Volume unique par Liv Strömquist, édité en VF par les éditions Rackham, 170x240mm, 128 pages, 20,00€. Sorti en septembre 2017.
Rackham continue d’explorer les œuvres de la suédoise Liv Strömquist avec Grandeur & décadence. Après l’exploration des attentes dans les relations hommes/femmes dans Les sentiments du prince Charles puis la mainmise du pouvoir masculin sur le corps des femmes, et notamment le sexe, dans L’origine du monde, elle s’attaque à un autre sujet : le capitalisme et la lutte des classes.
Elle commence par jeter un regard ironique et féroce sur nos sociétés occidentales qu’elle érige en championnes dans l’art de profiter de l’instant présent. Nous refusons de revenir sur un passé qu’on préfère refouler pour éviter d’être mis face à nos horreurs, et on évite autant que possible de trop se projeter vers l’avenir, trop anxiogène, qui nous obligerait à nous inquiéter de la conséquence de nos modes de vie. Et elle épingle les meilleurs représentants de ce système irresponsable et cynique à savoir ces multi-millionnaires capables de gommer d’un sourire le poids de leurs actes sur des populations entières quitte à sortir des énormités comme “le réchauffement climatique, ça évitera que des gens meurent de froid”…
Elle enchaîne sur la papesse de cet état d’esprit narcissique et égoïste en la personne d’Ayn Rand, philosophe qui publia en 1957 La grève, devenue la bible de tous les néo-libéraux qui ont pu y trouver plein d’excuses pour imposer avec efficacité leur doctrine du “tout pour moi, et les autres peuvent crever”.
Puis Liv Strömquist va se focaliser un peu plus sur la lutte des classes en expliquant la notion de privilèges dont on bénéficie ou non selon dans quelle strate sociale on naît. Et surtout la manière dont on gomme cet aspect dans le quotidien comme s’il n’existait pas, en adoptant par défaut dans les médias le point de vue d’une personne blanche plutôt aisée, et en ne présentant les classes sociales défavorisées que sous un angle moqueur, méprisant et condescendant. Les multiples exemples précis, bien qu’issus du paysage suédois, sont particulièrement parlants et instructifs.
Puis elle explore plus précisément le système financier totalement déséquilibré et injuste mis en place en occident et ayant su s’imposer dans le monde entier comme le seul possible, revenant notamment sur la crise de 2008 et les fortunes délirantes qui continuent de s’amasser dans les comptes bancaires de paradis fiscaux détenus par quelques-uns. S’interrogeant sur le pourquoi d’une telle soif de richesse totalement disproportionnée, absurde et grotesque.
Enfin, parce qu’il n’y a pas de raisons de pointer du doigt uniquement une partie minime de nos sociétés quand c’est finalement son ensemble qui a laissé le système se mettre en place, elle interroge l’échec des mouvements dits progressistes, devenus inaudibles, moralisateurs, totalement dominés par la fatalité et l’impression d’impuissance, d’une gauche qui a perdu le combat des idées et ne semble plus capable de proposer quoi que ce soit de novateur et réellement “révolutionnaire”, préférant tout dépolitiser et braquer sur des individualités devenues symboles plutôt que de s’attaquer aux bases profondes de la gangrène qui ronge ouvertement notre civilisation.
Comme toujours avec Liv Strömquist, ses BD sont remplies d’informations sourcées et détaillées, d’humour et d’ironie mordante, sans complaisance pour qui que ce soit. Elle interroge, beaucoup, mettant en exergue les profondes injustices et irresponsabilités de nos sociétés, choisissant l’humour pour masquer la rage qui anime son crayon.
Ce n’est pas le genre de BD qu’on lit sur le pouce pour se détendre (et qui doivent exister parce qu’on en a besoin aussi), mais petit à petit, pour digérer tout ce qu’on apprend et réfléchir un peu. Et j’en redemande…