Le Festival étant désormais quasiment terminé, je vous propose un billet récapitulant les courts métrages les plus marquants pour moi sur les 45 vus lors des 5 séances. Sachant qu’il y a également 4 autres séances de courts métrages que je n’ai pas vues, Les Off-Limits, les 2 Perspective et le Jeune public. C’est très bien de représenter ainsi la diversité du court métrage, mais dommage de ne pas expliquer réellement à quoi correspondent par exemple les séances Perspective. J’au eu beau chercher, je n’ai pas trouvé d’explication…
Bref, sur ces 45 courts métrages, j’en ai gardé 16. Il faut dire que la sélection de cette année n’était vraiment pas joyeuse, bien peu d’éclats de rire, et des sujets souvent très durs : la guerre, le regard des réfugiés, le retour sur des faits historiques difficiles, la famille sous l’angle du deuil, l’apocalypse. Comme toujours, l’animation reflète l’état de notre monde et ce n’est pas très glorieux depuis quelques années…
Regardons du côté de la famille pour commencer.
– After All de Michael Cusack (Australie, 13mn16)
En utilisant l’animation par marionnettes, Michael Cusack nous emmène dans les souvenirs d’un homme, revenu dans la maison familiale après le décès de sa mère. En rangeant les affaires, il se remémore les discussions qu’il a eues avec elle jusqu’au dernier moment. C’est très beau, poignant, sobre, avec même de jolies notes d’humour, et le réalisateur a expliqué aux petits dej du court qu’il avait volontairement limité les décors pour qu’on reste bien concentré sur les deux personnages. D’ailleurs, c’est lui qui double l’homme et sa sœur, je crois, qui double ma mère. Une histoire de famille… et un très beau film.
Des informations disponibles ici.
Cette histoire de maison de famille revisité par le fils est d’ailleurs aussi au cœur d’un autre court, The Full Story de Daisy Jacobs et Chris Wilder. Décidément…
(Et sur le même sujet niveau BD je ne peux que vous conseiller La maison de Paco Roca.)
– Negative Space de Max Porter, Ru Kuwahata (France, 5mn30)
Marionnettes là encore mais le ton est plus ironique, même s’il traite un peu du même sujet, le deuil familial. Un homme explique que son père lui a appris tout jeune à faire sa valise. Comment ranger tel vêtement, dans quel ordre, etc. Certains créent des liens avec leur père avec le sport ou les voitures, eux, c’était le rangement d’une valise. Un rituel qui n’appartenait qu’à eux. Jusqu’au bout…
Le style des marionnettes est très sympa, le ton sobre et précis, et la chute est très drôle, ironique. Une très intelligente manière de traiter un tel sujet.
A noter que c’est l’adaptation d’un poème du même titre de Ron Koertge.
Le trailer est disponible ici.
– Pépé le morse de Lucrèce Andreae (France, 14mn53)
Pépé adorait rester allongé sur la plage, un peu comme un morse. Maintenant Pépé est mort. Mémé emmène donc toute la famille sur la plage pour lui rendre hommage. Et très vite, tout commence à partir en sucette…
On part d’une histoire a priori pas bien joyeuse – la mort d’un membre de la famille – mais la réalisatrice gère ça d’une manière tellement absurde et drôle – les relations dans la famille sont assez tumultueuses – qu’on rit très rapidement. Et on flippe un peu aussi parce que le pépé en question semblait un peu bizarre et que la mort, ben ça fout la trouille. Il y a cet équilibre très subtil que la réalisatrice parvient à trouver, entre légèreté, famille déjantée, angoisse de la mort et tristesse de la perte d’un être cher.
Marcel Jean a souligné à juste titre qu’on pouvait penser au court Yul et le serpent de Gabriel Harel (Festival 2015), nettement moins drôle mais avec un petit truc dans l’ambiance qui fait écho, et justement, Lucrèce Andreae a travaillé sur ce court. Logique donc…
Interview de la réalisatrice à l’occasion de la nomination de son court au Festival de Cannes ici et teaser ici.
