Volume unique par Thi Bui, édité en VF par Hachette Comics, 172x237mm, 328 pages, 24,95€. Sorti en avril 2018.
En mai 2018, Hachette Comics sort Nous avons fait de notre mieux, une incroyable biographie familiale et historique de Thi Bui.
Novembre 2005, New York. C’est par la naissance de son fils que Thi Bui commence le récit de sa famille, venue du Vietnam en 1978. Au travers de ses propres souvenirs et des récits difficilement arrachés à ses parents, elle retrace l’histoire douloureuse de sa famille, de la guerre, de leur exil…
Dans les années 80, on a beaucoup parlé des boat-people, ces vietnamiens qui fuyaient leur pays après la chute de Saïgon (Hô-Chi-Minh-Ville) en 1975 sur des embarcations de fortune. Mais jusqu’à présent, j’ai peu vu de BD racontant leur histoire, dont je ne sais finalement rien.
Thi Bui est née en 1975, trois mois avant la chute du Sud Vietnam face au Nord communiste. Elle a vécu alors très jeune la fuite de sa famille avec ses parents, ses deux sœurs plus âgées, puis leur petit frère né dans un camp de réfugiés en Malaisie en 1978. Leur arrivée aux Etats-Unis, malgré toute la force de leurs parents, ne s’est pas fait facilement, devant s’adapter à un nouveau pays, une nouvelle langue, une nouvelle culture, alors que la guerre du Vietnam, ses horreurs et la cuisante défaite américaine étaient encore dans tous les esprits.
A la naissance de son fils en 2005, Thi Bui prend conscience de la responsabilité écrasante d’être mère, commençant à mieux appréhender la réalité que ses propres parents ont dû assumer dans des circonstances nettement plus extrêmes que les siennes.
Elle entreprend alors de creuser un peu son histoire, interroge son père, assez rigide et colérique, puis sa mère, parfois si distante et froide, pour mieux comprendre aussi bien ses racines que cette immense tristesse qui semble engloutir sa famille depuis toujours.
Au travers des récits qu’elle récolte et qu’elle nous met en scène, on plonge dans les racines d’un pays qui fut saisi par le chaos, déchiré, tranché en deux, victime d’une guerre froide qui le dépassait complètement et a pris tant de place dans la vie de la population. Que ce soit d’abord avec la colonisation française et l’Indochine, suivie d’une première guerre dévastatrice (et peu couverte dans notre récit historique en France, vu notre rôle peu reluisant…), puis la montée communiste et la guerre entre URSS et Etats-Unis qui se solda par la défaite américaine. Impossible alors pour les habitants du Sud Vietnam, perçus comme de potentiels traîtres aux yeux des autorités du nord, de rester, constamment épiés, risquant d’être dénoncés pour le moindre détail, la possession d’un livre “de propagande capitaliste” ou des amitiés trop suspectes durant la guerre.
Pour autant, Thi Bui ne fait absolument pas dans le manichéisme. Il n’y a ni bon ni méchant dans son récit. L’histoire de son pays est complexe, nuancée, secouée entre les envies de pouvoir des uns, les espoirs de vie tranquille des autres. Car c’est la quotidien de familles communes qu’elle s’attache à décrire, avec leurs doutes, leurs peurs, leurs petits instants de joie, le rire des enfants qui ne comprennent pas ce qui se passe, l’angoisse des parents qui veulent ce qu’il y a de mieux pour les leurs.
Thi Bui explique avoir appris à faire un roman graphique au fur et à mesure de son écriture. Le résultat est bluffant, avec un dessin expressif et déchirant, sachant nous immerger dans l’intimité de familles désirant simplement vivre.
Ses parents, qui nous semblent si froids, voire peu aimants au début de son récit, nous apparaissent au fil du déroulement de leur histoire respective nettement plus humains, presque héroïques sur certains points, capables d’une sacrée force de caractère et d’une capacité de résilience impressionnante face à toutes les épreuves qu’ils ont endurés.
L’autrice se demande si elle-même va transmettre à son fils cet héritage pesant fait de chagrin, de ressentiment, de colère, de deuils mal vécus, de choc de l’exil, de pertes de ses racines, comme elle-même l’a ressenti durant toute sa jeunesse américaine. Déchirée entre une tradition assez austère, pleine de silence, de non-dits et d’obligations, et un nouveau pays totalement différent, aux règles radicalement opposées.
Son récit est intense, bouleversant, profondément émouvant sans chercher le tire-larme, extrêmement pudique malgré toute l’intimité qu’elle partage sans complaisance. Il nous parle autant d’un pays dont on sait finalement assez peu, avec sa propre culture, ses traditions, son état d’esprit, que de choses très universelles, l’amour et la haine qui peuvent se mêler au creux d’une famille, la douleur du deuil, la peur de ne pas trouver sa place, la question de la transmission en tant que parent, l’ambivalence entre le fait de devenir mère et de rester néanmoins l’enfant de quelqu’un.
Nous avons fait de notre mieux est un récit fort, prenant, très riche sans pour autant être trop lourd. On en retient la force de vie qui guide chacun de ses protagonistes malgré tout ce qu’il peut vivre. Une totale réussite.
(Les illustrations viennent de la version originale américaine, The Best we could do, ne voulant pas abîmer mon volume français avec des scans. Mais la version française en est très proche.)
“’une première guerre dévastatrice (et peu couverte dans notre récit historique en France, vu notre rôle peu reluisant…)”
De mes souvenirs de collège et surtout de lycée, j’ai pourtant le souvenir que la guerre d’Indochine était bien présente, même si pas autant que la guerre d’Algérie et si elle était aussi analysée dans le cadre du gouvernement de Mendès-France, qui y mit fin.
Je n’en ai pour ma part aucun souvenir. Je ne sais pas ce qu’il en est des cours d’histoire aujourd’hui (vu que ça change apparemment assez souvent), j’en serais curieuse d’ailleurs…
M’enfin, en soi, même la guerre d’Algérie, je ne dis pas qu’on n’en parle pas mais bon…
Bon, après, l’histoire m’a toujours intéressé ; donc je me souviens assez bien des programmes ; mais si, en terminale au moins (j’étais en ES au milieu des années 90), la décolonisation prenait un certain temps et était surtout appuyée sur les exemples de l’Indochine et de l’Algérie, d’autant plus que ces deux épisodes avaient des conséquences importantes sur la vie politique française (gouvernement de PMF pour la première, chute de la quatrième et début de la cinquième pour la seconde). + quelques passages sur les indépendances plus ou moins pacifiques du Maroc, de la Tunisie et de l’Afrique noire ; et, pour les colonies anglaises, quelques cours sur l’Inde et sur le monde arabe.
En allant voir le programme de terminale ES actuel, je constate qu’en histoire, 5 thèmes, selon les angles et les exemples choisis, peuvent servir à aborder la colonisation et la décolonisation : l’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie, Gouverner la France depuis 1946 : État, Gouvernement et Administration ; Héritages et évolutions, Médias et opinion publique dans les grandes crises en France depuis l’affaire Dreyfus, Le proche et Moyen-Orient, foyers de conflits. Le premier et le dernier rendent obligatoire d’aborder ce thème, les 3 autres pas nécessairement mais ça peut être un angle d’accroche.
https://www.bac-es.net/infos/programme-dhistoire-geographie-de-terminale-es.php