!! Je voulais absolument éviter les couvertures japonaises, qui font vraiment “comédie romantique lycéennes”. Mais il y a très peu de matos couleur disponible. En même temps, je me suis dit qu’en mettant des personnages seuls dès le tome 2, c’était clair sur le message : personnage seul = c’est pas une comédie romantique = pas de couple. C’est sûr qu’on aurait pu mettre Kiryu toute seule… Mais il y a un seul autre visuel couleur de Kiryu toute seule. Alors je le garde pour le tome 5. Spoiler : Assassin sera en couv du 3. Et pour le 4, c’est pas décidé : soit les deux amies de Kiryu, soit Shima (mmm… je pense que tu vas me dire plutôt les deux amies ?? J’avoue que mon coeur penche de ce côté, même si elles apparaissent moins dans l’histoire)
Merci pour ces infos 🙂
Je me doute que ce n’est pas évident notamment niveau trad, déjà parce qu’on n’a pas la même perception de ces sujets au Japon et en France, et ensuite parce que même en étant sensibilisé·e à ces questions, c’est super casse-gueule…
Pour les couvertures, c’est clair que les versions japonaises… c’est pas possible ! Et niveau dispo des illustrations, quand je vois déjà la pauvreté de ce qu’on peut trouver sur le net niveau images de la série (impossible de trouver une image utilisable pour la mise en avant de la chronique, j’ai dû me rabattre sur la couverture)…
J’imagine donc que la série n’a pas super marché au Japon ? Il faut dire que les couvertures, justement, ont pu vraiment fausser ce que voulait raconter la série et donc perdre des lecteurs/trices potentiel·le·s qui ont fui devant un possible “shôjo de plus”.
Pour le sujet du manga lui-même, de toute façon, ce n’est qu’un premier tome. J’attends vraiment de voir vers quoi va tourner la suite…