Ce n’est pas une découverte : le monde va vite. Très vite. Les récents événements n’ont fait que le démontrer une fois de plus. Nous sommes submergés par l’information, tout le temps, constamment. Les chaînes d’info continue, les réseaux sociaux et notamment Twitter… ils n’en sont pas la cause mais sans doute parmi les éléments les plus visibles de ce nouvel aspect de notre société.
Bien sûr, on peut décider de décrocher, se déconnecter… mais ça ne fait pas disparaître par magie les conséquences globales d’un tel système où la vitesse compte plus que tout. Des conséquences qui peuvent être douloureuses et dangereuses.
Ainsi, l’actu tragique de ces derniers jours le montre bien. On réagit dans l’émotion, on sur-réagit même, on est dans l’ultra-sensible, comme dans un état de choc… et la raison est déconnectée, on ne peut pas réfléchir, analyser. On ne fait que réagir, par instinct.
Et le vrai souci de cette vitesse, c’est que quand les choses se calment, que le drame commence à être digéré et qu’on pourrait enfin prendre le temps de se poser, de se calmer, de réfléchir, comprendre, chercher, faire évoluer ses pensées et prendre en compte toute la complexité du sujet, bien loin d’un basique manichéisme de premier abord… on passe déjà à l’actu suivante, au nouveau fait divers, à la dernière atrocité et le cycle de réaction épidermique purement émotionnelle recommence.
Résultat, on n’apprend pas. Jamais. On ne peut pas. Le cerveau est constamment bombardé d’infos et ne peut jamais aller loin dans ses réflexions. On reste dans l’émotion aveugle et biaisée constamment. À partir de là, il est facile pour certains de profiter de cet état pour balancer leur propagande (qui prend du temps à être questionnée, vérifiée et invalidée), leurs rumeurs, leurs hoax et ainsi manipuler en utilisant la vitesse et la précipitation à leur avantage. Une rumeur, ça prend deux secondes à créer, une analyse de fond prend des jours de travail. Et on sera nettement plus sensible à juste quelques mots, vite lus, vite entendus, qu’à un papier complet que beaucoup ne liront pas.
Et puis il faut pouvoir chercher plusieurs infos sur le même sujet, les recouper entre elles, trouver les sources, les vérifier – un communiqué officiel d’un ministère n’aura pas la même portée que le contenu d’un site extrémiste – et tout le monde n’est pas égal face à ça : on n’a pas forcément été éduqués ou préparés à ce geste, on n’en a pas toujours le temps, ou la force tant nos vies peuvent être épuisantes.
Bien sûr, ce n’est pas nouveau. Mais la vitesse imposée par notre société aujourd’hui, et les outils technologiques mis à notre disposition parfois sans aucune mise en garde – tout le monde n’a pas forcément le bagage et le recul nécessaires par rapport à ça – rendent le phénomène d’autant plus sensible et préoccupant.
Il est facile de s’emballer, de se faire balader par quelques mots, et même d’oublier le poids de ces quelques mots. Toute violence commence par des mots. Tout coup de bâton, de barre de fer, de fouet, tout tir de kalachnikov, toute bombe qui explose commence par des mots. Des mots de haine, de vengeance, d’incompréhension, de peur, de mépris, de condescendance, de négation d’importance ou de réalité. Les mots peuvent devenir une arme si on n’est pas vigilant, si on se laisse emporter par le flux, la vitesse, l’émotion.
Il faut aussi être bienveillant pour ceux qui ont la trouille, qui souffrent. Qui ont le “mauvais” patronyme, la “mauvaise” couleur de peau, la “mauvaise” religion selon certains. Pour contrecarrer la haine qui peut se dissimuler derrière le moindre mot, le petit geste, le froncement de sourcil, il faut être vigilant.
Et pour contrecarrer cette vitesse qui déshumanise, lisse, uniformise et nie l’importance des choses, à chacun de voir ce qu’il peut faire. Prendre le temps, parfois, de calmer le jeu et de chercher à comprendre, d’être honnête avec soi, de faire face à ses émotions et à ce qu’elles suscitent de pas forcément positif, d’accepter des trucs pas forcément reluisants mais qu’on peut ensuite d’autant mieux déconstruire qu’on les a cernés. Et tenter de réfléchir, d’analyser un minimum, pour prendre un peu de recul. Faire des mots nos alliés pour partager, construire, créer.
Pour ma part, à mon modeste niveau, c’est à ça que me servent les chroniques. Pour ne pas simplement “consommer” mais en sortir quelque chose. Ne pas juste rester à la surface. Comprendre ce que ça m’a fait ressentir et pourquoi. Un peu d’esprit critique juste pour voir les choses plus en profondeur, sous d’autres angles. Ne pas forcément rester sur une première impression, chercher les nuances. Très bon entraînement au quotidien.
N’oublions pas que la culture, la recherche, l’éducation sont les premiers remparts face à l’obscurantisme.
À chacun de trouver ses propres moyens d’action face à tout cela. Selon ses capacités, ses possibilités, ses principes, ses envies. Puis d’assumer ensuite ses choix et leurs possibles conséquences, d’en accepter l’entière responsabilité plutôt que de la faire porter à d’autres.
À chacun de s’interroger sur la société qu’il voudrait voir émerger. Au delà de l’émotion fugace.
J’avais écrit un billet sur Tumblr il y a quelques jours.
Et aussi un petit lien vers une BD sur le regard d’autrui qui me semble plutôt pertinente…
Oh puis pour finir par un peu de tendresse, une BD de Silver.