– O poeta das coisas horríveis de Guy Charnaux (Brésil, 5mn10)
Dans un tout autre style sur la famille… Guy Charnaux adapte ici un texte de Rafael Sperling tiré de son livre Um Homem Burro Morreu et j’avoue que si j’en parle, c’est notamment parce qu’il terminait une séance difficile et qu’un peu d’humour, même un peu foireux, ça faisait du bien !
Un père tente d’aider son fils à écrire des poèmes. Le fils pense que ça va l’aider à draguer. Mais il n’aime pas spécialement le style très littéraire et bucolique de la poésie donc forcément, quand il propose ses premiers écrits, c’est disons gratiné. A déconseiller aux enfants. C’est complètement con et les efforts du père pour tenter de faire comprendre l’essence de la poésie à son garçon qui ne pense qu’à se taper des filles sont assez drôles…
Le court est visible ici mais comme le dit le réalisateur, à éviter avant 14 ans…
Un peu dans même idée, en nettement moins “direct”…
– I Want Pluto to Be a Planet Again de Vladimir Mavounia-Kouka et Marie Amachoukeli (France, 11mn42)
On est dans une société où il y a d’un côté les humains basiques et minables, les H-, et les chanceux, plus riches notamment, les H+, des humains modifiés et améliorés par la science (des cyborgs, en fait). Marcus est un simple H- tombé amoureux d’une fille devenue H+ suite à un accident. Il veut donc lui aussi devenir un H+ pour qu’elle le regarde de nouveau… Sauf que l’amour n’a pas grand-chose à voir avec ça.
Le style graphique est assez original et les efforts désespérés du pauvre Marcus pour que l’élue de son cœur daigne le remarquer (sans question de harcèlement, hein) sont plutôt touchants même si à l’évidence, on sait qu’il va être déçu. Est-ce que tout ça en valait la peine ? Est-ce qu’une société où les corps ne ressemblent plus à grand-chose, où le monde est autant hiérarchisé entre riches et pauvres, donne vraiment envie ? Où la matière humaine n’est plus qu’un déchet qu’on balance sur une ex-planète ?
Un trailer est visible ici et quelques informations supplémentaires ici.
Et parce qu’on parle de cyborg et d’humanité…
– Adam de Veselin Efremov (Danemark, 5mn53)
Dans un futur pas forcément bien lointain, il est facile de perdre son droit à garder son enveloppe corporelle humaine. Ainsi, un homme se réveille un jour dans un corps mécanique…
Ce court m’a visuellement marquée. Le réalisateur vient du monde du jeu vidéo et a utilisé le moteur Unity pour créer son film. Et j’avoue que ça ne me parle pas du tout parce que je n’y connais absolument rien sur ce sujet. Mais j’ai cru comprendre que ce court avait été réalisé pour montrer les capacités de création de Unity, et quelles qualités ! Les textures, le rendu des cyborgs sont bluffants et l’ambiance qui se dégage du film est fascinante. On ne sait rien, il n’y a aucun dialogue, on ne peut qu’imaginer le pourquoi et le comment… mais il y a quelque chose de profondément perturbant et intrigant qui m’est resté en tête un bon moment. La fin m’a fait penser au film I, Robot où tous les robots se retrouvent pour créer leur propre destin…
(Le plus ironique dans tout ça, c’est qu’on se fait plein d’idées sur l’histoire de ce film alors qu’ils voulaient peut-être juste en faire un démo pour Unity, sans chercher plus loin…)
Le film est disponible ici et on peut en apprendre plus ici.
Pour continuer sur les films qui m’ont enchanté les mirettes…
– Valley of White Birds de Cloud Yang (Chine, 14mn16)
Un homme à la poursuite des oiseaux blancs. Honnêtement, je ne sais pas trop de quoi parle précisément ce film… mais qu’est-ce qu’il est beau !! Les décors, le design, les couleurs, l’animation, tout est splendide et envoûtant. C’est une expérience visuelle terriblement attirante. Alors même si je n’ai pas trop compris ce qui s’y est passé pendant 14mn, notamment parce qu’il y a tellement de choses à regarder, le temps ne m’a du tout paru trop long…
Et si on part côté “histoire à comprendre”, je choisis…
– Manivald de Chintis Lundgren (Canada, Croatie, Estonie, 13mn)
Manivald a 33 ans et vit avec sa mère qui le couve un peu trop. Débarque alors un beau réparateur sexy qui va leur taper dans l’œil à tous les deux. Voilà un triangle amoureux pas si commun…
Manivald semble être un personnage récurrent chez Chintis Lundgren, selon ce qu’on voit sur son site. Le fils dans les jupons de sa mère est doué en tout sauf dans la vie, et sa rencontre inattendue avec ce fameux réparateur va l’obliger à se bouger un peu. Drôle, très ironique, expressif avec quasi rien…
Quelques informations et un trailer ici.
