Film d’animation d’Isao Takahata, 2h17.
Sortie en salles en France le 25 juin 2014.
Sortie en DVD/Blu-ray prévue pour le 29 octobre 2014.
Vu les horaires de la semaine suivante pour les projections, je me trouve un créneau pour enfin aller voir le dernier film d’Isao Takahata, Le conte de la princesse Kaguya. Ayant eu la chance d’assister à une rencontre avec le réalisateur il y a quelques semaines pendant le Festival d’Annecy, ce serait tout de même dommage de ne pas voir ce dont il a le plus parlé (même si j’aurais préféré voir le film avant)…
Au Japon, tout le monde connaît le conte du coupeur de bambou. Un conte apparemment écrit aux alentours du Xe siècle, qui a de nos jours inspiré bon nombre de mangas mais a été peu adapté au cinéma. Isao Takahata avait déjà eu au début de sa carrière le projet d’y consacrer un film, sans succès. C’est désormais chose faite près de cinquante ans plus tard.
Un jour dans une bambouseraie, un vieux coupeur de bambou voit un tronc briller, une pousse sortir sous ses yeux avec dedans une magnifique petite princesse. Il la ramène chez lui et sa femme se retrouve alors avec un adorable bébé dans les bras. Ils en deviennent les parents adoptifs fous d’amour pour leur nouvelle petite fille, qui pousse aussi vite que du bambou. Les gamins du village la surnomment ainsi Pousse de bambou. Mais son père pense qu’elle mérite mieux et l’emmène à la capitale dans un luxueux palais qu’il a fait construire pour elle avec de l’or trouvé dans une autre pousse…
Pour sans doute son dernier film, qui a pris des années à être terminé au point que les membres de Ghibli se demandaient s’il comptait vraiment le finir un jour (dans le documentaire The Kingdom of Dreams and Madness), Isao Takahata adapte à sa sauce un conte très connu mais à son sens peu détaillé. Il se propose donc d’en apporter sa version, loin d’un conte de fée proprement dit (malgré le titre) mais plutôt pour montrer le quotidien et l’intériorité de Kaguya.
Comme à son habitude, là où Miyazaki garde souvent le même style graphique, Takahata en explore un nouveau, comme il avait pu le faire sur certaines scènes de Omoide Poroporo ou bien sûr Mes voisins les Yamada (son film précédent qui date… d’il y a 14 ans). Ici, il s’attache à mettre en scène un trait plus proche de l’esquisse, du croquis, que du dessin finalisé, dans le but d’apporter une touche de spontanéité, comme si le trait venait d’être fait sous nos yeux. Cela apporte une réelle énergie, un rythme très direct, non pas comme si on nous racontait une histoire mais comme si on la vivait de l’intérieur.
S’il n’y a aucun doute sur le fait qu’animer un tel style et réussir à garder une cohérence graphique pendant plus de 2h a été le principal défi, le résultat est hallucinant. Les décors sont incroyables, d’autant plus sublimés par le blanc qui les entoure, et si on ne joue pas le jeu du détail à la Miyazaki, l’attention portant plutôt sur le global chez Takahata, l’ensemble est d’une beauté saisissante, notamment les scènes en pleine nature, la floraison des cerisiers, les balades dans les champs, débordant là encore d’énergie, de vie tout simplement. On ressent alors fortement les émotions de la jeune fille, amoureuse de ces champs et forêts, des animaux, des herbes sauvages.
Quand elle se retrouve à la capitale, loin de toute cette nature et de ce qui faisait jusque-là son quotidien simple et sans histoire, elle ne sait alors pas ce qui l’attend vraiment. Son père qui construisait des petits cages aux barreaux de bambou quand elle était petite lui a ainsi fabriqué sans s’en rendre compte une énorme cage sous la forme d’un palais. Une cage magnifique, remplie de beaux vêtements soyeux, de bons repas toujours garantis, d’un toit au dessus de sa tête… mais une cage tout de même où Kaguya perd toute liberté et découvre les obligations et privations d’une femme de la noblesse de l’époque : sois belle, selon les standards du moment qui font tout pour que la femme soit la moins naturelle possible, tais-toi, assieds-toi et ne bouge plus. Ta vie est finie, tu es devenue un ornement, un beau meuble, une décoration pour le prestige de l’homme à qui tu appartiens.
