Volume unique par Carole Maurel, édité par La boîte à bulles en mai 2016, 195x272mm, 272 pages, 32,00€.
Des mois après son achat, je prends enfin le temps de découvrir Luisa, ici et là de Carole Maurel, dont j’ai déjà lu L’apocalypse selon Magda avec Chloé Vollmer-Lo et Écumes avec Ingrid Chabbert.
Luisa, 33 ans, photographe à Paris, galère dans sa vie amoureuse. Les mecs passent et l’ennuient vite, au grand désarroi de sa mère qui la presse de se caser. Sasha, sa nouvelle voisine de palier, lui présente alors une jeune fille de 15 ans, qui porte les mêmes nom et prénom qu’elle. Une gamine complètement paumée, qui semble avoir débarqué à Paris sans savoir comment, son walkman à cassettes vissé sur les oreilles et sa télécarte périmée dans la main. Une cousine éloignée ? A moins que…
Des mois que je ne prends pas le temps de me plonger dans la lecture de ces quelques 270 pages, profitant alors de mon calendrier des autrices BD de décembre 2017 pour enfin les apprécier pleinement.
Pas de suspense inutile, on sait tout de suite que les deux Luisa ne sont qu’une seule et même personne, avec dix-sept ans d’écart. On ne sait comment, elles se retrouvent face à face, passant alors leur temps à se disputer : Luisa à 15 ou 33 ans a du caractère et n’hésite pas à envoyer balader. D’autant que la rencontre est difficile : l’intransigeance et la soif d’absolu de l’ado face au pragmatisme un rien fataliste de l’adulte qui a dû confronter ses rêves de jeunesse à la réalité, forcément ça fait des étincelles. Compliqué de faire comprendre à une ado rageuse le bien-fondé de certaines concessions…
Le duo des Luisa est donc explosif, au grand dam de leur entourage proche qui en prend plein les oreilles. D’autant que cette rencontre “temporelle” remet en perspective bien des choses de la vie de la Luisa adulte. Des choses de son passé, des choix un peu difficiles, des amitiés gâchées par peur du regard d’autrui. Dix-sept années de perdues pour se conformer à un moule étriqué et pas très confortable, qui n’apporte que frustration et perplexité. Mais Luisa, même à 33 ans, est-elle enfin capable d’être honnête avec elle-même ? Mise face à la rage de son double adolescent, elle est bien obligée de se confronter à ses peurs et à ses doutes qu’elle refoule depuis des années…
Enfants, adolescent·e·s, on a tou·te·s imaginé de quoi notre vie d’adulte serait faite. Rares sans doute sont ceux et celles qui des années plus tard peuvent affirmer avoir suivi leurs rêves d’ado. Mais est-ce un mal ? La vie réserve beaucoup de choses qu’on n’imagine pas quand on a 15 ans et même si on change de route, le résultat pourrait peut-être sembler décevant pour l’ado qu’on était alors qu’on s’y sent parfaitement bien.
Ainsi Luisa ado voit sa version adulte bien loin de son rêve de vie artistique… et la Luisa adulte a l’occasion de se rendre compte que finalement, ce n’est pas si mal et que cela lui convient. De même, une copine d’enfance n’est peut-être pas devenue celle qu’elle pensait quand elle avait 15 ans mais ce n’est pas pour autant qu’elle en nourrit des regrets. Les choses sont différentes avec l’expérience des années.
Mais s’il y a un domaine où la Luisa adulte a besoin qu’on la mette face à ses désirs enfouis, c’est bien dans sa vie amoureuse. Même si là encore, ce n’est pas du tout pour suivre les idées de sa version ado : si celle-ci était trop jeune pour pouvoir assumer une quelconque différence totalement niée et gommée par son entourage, alors la version de 33 ans est-elle suffisamment solide et mature pour s’y confronter ? Peut-être est-il alors temps de faire vraiment face à ce qui lui fait si peur depuis des années au point de s’être persuadée qu’il ne fallait surtout plus y penser.
Après L’apocalypse selon Magda, Carole Maurel continue d’explorer l’adolescence, son énergie, son entièreté, son besoin d’absolu et de vérités à laquelle croire coûte que coûte pour réussir à avancer dans une vie dont on ne comprend rien même si on fait tout pour se persuader qu’on sait déjà tout. La confrontation entre l’ado et l’adulte est aussi bien trouvée que bien exploitée ici, mettant d’autant plus en relief les doutes et les questions qu’on continue de se poser tout au long de sa vie, avec des réponses différentes selon les âges. Rien n’est manichéen : si les rêves d’ado ne sont pas réalisés à l’âge adulte, ce n’est pas pour autant que la vie est ratée ou gâchée, elle est juste différente, ayant dû s’adapter aux aléas et rencontres imprévues. Peut-être est-on loin du rêve de grandeur de nos 15 ans mais ça n’a rien de honteux. Les expériences nuancent notre vision de la vie. Mais même à 33 ans, il reste des domaines où on peut continuer de se mentir à soi-même…
Le trait énergique, des couleurs chaudes adaptées à chaque ambiance et situation, des dialogues souvent drôles, directs, tout sonne juste et touche, révélant des non-dits et des sous-entendus, autant pour le lecteur que pour les personnages. Une belle lecture, pour l’ado que nous sommes/étions et l’adulte que nous serons/sommes…
Belle chronique, merci pour ce texte. Pour ma part, je ne connaissais le nom de Carole Maurel que par le biais des “Chroniques mauves”. Mais quel scandale de ta part d’avoir attendu aussi longtemps de lire ce petit chef-d’œuvre. 🙂
Bon, OK, je n’ai pas été très rapide à ouvrir le PDF presse, je ne l’ai fait qu’en toute fin de l’année 2016, mais ensuite, je me suis précipité sur le stand de La Boite à Bulle à Angoulême pour acheter l’ouvrage et demander une dédicace à l’auteure et lui dire à quel point j’avais aimé cette lecture. 🙂
Cela me rappelle aussi qu’il faut que j’achète et lise “Écumes”…