Et puisqu’on en est là, je ne pouvais pas passer à côté de…
– J’aime les filles de Diane Oobomsawin (Canada, 8mn12)
Quatre jeunes femmes reviennent sur leurs premières expériences amoureuses avec une autre fille. C’est mignon, tout doux, drôle et touchant. Le style minimaliste de Diane Oobomsawin permet de faire passer ces petites histoires avec sobriété et pudeur.
Informations et trailer ici.
Continuons dans les témoignages mais un peu plus dramatique…
– Zug nach Peace de Jakob Weyde et Jost Althoff (Allemagne, 9mn52)
Un homme, réfugié irakien en Allemagne, se souvient de l’histoire mouvementée de son pays que lui rappellent les bruits du métro. Il est là, dans ce wagon, au milieu de ces visages qui le font se sentir tout le temps étranger et il raconte les guerres, les invasions, les destructions, de ce pays natal qu’il aime mais à qui il ne peut pas faire confiance…
Mêlant images réelles et dessins en noir et blanc, ce court nous plonge dans l’histoire d’un pays meurtri avec intelligence et sobriété. C’est d’ailleurs Haiber Adid, l’initiateur de ce projet, qui joue et narre.
Teaser disponible ici.
Et pour continuer sur ce type de sujets, mais côté historique…
– Radio Dolorès de Katriina Lillqvist (Finlande, 18mn05)
En 1936, des ouvriers d’une usine finlandaise de chaussures se regroupent pour venir en aide aux Brigades Internationales lors de la guerre civile espagnole, notamment à l’aide d’une radio illégale qui les tient informés. L’un d’eux finit par s’y engager, quittant femme et enfant, puis disparaît. Devenu adulte, dans les années 60, son fils part en Espagne en apprendre plus sur ce qui lui est arrivé…
Premier court vu lors de cette édition, il utilise des marionnettes pour nous plonger dans ce morceau d’histoire dont je ne savais absolument rien, évoquant la solidarité des mouvements ouvriers à l’international. Je trouve très intéressant que l’animation puisse ainsi nous intéresser à des récits de ce genre pour permettre de ne pas oublier.
Le teaser est disponible ici.
– Sprawa Moczarskiego de Tomasz Siwinski (Pologne, 5mn15)
Autre histoire, celle de Kazimierz Moczarski, journaliste polonais et membre de la résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Il fut arrêté en 1945 par les troupes du régime communiste et enfermé pendant plusieurs mois dans la même cellule qu’un officier SS Jürgen Stroop, responsable de la destruction du ghetto de Varsovie. Cruelle ironie ou sadisme ? De cette détention, il tirera un livre, Entretiens avec le bourreau. En 1952, Stroop est pendu, sort qui attendait également Moczarski qui verra finalement sa condamnation d’abord transformée en perpétuité puis, après la mort de Staline, annulée en 1956.
Cette histoire est connue de tous les Polonais et le réalisateur nous a expliqué que la difficulté était justement autant de pouvoir parler à eux qu’aux autres n’en ayant jamais entendu parler. C’est un panneau à la fin qui explique l’histoire et je crois que c’est justement ma totale méconnaissance au premier abord qui m’a permis d’être frappée par ces images. Un court très fort et intéressant.
Il est disponible en entier ici.