Inutile de dire que la dynamique jeune fille, qui a encore tout à découvrir, a du mal à se plier à ces règles si étroites d’où rien ne doit sortir, où aucun choix ne lui est permis, où seul un mariage arrangé avec un riche héritier est possible.
Ainsi, son père, par amour pour elle, ne voulant que son bonheur, l’enferme et la rend malheureuse sans qu’il accepte de s’en rendre compte. Pas un mauvais bougre mais tout l’amour qu’il a pour sa fille ne parvient pas à dépasser les préjugés et constructions sociales de l’époque, où le “bonheur” d’une femme ne passe que par un conjoint riche, de beaux vêtements et une vie totalement vide. Incapable de l’écouter ou même simplement de l’entendre, il s’entête dans ses projets de grandeur, toujours à courir après une gloire supplémentaire.
Kaguya peut néanmoins compter sur sa mère nettement plus compréhensive, même si elle ne peut pas grand-chose face aux décisions totalement absurdes (à nos yeux d’occidentaux du XXIe siècle, sans doute) de son mari. La tendresse que les deux femmes partagent est extrêmement belle et touchante.
Mais au delà de l’histoire en elle-même, qui reprend les grandes lignes du conte original, c’est le ressenti et le personnage de Kaguya qui concentre tous les regards. Son dessin, son animation, tout concourt à la rendre immédiatement attachante et sympathique, très belle et expressive (les yeux notamment, rarement vu un regard aussi profond dans un film d’animation), d’autant plus quand on voit qu’elle se retrouve vite déchirée entre son dégoût des contraintes que son nouveau rang lui impose et son envie constante de faire le bonheur de son père malgré tout. Intelligente, brillante, drôle, tour à tour spontanée et réfléchie, la jeune fille intrigue et fascine. On ressent profondément sa tristesse, sa recherche de ce qu’elle doit faire, ses doutes, ses peurs, son envie de vivre simplement sa vie, au delà des règles et des obligations.
Certaines scènes sont vraiment très percutantes, comme la fuite après la fête, dans un style très énergique, sauvage, brut, où le trait n’est là que pour l’action, le mouvement pur (style à la base prévu pour une adaptation du Dit des Heiké), ou le cortège à la fin du film, qui fait forcément penser au grandiose défilé de kami de Pompoko.
Takahata, Miyazaki, deux styles très différents, l’un terrien, travaillant sur le réalisme, souvent désabusé, l’autre plus aérien, plus fantastique, avec toujours une lueur d’espoir malgré tout. Là où Miyazaki est à mes yeux un conteur d’histoires, Takahata est plus un semeur d’ambiance, de ressenti. Si ses films ont évidemment une histoire, un scénario, on sent toujours une réelle envie non pas de raconter, mais d’exprimer, de faire passer, de tisser les états d’âme de ses personnages, avec subtilité et finesse. Il en ressort ici énormément de douceur, de délicatesse, de poésie, un peu de tristesse aussi, un mélange de ressentis complexe et bouleversant qui nous reste en tête comme la comptine qu’on entend tout au long du film. Une chanson écrite par Takahata, même si tout le reste de la musique est signé Joe Hisaishi, qui collabore là pour la première fois avec le réalisateur, apportant la finesse et l’élégance de ses notes.
Et pendant la chanson du générique de fin, touchante, l’émotion me prend : cette année, après Le vent se lève, je vois sur cet écran les dernières images de deux maîtres, ayant profondément marqué le cinéma d’animation mondial. Une page se tourne…
Ce film me tentait car j’adore le conte mais j’avoue que même si la BA était belle, j’attendais ta chronique (si si je te lis tu sais) pour être sûre. Ben là je suis suis sûre, je vais foncer au ciné !
