Volume unique par Timothé Le Boucher, édité par Glénat, 200x273mm, 192 pages, 22,50€.
Sorti en septembre 2017.
Existe en version numérique à 12,99€.
Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher chez Glénat collection 1000 Feuilles. J’avais repéré cette BD avant sa sortie, avant qu’elle ne fasse le buzz et reçoive une flopée de prix. J’ai mis ensuite du temps avant de l’ouvrir, l’auteur ayant même sorti un deuxième titre depuis…
Lubin est un jeune acrobate vingtenaire qui alterne entre son petit boulot dans une supérette et ses entraînement avec sa troupe d’amis. Mais un matin, à son réveil, il découvre qu’il a perdu un jour. Cela se reproduit, comme s’il dormait un jour sur deux. Viré de son job alimentaire, en froid avec sa copine sans comprendre pourquoi, il découvre alors que durant ses jours d’absence, une autre personnalité prend sa place. Un dialogue s’installe entre lui et son alter ego, totalement différent de lui…
Au premier abord, on pourrait se croire dans un scénario façon Your Name, le film de Makoto Shinkai, où deux ado permutent leur personnalité. Mais là où le film était rempli de lumière et d’espoir, le quotidien de Lubin va lui petit à petit sombrer.
Le jeune homme est un rêveur, un artiste. Il n’aime pas les contraintes, la paperasse, la routine. Son appart est constamment en chantier, il n’a pas pris le temps de s’occuper de l’administratif pour la Sécu, il n’y a que sa bande d’amis et son travail d’acrobate qui comptent vraiment à ses yeux.
L’autre est son contraire. Ordonné, ambitieux, un rien maniaque, motivé, il prend très vite ses marques et commence à se construire sa vie pendant les jours où il a les commandes de leur corps.
Même visage, même voix, mais ils n’ont rien d’autre en commun.
Comment va évoluer leur cohabitation ?
Après le flou des premiers jours, Lubin se dit que c’est une occasion pour profiter de la vie. Après tout, l’Autre se tapera toutes les corvées le lendemain. Mais celui-ci n’est pas du genre à accepter un avenir de larbin…
Le premier feuilletage ne m’avait pas convaincue, n’étant pas très fan du style graphique façon “ligne claire”. Mais après lecture, ce style convient en fait totalement à l’histoire, permettant de faire monter la tension tandis qu’on suit Lubin “première version”, ne voyant l’autre Lubin qu’au travers des témoignages des autres ou les conséquences des choix qu’il fait pendant le sommeil de son “hôte”.
Mais un seul corps pour deux personnalités qui ont une vision catégoriquement opposée de la vie, comment cela peut-il bien se passer ? N’étant pas un combatif ni un adepte du modèle compétitif du monde d’aujourd’hui, Lubin l’acrobate est mal armé pour garder sa place, malgré toute la bonne volonté de son entourage qui ne peut que constater que le gentil rêveur n’est pas de taille face au guerrier pragmatique.
Cela m’arrive rarement mais j’ai lu toute la BD d’une traite, d’abord interloquée par l’histoire puis accrochée par le ton, le désarroi d’un jeune homme qui voit sa vie lui filer littéralement entre les doigts. L’autre Lubin est tout ce qu’il n’est pas et leurs vies ne peuvent cohabiter dans un monde qui attend la régularité et l’efficacité. Un des deux mérite-t-il plus sa place que l’autre, comme semble le soutenir un des personnages rencontrés ? A-t-on plus le droit d’exister parce qu’on est “utile”, simple rouage d’un système qui considère les humains comme des denrées périssables ? Le rêveur, l’artiste, l’idéaliste est-il forcément destiné à disparaître face à une société qui ne parle que de productivité et rentabilité ? (Coucou, la situation des auteurs en galère actuellement !)
Ainsi, il y a ces deux aspects qui se dégagent de cette histoire : d’un côté, la lecture qui interroge la société sur son approche purement utilitaire des gens, de l’autre le côté purement intime, avec Lubin face à sa famille, ses amis, sa copine, le jeune homme devant affronter le risque de perdre son identité, son existence, son droit d’aimer et de faire ses propres choix.
Ces jours qui disparaissent est une BD extrêmement intrigante, sachant bien raconter son histoire sans jamais nous perdre (même si je m’interroge sur des erreurs de calendrier au tout début) et développer ses personnages avec subtilité et intelligence. Prenant et efficace.