Volume unique par Lili Sohn, édité en VF par Casterman, 157x217mm, 296 pages, 20,00€. Sorti en septembre 2019.
Disponible en numérique à 14,99€.
Pour continuer dans ce mois “BD et féminisme”, je découvre une autrice française, Lili Sohn, avec sa dernière BD, Mamas, sous-titrée “Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel“, chez Casterman. Idéal pour ce mois spécial !
(Je précise que quand je dis “femme” dans la chronique ci-dessous, je sous-entends “femmes cisgenres”, c’est-à-dire les femmes dont l’identité de genre coïncide avec le genre assigné à la naissance. Les questions liées à la maternité des personnes trans, notamment hommes, n’ont pas été abordées dans cet ouvrage.)
Lili Sohn s’imaginait mère alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Puis les années passent sans que l’occasion de materner ne s’impose à elle, jusqu’à ses 29 ans, quand on lui annonce qu’elle a un cancer du sein et que le traitement peut la rendre stérile. L’idée d’être mère devient alors une obsession.
Rapidement enceinte une fois guérie, elle commence alors à s’interroger sur cette envie impérieuse et sur ce qu’elle pourrait cacher…
Si vous trouvez les BD de Liv Strömquist un peu trop verbeuses ou difficiles d’accès, jetez donc un œil sur celles de Lili Sohn. Avec la même curiosité que l’autrice suédoise, la jeune femme part de son cas personnel pour en comprendre les mécanismes au travers de ses ressentis mais aussi de connaissances historiques, d’études, de témoignages, etc.
Et d’abord, c’est quoi cette envie irrépressible d’enfanter ? Une obligation biologique, une pure construction sociale ? Que signifie-t-elle ? Et surtout, est-ce que ça fait d’elle une mauvaise féministe, alors que nombre de penseuses du XXème siècle ont plutôt milité pour la libération du corps des femmes et leur choix de ne pas enfanter ?
Au travers de ses questionnements, la jeune femme explore ce qui se cache derrière la maternité, loin des clichés fleur bleue et guimauve qui ne montrent ça que comme le summum de l’épanouissement féminin. Tandis qu’un fœtus grandit dans son utérus, elle décortique tout ce que se trimbalent les femmes depuis des siècles de maternité plus ou moins voulue, la possibilité de donner la vie étant autant une force qu’un poids face aux hommes qui utilisent leur incapacité à porter un enfant pour y gagner d’autant plus de pouvoir, en reléguant les femmes à cette niche ô combien séduisante mais finalement blindée d’injonctions et de pièges qui les enferment dans un rôle guindé et limité.
Car ce que découvre Lili Sohn en fouillant un peu plus, aussi bien dans l’histoire (et même la préhistoire, qu’on a beaucoup instrumentalisée pour donner un semblant de fondements prétendument naturels au patriarcat, alors que, spoiler, on a extrêmement peu de certitudes concernant cette période) que dans des études aussi bien médicales que sociologiques, c’est que la maternité a été beaucoup détournée pour asseoir un pouvoir masculin.
Mais est-ce que pour autant la maternité est une offense au féminisme ? Si les stéréotypes qui collent les mères sont toujours là, c’est également grâce au féminisme (qui à la base a quand même pour ambition de permettre à chaque femme de vivre la vie qu’elle souhaite, qu’elle soit remplie de bébés ou de chats) qu’ils sont petit à petit combattus.
Mais ces stéréotypes collent aussi aux hommes qu’on a longtemps refusés d’associer au fait de s’occuper des enfants. Ce qui en arrangeait un certain nombre, mais pouvait en déranger d’autres, tout autant taraudés par l’idée d’élever un enfant que leur compagne.
Lili Sohn n’oublie pas non plus qu’un enfant, ça ne vient pas forcément facilement et qu’il faut parfois en arriver à une assistance médicale pour pouvoir un jour ramener un couffin à la maison. Elle explore alors la question de la filiation, la notion de géniteurs face à celle de parents, rendue d’autant plus actuelle ces derniers mois avec la loi de la PMA pour toutes.
Ainsi, au fil de sa grossesse, durant laquelle elle se sent sous surveillance étroite de tous ses faits et gestes, infantilisée alors qu’elle va devenir responsable de la vie d’une nouvel être humain, puis après l’accouchement où le lien avec son fils ne vient pas aussi naturellement que les clichés sur la maternité tentent de le faire croire, poussant ainsi nombre de mères à douter de leur capacité à élever correctement leur progéniture, l’autrice vit autant qu’elle explore tous les recoins pas forcément les plus glorieux cachés derrière la publicité rutilante de ces jeunes mamans toujours fraîches et tout sourire un poupon dans les bras.
Elle le fait avec beaucoup d’humour et de sincérité, sans complaisance, alternant légèreté et informations documentées pour mieux comprendre tout ce qui se cache derrière cette facette importante mais si facilement aliénante de la vie de millions de femmes.
Mamas est donc une porte d’entrée facile accès, tout en étant assez fournie sans être trop dense, pour toute personne s’intéressant à ce genre de sujets sans avoir forcément déjà beaucoup lu dessus. Mais elle sera aussi intéressante pour celles et ceux ayant déjà un petit bagage sur la question, permettant de faire le point et de se remettre en tête des réflexions sur un sujet très vaste et pas si souvent abordé dans les questions féministes.
Une belle découverte pour ma part, qui va me pousser à tenter aussi Vagin Tonic, sa précédente BD s’intéressant au corps féminin, le sien ayant été bien malmené par son cancer et le traitement qui a suivi…