J’espère que le film te plaira ! J’avoue que tout ce que je connais du conte, c’est grosso modo un résumé lu sur Wiki mais bon… 😀
Une belle critique pour un beau film. Merci !
Merci ! Je n’étais vraiment pas sûre de mon coup quand j’étais en train de l’écrire…
“Je n’étais vraiment pas sûre de mon coup quand j’étais en train de l’écrire…”
Ah, comme je comprends ! Après l’avoir vu j’ai eu beaucoup de mal à en dire quoique ce soit. “Wow !” “Ce film est magnifique.” Ce n’est pas assez et ça ne résume pas du tout ce que je ressens.
Ce que j’ai ressenti en voyant ce film ne s’explique pas par les mots. Du coup quand on me demande “Alors ce film ?”, me voilà bien embêté à rechercher des formules complexes pour en parler sans trahir le véritable fond de ma pensée.
Tout à fait. Je pense qu’un deuxième visionnage ne serait pas de trop pour mieux cerner le film mais ça devra attendre la sortie du blu-ray…
J’ai trouvé ce film magnifique aussi, je trépignais d’impatience à l’idée de ce projet déjà (fétichisme, tout ça…). Takahata parle de beaucoup de choses à travers ce film, et je comprends sa réaction face au titre français. Il y a tout ce thème de vivre libre, de retour à la nature, retour à ce que la terre a de plus beau à offrir, retour à la vie simple, mais aussi et surtout, je pense que ce film parle beaucoup aux enfants nés en Asie dans la mesure où Kaguya vit complètement pour ses parents et les rendre heureux. Surtout son père. La relation entre Kaguya et sa mère m’a beaucoup touchée. C’est beau visuellement, et c’est très beau au niveau de l’histoire également.
Bon résumé des thèmes abordés en effet.
Et c’est vrai que l’envie de Kaguya de rendre son père heureux envers et contre tout ce qu’elle est, est très marquant, et forcément d’autant plus étranger à la conception occidentale des rapports parentaux, nettement plus dans le conflit et l’individualisme (pour caricaturer).
La seule référence à Princesse Kaguya que j’ai en tête c’était dans le jeu Okami où Kaguya est en fait une extra-terrestre qui est arrivée bébé dans un vaisseau spatial en forme de pousse de bambou.
J’imagine qu’ici, ça n’a rien à voir ?
Euh…
** SPOILERS **
Disons que dans le conte comme dans le film, Kaguya vient de la Lune. Et on ne voit de son arrivée que la pousse de bambou qui surgit du sol et s’ouvre sur elle…
** SPOILERS
Je vais donner une vision très très subjective du film que je viens de voir. Notamment à travers la scène finale.
*SPOIL*
Au moment où la “famille” de Kaguya vient la chercher, une émotion étrange m’a pris aux tripes. Un sentiment si familier où je me suis reconnu totalement dans le personnage (mais je ressentais une grande joie intérieure, et pas l’angoisse de Kaguya). En effet, depuis quelques années, je crois, je vis, je ressens profondément que notre vie, ici, n’est pas la vraie vie et que nous venons d’ailleurs. C’est une vérité que je ne peux partager qu’avec des mots : si cela n’évoque rien en vous, ces paroles ne vous sont pas destinées. Mais pour moi, ce conte de Kaguya est un des nombreux témoignages issus d’une sagesse ancienne et oubliée, à une époque où nous avions encore le souvenir ou, tout du moins, la nostalgie de nos origines. Je trouve que cet aspect est bien passé dans le film, notamment à travers ce “manteau de l’oubli” qui efface tout souvenir de la vie terrienne de la mémoire de Kaguya. Comme un mauvais rêve dont on finit par se réveiller et pour lequel on n’éprouve plus aucun intérêt.