Volume unique par Tom Haugomat, édité en VF par les éditions Thierry Magnier, 180x254mm, 184 pages, 20,00€. Sorti en septembre 2018.
C’est par Rémi de Bodoï que je découvre À travers, une BD de Tom Haugomat aux éditions Thierry Magnier. Une BD qui a l’originalité d’être sans aucune parole. Et liée à l’espace, ce qui me semble très raccord en ces temps de cinquantenaire de l’humain sur la Lune…
À travers, c’est l’histoire d’un homme, de sa naissance en mars 1956 en Alaska jusqu’à sa mort. Un homme qui, dès ses premiers jours, va baigner dans l’amour de la science. Le mobile au dessus de son lit, avec des planètes et des fusées, ses observations des insectes à la loupe, son partage de moments avec son père dédiés aux avions ou à l’astronomie… Puis il y a la maladie de sa mère, son entrée à la Nasa à Houston, l’accident de la navette Challenger en 1986… Autant d’événements qui parsèment une vie…
Il y a en fait deux originalités dans cette BD : d’une part, elle est donc sans aucun dialogue. Mais en plus, chaque double page se lit dans son ensemble : à gauche, on voit le personnage, avec date et lieu. Et à droite est dessiné ce qu’il regarde. Le paysage depuis une fenêtre, un écran de télévision, sa vue depuis le hublot d’un avion, etc. Ainsi, en une page, même sans dialogue, on nous offre la vision à la troisième personne, neutre, objective, factuelle, et sa vision à la première personne, ce qui attire son regard, ce qui a du sens pour lui. La nature, un avion, sa future femme, l’écran du cinéma où il va voir Alien, une photo de ses parents… À gauche, tel que le monde le voit, à droite, tel qu’il voit le monde.
Seules exceptions, quelques doubles pages complètes pour les moments vraiment forts, comme l’enterrement de sa mère ou sa mission dans l’espace pour l’installation du télescope spatial Hubble en avril 1990. Des moments charnières dans sa vie.
Avec cet homme, c’est autant dans l’infiniment grand de l’espace que l’infiniment petit des insectes qu’on plonge. L’infiniment grand comme la conquête spatiale, avec ses joies, ses réussites comme ses échecs, ses désastres comme l’explosion de Columbia en 2003, dont il est le témoin « privilégié ». L’infiniment petit dans son simple quotidien d’humain, avec sa vie de famille et là aussi ses joies, ses moments de partage, ses petits et grands bonheurs, et ses peines, ses deuils, ses séparations.
Ce double regard, celui du narrateur et celui du personnage, et ce double univers, grandiose et simplement humain, permettent de suivre cette vie sur plusieurs échelles et plusieurs niveaux, mêlant objectivité et subjectivité, faits et ressentis.
Avec un dessin simple et superbe, en mode silhouette, sans chercher le détail et l’expressivité des personnages, et son jeu avec les couleurs primaires, Tom Haugomat parvient à nous raconter tout ce qui fait l’essence d’une vie, dans toute sa richesse, sa diversité et en même temps sa simplicité. Au fil des pages, on décode les symboles, les situations, on imagine tout ce qui se cache derrière ces simples images, très pudiques et en même temps si pleines de sens.
À travers se révèle être une très belle lecture, riche, complexe, profondément humaine. J’ai beaucoup pensé au remarquable Ici de Richard McGuire, lui aussi un exercice de narration sans dialogue, jouant lui sur l’unicité d’un lieu au des fil des époques.
On retrouve cette même lecture ludique et sans fioriture dans ce récit d’une vie.