Série en cours par Yuhki Kamatani, éditée en VF par Akata.
Sens de lecture japonais, 127x180mm, 7,95€.
Premier tome sorti en février 2018.
Après Le mari de mon frère, Akata nous propose une nouvelle série LGBT avec Éclat(s) d’âme de Yuhki Kamatani, déjà connu·e pour Nabari chez Kazé Manga.
Deux jours avant les vacances d’été, Tasuku est outé par ses camarades de classe. N’ayant déjà lui-même pas accepté son homosexualité et ne supportant pas l’idée d’être rejeté, il veut mourir. Mais alors qu’il allait se jeter dans le vide, il aperçoit en face de lui une jeune fille qui saute… Catastrophé, il se précipite vers la maison concernée et entre dans un Salon de discussion, ouvert à tou·te·s…
Voilà plusieurs années que le marché manga francophone a vu quantité de séries Boy’s love remplir les rayons des librairies. Mais à côté de ces titres souvent assez crus (sans parler de l’omniprésence des viols et autres relations « problématiques », ces séries étant plutôt des usines à fantasmes pour les mangaka à destination d’un public de femmes hétéro) et peu représentatifs de la réalité des couples gays (ce qui ne présume en rien la qualité des œuvres en question, il y a de très bons titres), on a encore peu de séries s’intéressant réellement au quotidien des personnes LGBT.
Éclat(s) d’âme en fait partie. Et pour cause : Yuhki Kamatani se définit comme X-gender, terme utilisé au Japon là où on utilisera plutôt genderqueer ou non-binaire en Europe et aux USA. Bref, quelqu’un de concerné par toutes ces questions (très larges) sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Tasuku est un lycéen a priori sans histoire jusqu’à ce que ses camarades le surprennent en train de regarder un porno gay sur son téléphone. Il n’en faut pas plus pour qu’il commence à entendre les mots « pédé » ou « tapette », malgré tous ses efforts pour démentir, quitte à en rajouter dans l’homophobie ambiante.
Mais comment supporter le regard des autres quand soi-même on ne supporte déjà pas l’idée d’être différent ? Submergé par la honte et la culpabilité, il ne voit d’autre issue que la mort.
Une réalité notamment en France puisque, comme le rappelle SOS Homophobie :
« Selon les études épidémiologiques récentes, les jeunes LGBT ont ainsi 2 à 7 fois plus de risques d’effectuer une ou plusieurs tentatives de suicide au cours de leur vie que le reste de la population. Ces risques sont de 2 à 4 fois supérieurs pour les filles, et de 5 à 10 fois pour les garçons. »
Tasuku n’est donc pas un cas isolé, contrairement à ce qu’il peut croire. Mais il suffit parfois d’un petit coup de pouce du destin pour passer de la mort à la renaissance. Sans savoir où il va, le jeune homme rencontre de nouvelles têtes dans un Salon de discussion, une maison ouverte à tou·te·s, où personne ne sera jugé ou montré du doigt, où chacun·e pourra trouver une place où s’asseoir, reprendre son souffle et se vider de ses angoisses.
On ne sait pas grand-chose de cet endroit, et encore moins de son fameux « hôte », qui fascine Tasuku, énigmatique personnage qui pousse les gens à se confier sans jamais rien dévoiler. Mais il y a aussi d’autres habitués, comme l’énergique Haru, dont l’exemple touchant va fortement impressionner le lycéen et le pousser à affronter sa peur.
Tasuku est en pleine confrontation avec son homophobie intériorisée, se sentant incapable de supporter le regard d’une société encore trop fermée sur le sujet. Ses mots, sa douleur, ses tourments tapent juste et font écho à bien des ressentis (dont le mien, il y a 20 ans…), avec cette peur, justifiée ou pas selon les cas, d’être rejeté, moqué, en tout cas incompris. Les sociétés on beau avoir évolué sur le sujet ces dernières années, l’homophobie n’en a pas pour autant disparu, s’exprimant différemment selon les pays et leur culture. Et pas besoin de violence physique pour donner envie de mourir, les mots et la pression sociale qui en découle sont largement suffisants pour briser des vies.
Mais dans ce premier tome, c’est surtout l’espoir, la bienveillance et la tendresse qui prédominent. Tasuku est terrifié mais ces nouvelles personnes qu’il rencontre l’aident à passer un cap et à peut-être apercevoir l’idée d’un avenir possible. Si certains de ses camarades de lycée font dans l’homophobie basique, à coups de moqueries et mots blessants, sans même se rendre compte de la gravité de leurs réactions et leurs possibles conséquences, le focus n’est pas sur eux mais sur le ressenti du jeune homme et le chemin qu’il doit déjà gravir lui-même avant de pouvoir faire face aux réactions extérieures.
Le trait de Kamatani est très agréable, totalement maîtrisé, avec une narration fluide, dégageant énormément de tendresse et de douceur, avec certaines pages extrêmement poétiques et intenses.
Éclat(s) d’âme commence donc fort avec ce très beau premier tome, attachant et touchant, sachant parler de sujets graves avec beaucoup de délicatesse et de justesse, sans jamais en faire trop. Une nouvelle excellente pioche après Le mari de mon frère.
Hâte de lire le volume 2, prévu pour le 03/05/18, et découvrir d’autres parcours de vie dans cet attachant Salon de discussion.
J’avais lu le communiqué de presse d’Akata avec intérêt, j’avais ensuite lu ta chronique avec encore plus d’intérêt, même si c’était pour prêcher un convaincu. Et c’est convaincu par ce premier tome, que je suis !
Après un début que je trouve narrativement mal maîtrisé, l’auteur·e réussi assez rapidement à trouver le ton juste pour poser le problème de l’homophobie et des souffrances que cela occasionne, tout en réussissant à proposer des personnages vraiment attachants et un récit très plaisant à lire. Et, effectivement, les petits cliffangers de la fin donne vraiment envie de lire le tome 2 🙂