Volume unique par Fumio Obata, édité en VF par Gallimard collection Bayou, en VO chez Random House, 170x240mm, 160 pages, 22,00€, sorti en mars 2014.
C’est par le blog de sa traductrice que j’ai appris l’existence et la sortie d’Un thé pour Yumiko chez Gallimard en mars 2014. Charmée par la couverture et intéressée par l’histoire, je n’ai pas hésité lorsque je l’ai vu en librairie.
Yumiko est graphiste dans une petite boîte fondée avec des amis au cœur de Londres. D’origine japonaise, elle ne rentre que rarement voir sa famille. Mais son frère l’appelle un soir pour lui annoncer la mort accidentelle de leur père. Son voyage pour les funérailles sera l’occasion de s’interroger sur sa vie et ses choix…
Fumio Obata, l’auteur, connaît un peu la même situation que son héroïne. Né à Tokyo, il est parti durant son adolescence finir ses études à Londres et publie désormais en anglais. Avec Un thé pour Yumiko, il n’explore pas seulement l’évidente réaction au deuil mais surtout la question de l’expatriation, de l’endroit qu’on choisit pour être son foyer face à celui qui reste ancré en nous.
Yumiko est ainsi partagée : elle est fière de sa vie à Londres, de son indépendance, de la place qu’elle a fini par s’y creuser à force de travail et de persévérance, dans cette métropole où toutes les nationalités et les cultures se croisent, se mêlent, se rencontrent.
Mais en même temps… elle reste japonaise et même si elle supporte mieux l’été anglais que sa version nippone, quelque chose en elle reste attaché à son pays d’origine.
Sa vie ne serait-elle qu’un rôle qu’elle joue, en fonction de ses parents ? D’un côté, son père, de l’ancienne génération, la poussant constamment à se marier, à rentrer dans le rang de l’épouse docile qui n’a de toute façon pas besoin de faire de grandes études, lui ne comprenant donc pas son désir à la sortie de l’adolescence de partir finir ses études à Londres.
De l’autre, sa mère, intellectuelle, indépendante, n’ayant jamais renoncé à travailler, à utiliser ses capacités malgré les reproches de la famille… Yumiko aurait-elle eu la vie que sa mère aurait rêvé d’avoir et donc choisi cette voie pour y répondre et non par réelle envie ? Toute sa vie, toutes ses envies, tous ses choix n’auraient-ils été dictés qu’en réponse à des normes, à des dogmes, à des obligations acceptées ou refusées ? Cette pièce nô entrevue par hasard il y a quelques années et qui revient la hanter, avec ses masques, ses rituels, ses gestes millimétrés, sa recherche de l’essence du beau au delà de la performance elle-même… Serait-ce une manière pour elle de se pousser à faire face à une réalité qu’elle a enfouie mais qui la perturbe de plus en plus ?
Mais la mort de son père marque une fin. Elle ne pourra plus lui demander sa permission, sa bénédiction, quoiqu’elle fasse, il n’en saura rien. Un lien est rompu. Dans la douleur, forcément, mais cela lui permet de réaliser et comprendre quel chemin est vraiment le sien, sans plus avoir de masque à porter, de rôle à jouer, de permission à demander… Vivre par et pour elle-même, avec ses propres choix, sans rien attendre de sa famille.
Ce tour au Japon, c’est aussi une occasion de percevoir de plus en plus fort les différences de mentalité avec son pays d’adoption : l’hypocrisie manifeste des conventions à respecter, l’absolue priorité des apparences à sauver, l’inertie entretenue face aux changements… Toute la cérémonie funéraire avec ses rituels et ses traditions sans fondement la ronge et la bloque dans son deuil qu’elle ne parvient pas à s’autoriser à ressentir. Écartelée entre deux pays, deux cultures, elle oscille, tangue, s’interroge et cherche sa propre route.
Un thé pour Yumiko, c’est également la découverte d’un dessin, d’un trait élégant, délicat, sensible et épuré, tout en nuance et en douceur. L’aquarelle qui apporte la couleur est superbe, chaleureuse et tendre, dégageant énormément de poésie et de finesse. Un vrai bonheur pour les yeux.
On se retrouve là face à une belle œuvre, attachante et touchante, toute en retenue et en pudeur, en sensibilité et en délicatesse, en émotion et en humour, aussi. Un auteur à suivre, assurément (on peut trouver son premier recueil, L’incroyable histoire de la sauce soja, sorti directement en français en 2011 chez La Pastèque)…
Un très beau titre 🙂
Je n’ai pas vu autant que toi la question de l’expatriation (à part au tout début, quand son fiancé lui fait remarquer qu’elle fuit ses compatriotes) mais plutôt celle des traditions et de l’héritage. Mais c’est vrai que le tout est intimement lié de toute façon.
Si je devais chipoter, je dirais que j’aurais aimé un peu plus d’équilibre entre le présent, le passé et la pièce de nô, mais ce serait transformer l’œuvre. J’aurais beaucoup aimé en savoir plus sur le père, mais c’est l’histoire de Yumiko, pas celle de son père.
L’incroyable histoire de la sauce soja m’intrigue, rien que de nom. Tu sais s’il est possible de se le procurer depuis la France ?
Pas de souci pour se le procurer, on le trouve sur A**zon, BD Fugue ou Momie donc commandable dans toutes les librairies de France je pense.