15 août 2022

Gewalt

Série en 3 tomes par Kôji Kôno, éditée en VF par Doki-Doki, en VO par Shônen Gahôsha, prépubliée dans le magazine Young King.
Sens de lecture japonais, 130x180mm, 7,50€.

gewalt01Deux mots pour résumer Gewalt : voyous et baston. Ou frustration et baston. Ou hypocrisie et baston. Enfin, baston, quoi…
Genba est en section générale au lycée Tôdô. Le gars ordinaire, sans rien de spécial, faisant tout son possible pour se fondre dans la masse et passer inaperçu. Pas très compliqué du moment qu’on suit le mouvement du groupe, sans chercher, sans discuter, en s’écrasant régulièrement. Et qu’on évite la section technique d’en face, regroupant tous les gros durs, les cogneurs, les fouteurs de bordel et autres losers aussi méprisés que craints. Sauf que Genba commence à étouffer dans son rôle de mouton transparent sans personnalité. Alors pourquoi ne pas tenter de passer de l’autre côté ?

Gewalt, c’est un peu le mélange de Bambina et d’Over Bleed (ce qui va drôlement vous renseigner vu le peu de popularité de ces deux titres). Over Bleed pour les incessantes bagarres qui parsèment les pages, Bambina pour le côté plus léger du personnage, gros loser paumé et timide, adepte des rendez-vous avec sa main droite dans sa chambre.

gewalt02A priori, Kôji Kôno n’a pas l’air de porter la société japonaise dans son cœur. Les adultes sont des irresponsables pétochards qui préfèrent détourner les yeux pour ne pas trop risquer d’en prendre une, ayant tout un discours bien rodé à sortir aux quelques parents qui pourraient miraculeusement s’intéresser à leur progéniture quand celle-ci rentre avec quelques dents en moins et un gros hématome sur la tronche. Un discours bien langue de bois, tout beau tout propre, où personne n’a à assumer la moindre responsabilité face à ce qui peut arriver aux élèves.
De même que les quelques cours que le mangaka met en arrière-plan du quotidien de Genba sont toujours liés au nucléaire et notamment aux retombées de la catastrophe de Fukushima, toujours pour dédramatiser et minimiser les risques encourus par la population. Mais non, tout va bien, personne ne risque rien, les oiseaux chantent, le nucléaire c’est trop cool, redémarrons les centrales, il n’y a aucun risque, voyons, ha ha ha !

Le monde des adultes n’est donc qu’hypocrisie et irresponsabilité, sauvons les apparences avant tout. Mais les camarades de Genba ne valent pas mieux. C’est à celui qui se fera le plus mousser, le plus menaçant, le plus cassant, le plus vantard, le plus manipulateur, aucun ne semblant capable de la moindre empathie, compassion, du moindre intérêt sincère et amical. Le but, rester dans le rang, ne pas faire de vague, éviter à tout prix de se faire remarquer, quitte à devenir le harceleur pour ne pas être le harcelé.
Bref, rien de totalement insupportable en soi pour Genba, qui arrive à s’en sortir en jouant le même jeu que tout le monde… quitte à finir par se détester, détester ce gars aux yeux morts qui attend juste que le temps passe, avec comme seul projet d’avenir de continuer à se planquer toute sa vie, rester le gars transparent et vide qui ne fera toujours que subir pour ne rien risquer.

Mais voilà, Genba ne peut plus. Il n’est pas spécialement courageux ou fort, juste qu’il étouffe et finit par vouloir connaître autre chose, quitte à ce que ce soit la vie de voyou bagarreur des techniques d’à côté. Pour la première fois, il va se sentir vivant, le cœur qui palpite, les tempes qui battent… le nez qui pisse le sang, aussi, certes, mais sentir quelque chose, enfin. Exister aux yeux des autres, même si c’est pour être cogné, et peut-être trouver une place, des potes, un truc qui lui permette de se construire, au delà des règles, des limites, des apparences.
Et c’est qu’il en devient touchant, à chercher ainsi quelque chose à quoi s’accrocher, quelqu’un sur qui compter. Peut-être pas des potes, plutôt des ennemis qui voudront lui péter la gueule mais au moins des mecs qui ne lui mentiront pas, ne joueront pas les hypocrites juste pour faire bien.

gewalt03gewalt04Certes, on pourra s’interroger sur cette manière de voir la violence comme une philosophie de vie. La question est en fait posée, car face à la violence physique des bastons éclatant constamment entre les différentes bandes du coin, souvent avec Genba au milieu qui se demande comment il va sortir vivant de ce bordel, il y a aussi cette violence larvée, plus sournoise, celle des mots, du mépris, des jugements, des apparences, de la pression sociale. La violence d’une société qui passe son temps à imposer des règles qui ne profitent qu’à certains, aux mieux placés, à ceux qui pourront de toute façon écraser les autres par leur pouvoir hiérarchique.
Alors Genba fait son choix. Discutable, très clairement, mais assumé, avec ses risques et ses limites. Et au fil des pages, on s’attache, on rit, on comprend mieux, on cogite un peu aussi entre deux mandales, deux ravalement de façades, deux provocations. Ça cogne, ça gicle, ça dégomme, ça voltige, avec son lot d’hémoglobine, de déclarations choc, de bastons jusqu’au-boutistes où tout semble perdu. Mais au moins, là, Genba ne subit plus.

On se retrouve là avec une série très énergique, qui derrière une apparence a priori assez légère et simple, interroge tout de même sur la violence, sous toutes ses formes, les choix qu’on nous pousse à faire, écraser pour ne pas être écrasé, où tout se communique mais où rien ne se dit. Sans compter des personnages attachants, pas si simples que ça.
Une série d’action efficace et pas si innocente que ça…

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