Volume unique par Mirion Malle, édité par La Ville Brûle en janvier 2020, 165x235mm, 208 pages, 19,00€.
Clara est une jeune femme active, attachée de presse dans une maison d’édition de Montréal tout en travaillant sur son deuxième livre. Apparemment, tout est parfait. Mais…
Le livre commence par une séance avec sa psy, où Clara parle de son « goût de mourir » d’un air plutôt détaché. On comprend vite qu’elle a vécu un événement traumatique avec un de ses ex-compagnons, sans que ce soit exprimé crûment.
Mais Clara semble avancer malgré tout. Elle travaille, beaucoup, trop sans doute, surmenée par un patron qui n’a guère de considération pour elle. Elle sort, avec des copines, et est toujours là pour aider, l’oreille attentive aux détresses des autres, prête à donner conseils et réconfort. C’est elle qu’il faut avoir à ses côtés quand on fait une crise de panique, par exemple…
Mais au fil des pages, tandis qu’on la suit dans son quotidien, on voit vite la coquille se fendiller. Elle est épuisée. Bouffée de l’intérieur par un mal-être qui resurgit sans prévenir sous forme de larmes impossibles à calmer.
Ses amies veulent l’aider, voient bien qu’elle ne va pas forcément bien, s’inquiètent d’entendre des paroles si noires sortir de sa bouche par moment même si, comme si elle regrettait d’en avoir trop dit, elle les minimisait la seconde d’après. Ne sachant pas comment exprimer sa douleur et son épuisement face à une vie qu’elle culpabilise de ne pas réussir à apprécier.
Alors elle se renferme, s’éloigne, fuit les sorties. Vidée, perdue, rongée par la peur de décevoir, elle préfère s’emmurer dans la solitude de son petit appartement, cherchant vainement à continuer l’écriture de son livre. Mais, loin des clichés de l’artiste torturé qui sublimerait son désespoir en proses inoubliables, elle bute sur les mots, puisant déjà dans ses maigres réserves l’énergie pour réussir à se lever le matin et continuer sa routine malgré tout.
Avec C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle réussit le périlleux exercice de mettre en images l’indicible épreuve de la dépression. Une maladie dont on parle souvent bien mal, tant il est en fait difficile d’exprimer la complexité de ses manifestations, de ses effets, de la souffrance qu’elle engendre, de l’incompréhension et de la peur aussi qu’elle suscite encore bien souvent dans l’entourage, aussi bien intentionné soit-il.
La dépression ne correspond, comme souvent, guère aux clichés qu’on lit sur elle : ni simple coup de mou qui se soignerait avec une belle sortie en forêt, ni machine à suicide sans échappatoire, elle prend bien des visages pour tromper son monde et d’autant mieux attraper celles et ceux qu’elle frappe.
Le parcours de Clara est douloureux, effrayant, souvent solitaire car difficile de trouver une écoute qui corresponde parfaitement à ce qu’il faudrait. Mais il est également beau dans ses rencontres, dans ses épanchements, dans ses colères face à un monde épuisant et exigeant, surtout pour une jeune femme aux prises avec une société patriarcale où les hommes vont se croire autorisés à disposer des corps qu’ils désirent comme ils en ont envie.
Et finalement le parcours de Clara est aussi plein d’espoir, lumineux comme un café pris avec des ami·e·s sur la terrasse d’un chalet le matin de la première neige de l’année. Un petit moment de légèreté et de pur bonheur au milieu d’un océan houleux de sentiments complexes, d’émotions envahissantes, de ressentis éprouvants.
C’est comme ça que je disparais, j’ai mis du temps à l’ouvrir. Déjà parce que, je dois bien l’avouer, je ne suis pas forcément à l’aise face au style graphique de Mirion Malle. Même si très vite, il m’a d’autant plus permis de plonger dans les pensées tourmentées de Clara, donnant corps à ses émotions qu’elle galère tant à exprimer parce qu’il n’y a finalement pas forcément de mots appropriés pour nommer le mal-être et la souffrance psychique.
Et puis, pour son sujet, évidemment, qui, aussi intéressant soit-il, n’est pas forcément le plus simple à aborder, surtout en ces temps troublés de pandémie, entre confinement, couvre-feu, foirage gouvernemental, difficultés vaccinales et inquiétudes pour ses proches et/ou son avenir. Des temps où on a l’esprit un peu/beaucoup troublé, le moral pas forcément très glorieux.
Mais peut-être est-ce en fait le moment idéal, alors que notre santé mentale se démène pour rester à la surface, pour lire une BD qui nous pousse à ressentir, à mettre des mots et à chercher un peu d’aide si besoin.
(Je tiens à préciser qu’il n’y a rien de honteux à se faire aider si on se sent mal dans sa tête. Ce n’est pas un aveu de faiblesse, bien au contraire. Des professionnels sont là pour vous écouter et vous aiguiller. Le premier pas est difficile, le deuxième aussi mais chaque nouveau pas sera un peu plus léger que le précédent.)