Volume unique par Lou Lubie et Manon Desveaux, édité par Marabulles en janvier 2019, 190x252mm, 192 pages, 17,95€.
Une des premières nouveautés BD de l’année est signée par quatre mains, celles de Lou Lubie et de Manon Desveaux pour La fille dans l’écran chez Marabulles.
Deux femmes : Coline, Périgueux, 20 ans, dessinatrice en pleine création de son premier album. Marley, Montréal, 27 ans, barista qui a rangé ses rêves de photographe. La première va contacter la seconde par mail et de cette rencontre numérique au départ juste professionnelle va naître une amitié qui va tout remettre en question…
J’ai découvert Lou Lubie en 2017 avec sa BD Goupil ou face, extraordinaire témoignage sur sa cyclothymie. Ayant été séduite par son style, j’avais gardé un œil sur elle pour ne pas louper ses prochaines sorties.
Fin 2018, elle annonce la parution en janvier 2019 de La fille dans l’écran, écrit en collaboration avec une autre dessinatrice, Manon Desveaux, rencontrée grâce au Forum dessiné fondé par Lou en 2008. Un seul coup d’œil à la couverture me suffit à comprendre qu’il ne faudra évidemment pas que je loupe ça.
Achat direct de la BD numérique sur Izneo le jour de la sortie mais la lecture sur l’application est rendue quasi-impossible par un souci de pagination qui m’empêche de profiter des doubles pages. Et vu l’importance de celles-ci dans la narration… Je rachète directement le volume version papier, que je recommande de toute façon pour cette BD, justement du fait de sa narration.
Coline est une jeune illustratrice en devenir. Sujette à des crises d’angoisse l’ayant obligée à écourter ses études, elle vit dans la campagne autour de Périgueux chez ses grands-parents, tentant de créer son premier album jeunesse. Elle n’entretient pas vraiment de bons rapports avec sa mère qui n’attend pas grand-chose de son avenir artistique et la pousse à rentrer dans les rangs de la société métro-boulot-dodo.
Marley a beau avoir fui la France et ses parents peu enclins à la soutenir dans ses projets de devenir photographe, elle se retrouve désormais serveuse dans un café, en couple depuis quatre ans avec Vincent. Elle a rangé son appareil photo dans un placard, et toutes ses envies artistiques avec. Mais le mail de Coline, en recherche d’images pour l’aider dans son travail d’illustrations, la pousse à y repenser. Pas facile de retrouver ses rêves quand son copain ne voit dans tout ça qu’un hobby pour passer le temps, sans aucun intérêt, un truc pour gamines immatures et irresponsables sans avenir.
Au fil de leurs échanges sur le net, les deux femmes vont se soutenir moralement face aux petites épreuves que la vie balance toujours dans le parcours de jeunes adultes : trouver sa place, tracer sa route, savoir faire la part des choses entre suivre ses idéaux et rester réaliste.
Coline a beau être une grande angoissée, souvent cachée dans son atelier loin du monde, elle tient à son rêve et travaille à le réaliser, même si elle a du mal à y croire complètement.
Marley a beau être une jeune femme dynamique et sûre d’elle, elle s’est laissé influencée par le discours moralisateur de son mec, le typique “winner” un peu imbus de lui-même, qui ne jure que par les chiffres et le poste au titre ronflant, voulant bien présenter devant les collègues en toutes circonstances. Venue au Canada pour graver sur pellicule (enfin carte numérique) les grands espaces, elle s’est retrouvé piégée dans une petite vie confortable et routinière, loin de ses aspirations d’origine. Sa rencontre avec Coline et ses rêves plein la tête rallume l’étincelle de son propre désir artistique. Et si cette vie toute tracée n’était pas celle qui lui convient ?
Manon Desveaux et Lou Lubie expliquent à la fin de l’ouvrage leur travail à deux, leur manière de collaborer, chacune s’occupant d’un personnage : Manon dessine Coline, en noir et blanc, Lou s’occupe de Marley, en couleurs. Coline sur la page de gauche, Marley celle de droite, et les deux femmes interagissent et se répondent au gré d’une narration habile et imaginative. D’où l’importance des doubles pages dont je parlais au début : il faut avoir les deux pages en même temps sous les yeux pour bien saisir la relation qui se créé, s’étoffe, s’enrichit au fil des jours. Le procédé est simple mais efficace et très bien mené, permettant de voir Coline et Marley évoluer et grandir au fil de leurs échanges, chacune trouvant en l’autre des réponses et la force d’avancer.
L’angoisse, très bien décrite, de Coline est contrebalancée par l’énergie et la foi de Marley en la vie et ce qu’elle peut apporter pour peu qu’on lui donne le coup de pouce nécessaire. La crainte de la jeune montréalaise d’adoption face à une vie qui ne lui correspond peut-être pas est combattue par l’exemple de Coline qui tente sa chance malgré les mises en garde et le manque de soutien d’une famille qui ne veut pas comprendre ou envisager d’autres manières de trouver sa place.
Et puis il y a l’amour qui s’en mêle, par petites touches, petits pas l’une vers l’autre, avec hésitation, doutes mais aussi beaucoup de tendresse et de douceur, de pudeur et de sensibilité.
La fille dans l’écran se révèle être un bel album, drôle, attachant, touchant, délicat, original, chacune des deux autrices ayant su trouver son style et son expression propres, parvenant à donner une œuvre homogène et équilibrée, cohérente, sans aucune fausse note.
Je ne regrette pas mon double achat…