Volume unique par Liv Strömquist, édité en VF par les éditions Rackham, 170x240mm, 112 pages, 18,00€. Sorti en avril 2018.
Rackham poursuit son travail sur les œuvres de Liv Strömquist en nous proposant son dernier titre, I’m every woman, après les excellents Les sentiments du prince Charles, L’origine du monde et Grandeur & décadence. Pour ce 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, voilà la BD idéale.
Comme dans ses deux premiers titres traduits, Strömquist se replonge ici dans un manifeste féministe. Après les sentiments amoureux puis le corps féminin, elle s’intéresse là à ce que la société inculque comme schémas de pensée aux hommes et surtout aux femmes concernant leurs relations réciproques.
Pour démarrer, elle nous sort cinq hommes (et d’autres par la suite) qui se sont révélés être les pires petits amis possibles pour leurs compagnes. Des hommes célèbres que pourtant la culture populaire ne présente jamais ainsi, à part peut-être Phil Spector, vu qu’il a été au bout de la logique sexiste (et que ça l’a conduit en prison).
Cinq hommes aux manières détestables avec les femmes de leur vie, les parasitant et les empêchant de s’épanouir. Bien sûr, on pourra aussi se dire “Oui mais ces femmes n’avaient qu’à partir, plutôt que d’accepter un tel traitement !”.
Et c’est là justement ce dont parle Liv Strömquist sur tout le volume : la relation malsaine et toxique que la société pousse à créer entre un homme et une femme, lui égoïste, immature, jaloux, infidèle et cruel, elle croyant que c’est normal et qu’elle doit se donner toute entière à son homme pour qu’il daigne la regarder.
Pas que toutes les relations hétérosexuelles soient forcément comme ça, évidemment (on peut l’espérer…) mais l’éducation genrée – la valorisation de l’ego, de l’agressivité, du désir de possession d’un côté, la vision de soumission, de dévotion, d’écoute absolue du compagnon jusqu’à l’oubli de soi de l’autre – ne peut évidemment que donner des excès de ce genre dans certains cas. Sans que finalement cela ne choque vraiment… Munch, Mao, Bergman, Shelley, Spector, Staline, Pollock, autant d’exemples parlants de relations toxiques où les femmes ont beaucoup perdu, carrières, entourage et parfois leur vie…
Et ce ne sont pas les exemples de Britney Spears, parfaite représentante de la femme persuadée que seule la vie de couple, même avec un mec qui n’a aucun intérêt pour elle, peut lui apporter le bonheur – et ce ne sont certainement pas les paroliers de ses chansons qui allaient l’aider à évoluer sur cette idée – ou de Priscilla Presley, repérée ado par le King puis modelée pour lui servir de boniche, qui redorent le blason de ces relations érigées pourtant comme des contes de fée par les médias alors que c’était un enfer permanent pour elles.
Mais ça ne date pas du XIX ou XXe siècle, comme le montre l’évolution des religions au fil du temps. Comme l’explique Strömquist, l’humanité a d’abord connu des religions polythéistes remplies de déesses mères… qui ont ensuite été totalement effacées par les religions monothéistes, profondément misogynes (j’ajouterais pour ma part que déjà dans les religions grecques ou romaines, le panthéon divin est dirigé par une divinité mâle, Zeus ou Jupiter, volage et manipulateur qui usait des pires stratagèmes pour berner des conquêtes, tandis que leur femme était toujours montrer comme un monstre de jalousie hystérique…).
Finalement, Strömquist remet en question ces fameuses relations hétérosexuelles, souvent couronnées par un mariage qu’on présente comme “naturel” alors que l’amour romantique n’a qu’un siècle, une famille nucléaire qui n’a d’avantages que pour l’homme et des enfants pas très progressistes… Sachant d’autant plus que la notion de “nature/contre-nature” n’a aucun sens puisque l’humain est bien content régulièrement de s’éloigner de tout ce qui aurait trait à l’animalité SAUF quand l’exemple animal l’arrange. Pratique…
L’autrice retrouve les questions capitalistes de Grandeur & Décadence en s’intéressant alors à la figure de Voltairine de Cleyre militante anarchiste et féministe qui refusa toute sa vie l’obligation du mariage, qu’elle voyait comme une institution d’aliénation de la femme. Son histoire est passionnante… et rejoint d’ailleurs la question de la fameuse égalité homme/femme qui ne consiste pour beaucoup qu’à avoir autant de femmes dans d’hommes au niveau professionnel, comme si le seul fait d’être une femme allait changer la donne.
Et c’est avec Yoko Ono, compagne de John Lennon, toute sa vie conspuée comme la briseuse des Beatles que Strömquist conclue son ouvrage, nous présentant évidemment cette femme sous un autre jour : celui d’une victime d’une société patriarcale qui ne supporte pas qu’une femme (qui plus est asiatique) puisse vouloir défendre son indépendance, son avenir artistique, son ambition au dépens de son compagnon, même quand celui-ci est une icône mondiale.
On a reproché à Yoko Ono de ne pas avoir accepté de subir le même sort que toutes les autres femmes croisées au fil du volume, victimes d’hommes narcissiques incapables de laisser leurs compagnes vivre et exister par et pour elles-mêmes.
Comme dans ses précédents volumes, l’autrice suédoise parvient à mettre en image des idées et des concepts au travers d’exemples choisis et documentés, traités avec humour malgré l’effroi ou la colère qui peut s’en dégager. Il y a sans nulle doute certaines références qui m’échappent, purement suédoises, mais dans la grande majorité, on saisit parfaitement de quoi elle parle.
A noter que le titre de cette BD est en référence avec la chanson de Chaka Khan de 1978 (elle la cite au début du volume) mais on en connaît également sa reprise par une autre chanteuse elle-même bien victime de relation toxique, Whitney Houston…