Sans que ce soit lié à une histoire précise, il y a aussi…
– Nothing Happens d’Uri et Michelle Kranot (Danemark, France, 11mn49)
Petit à petit, ils se rassemblent, d’abord deux puis cinq puis vingt, ils s’installent sous les arbres, sans se parler, regardent et attendent. Quoi ? On ne sait pas…
Le couple Kranot est un habitué du Festival. Cela fait trois années de suite qu’un de ses courts est en compétition. Et il propose à chaque fois quelque chose d’intrigant, qui frappe et interroge. Ici, il y a la notion d’assister passivement à un événement, d’être là et de regarder, d’être spectateur. Voir, être vu. Qu’importe qu’on ne sache pas de quoi il s’agit.
A noter qu’il y a aussi une version VR de ce court métrage qui était disponible au stand VR. Je n’ai hélas pas eu l’occasion de tester mais j’aurais été extrêmement curieuse d’en faire l’expérience…
Un trailer est disponible ici et un autre pour la version VR ici.
Dans un esprit encore plus décalé…
– Min Börda de Niki Lindroth Von Bahr (Suède, 14mn45)
Une comédie musicale interprétée par des personnages animaliers dans un hôtel, un centre d’appel, un fast-food et un supermarché. Le ton de ce court en pâte à modeler est plutôt désespéré avec des pointes d’humour noir et absurde dans un univers vide et morne. L’expérience est assez perturbante, mêlant le ton joyeux des comédies musicales au glauque d’un monde mort plongé dans la solitude et l’isolement.
Un trailer est disponible ici.
Et dans un style plus minimaliste et expérimental…
– In a Nutshell de Fabio Friedli (Suisse, 5mn48)
Tout part d’une coquille de noix pour résumer notre monde. Un peu à la manière d’une kyrielle syllabique (“marabout, bout d’ficelle, selle de cheval…”) mise en image, le réalisateur aborde plein de sujets d’actualité juste en enchaînant les photos d’objets. Je ne suis pas spécialement fan de ce genre-là habituellement mais j’ai trouvé ici intéressant de réussir à faire ressortir des thèmes forts durant quelques secondes juste comme ça, avec des associations d’objets et d’idées. Assez fascinant…
Un trailer est disponible ici.
Quoi de mieux pour clore tout ça qu’une petite balade spirituelle ?
– Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard (Royaume-Uni, 4mn30)
Et pourquoi ne pas tenter de rencontrer Dieu ? Où pourrait-il bien se cacher ? Cette recherche pourrait-elle faire découvrir l’amour ou connaître le désespoir ?
Alliant un dessin de personnages très simpliste et déformé, et des dessins au crayon très précis et détaillé, le court de Nicolas Ménard est une petite pépite d’humour absurde qui ne part de rien et ne va de toute façon nulle part. Et c’est drôle. Parfois, on n’en demande pas plus.
Le court est disponible ici.
Voilà qui donne une certaine idée de mes séances de courts métrages de cette année.
En fait, il y a quelque chose de précis que j’aime beaucoup dans le court métrage. En une heure et quelques, on peut voir un dizaine de films et j’apprécie particulièrement les premières secondes. On ne sait pratiquement rien de l’histoire, on a peut-être vu juste une image dans le programme, on n’a pas vraiment d’idée de ce qui nous attend et là, sur ces premiers instants, c’est toujours la surprise. Va-t-on être emporté, touché, rire, pleurer, s’interroger, s’ennuyer comme un rat mort ? C’est l’inconnu, à chaque fois et il y a quelque chose d’enthousiasmant d’être toujours comme ça dans cette incertitude, face à l’idée d’un.e auteur.e qui y a mis toute son énergie pendant des mois, des années (cinq ans de travail je crois pour Lucrèce Andreae pour Pépé le morse par exemple). Il y a quelque chose de magique là-dedans. C’est pour ça que même si je peux être déçue, agacée, fatiguée, je tiens chaque année à voir au moins les 5 programmes de courts métrages de base.
Je ne sais pas du tout lesquels vont gagner un prix ce soir (certains en ont déjà reçu hier, les Prix spéciaux). Mais si la sélection n’a pas été facile cette année, elle garde néanmoins toujours cette richesse de technique, de sujets, de styles. Et c’est ce que je veux en retenir…
Vous pouvez d’ailleurs aller sur la chaîne Youtube du Festival pour voir notamment les films de commande.
Allez, plus qu’un billet demain pour le palmarès et mon bilan de cette édition !