8 décembre 2022

C’est toi ma maman ?

Volume unique par Alison Bechdel, édité en VF par Denoël Graphic, 150x225mm, 304 pages, 24,00€. Sorti en octobre 2013. 

En 2014, j’avais tenté de chroniquer le fameux Fun Home d’Alison Bechdel, centré sur son père. Tenté car ce n’est pas une BD facile d’accès et que réussir à écrire dessus n’est donc pas aisé. Deux ans plus tard, je me mets enfin à lire C’est toi ma maman ? qu’elle consacre cette fois-ci à sa mère… et en terme d’accessibilité, on dépasse largement le simple challenge…

C'est toi ma maman ?Fun Home, c’était à l’époque un ouvrage consacré à Bruce Bechdel, père complexe et difficile à cerner avec lequel Alison partageait un amour de la littérature anglaise. Leur relation n’était déjà pas facile, d’autant que le père et la fille étaient liés par une orientation sexuelle différente de la norme, honteuse et cachée pour lui, assumée et revendiquée pour elle. Mais une relation père-fille, ce n’est jamais simple…
Sauf qu’une relation mère-fille, ce n’est pas plus évident, surtout avec une mère comme Helen, aussi artiste que le reste de la famille, professeure, comédienne, monstre d’exigence et de jugements lapidaires.

Chaque chapitre commence par un rêve, qui sera comme l’entrée en matière, le fil rouge. Autant Fun Home était blindé de références à la littérature anglaise, autant ici on est à fond dans la psychanalyse, dont l’interprétation des rêves. Et ça ne facilite clairement pas la lecture. Bechdel a beau intégrer les extraits de ses auteurs psychanalytiques, tels que Freud ou Winnicott ou même Alice Miller, en lien avec Virginia Woolf, leur lecture ne rend pas spécialement les scènes plus limpides, bien au contraire. Ainsi, les deux premiers chapitres sont l’occasion pour le lecteur de vivre une expérience certes désagréable mais intéressante : cette étrange sensation de ne plus savoir lire et de sentir ses neurones fondre ou exploser littéralement à chaque page tournée. Cette impression bizarre d’être complètement largué.e et de ne plus pouvoir que se contenter des dessins pour tenter de continuer sa lecture. C’est bien simple, je n’y ai rien compris et ai commencé à douter de pouvoir continuer tant ma dégénérescence neuronale semblait rapide…
Fort heureusement, les cinq chapitres suivants sont plus “aisés” : soit on commence à comprendre la manière de faire et la logique, soit on a réussi à accepter le fait qu’on resterait limité.e dans la compréhension de l’ouvrage.
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Je reconnais être totalement hermétique à la psychanalyse – alors que tout ce qui a trait à la psychologie ou la psychiatrie a plutôt tendance à me parler -, n’y voyant bien souvent qu’un gros trip egocentré de névrosés narcissiques qui généralisent le fonctionnement du monde entier à leurs propres difficultés pour pouvoir se complaire dans leurs faiblesses (oui, c’est sans doute un bête préjugé… ami.e.s psychanalystes, bonjour). Et vu qu’Alison Bechdel centre tout son ouvrage sur les interprétations psychanalytiques de ses relations avec sa mère, la galère de compréhension est évidente.
Elle mélange allègrement souvenirs d’enfance, d’adolescence, anecdotes en tout genre, sur elle, sa famille ou les auteur.e.s dont elle s’inspire, passe d’une période à l’autre, renvoie à ses séances chez ses diverses analystes… Le lien entre tout n’est jamais chronologique mais utilise des clés d’interprétations psychanalytiques qui multiplient mises en abîme, ellipses et références. Difficile donc de réussir à appréhender efficacement la subtilité des cheminements qu’elle met en image, faisant le parallèle entre sa vie, celle de ses parents, de sa mère, de Winnicott et de Woolf à un niveau tellement élevé/capillotracté/obscur que je me soupçonne régulièrement d’avoir vieilli de 30 ans en une heure…

Et malgré ça, une fois passés les deux premiers chapitres, la lecture redevient plutôt plaisante. On est juste face à une petite fille qui ne sait pas comment aimer sa mère et une mère qui ne sait pas comment aimer sa fille. Elles entretiennent une relation étrange, à la fois symbiotique et prête à exploser au moindre faux pas, alors qu’en fait, elle a réussi à supporter aussi bien les humeurs que le suicide du père, les manquements de la mère, les demandes silencieuses de la fille, et même l’écriture de deux livres sur eux, alors qu’Helen est plutôt du genre à préférer voir les secrets restés bien planqués dans une malle au fond du grenier.
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Si Fun Home avait une part plus quotidienne, plus matérielle, plus physique (le côté paternel ?), C’est toi ma maman ? est plus dans le purement intellectuel, les phrases non-dites, les mots que ne s’échangeront jamais cette mère et cette fille. Peut-être parce que les choses les plus simples, les émotions les plus fortes, les sentiments les plus directs peuvent faire peur par leur limpidité et qu’on tente de les planquer derrière des épaisseurs de complexité, d’interprétations, de rêves qui ne veulent rien dire, d’actes manqués qui n’ont aucune signification tant qu’on n’essaie pas de leur en donner. Par peur d’affronter une réalité simple et peut-être brutale, d’amour et de haine, de fusion et de rejet, de lien et de rupture, nourrie de ses propres manques, faiblesses, doutes, failles qui font ce que nous sommes.

Ce n’est clairement pas la lecture appropriée pour se détendre après une journée de boulot. Mais la sincérité, l’honnêteté, la soif d’introspection d’Alison Bechdel font de cette BD une nouvelle expérience, potentiellement douloureuse, parfois pompeuse, mais étonnante et fascinante.

Une réflexion sur « C’est toi ma maman ? »

  1. Pareil : le premier tiers a été une lecture éprouvante, puis petit à petit, les réflexions ont fait sens et j’ai même trouvé Bechdel attachante (parfois seulement, faut pas déconner :D). Certaines théories m’ont aussi beaucoup parlé. Après, globalement, je trouve cet ouvrage moins bien construit que Fun Home.
    En tout cas, chapeau bas aux traductrices !!

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