27 septembre 2022

Chiisakobé

Série en 4 tomes par Minetarô Mochizuki, éditée en VF par Le Lézard noir.
Sens de lecture japonais, 150x210mm, 15,00€.

Chiisakobé est un manga en 4 tomes épais de Minetarô Mochizuki publié au Lézard noir. On a déjà pu découvrir cet auteur atypique chez Pika avec Dragon Head et Maiwai (en cours, un volume par an, il faut être sacrément accroché), La dame de la chambre close chez Glénat et dernièrement Tokyo Kaido de nouveau au Lézard noir. Chiisakobé a reçu le Prix de la série au Festival d’Angoulême 2017.

Chiisakobé vol. 1Tandis que Shigeji, jeune maître-charpentier de 26 ans, est en charge d’un chantier à Kamakura, il apprend qu’un incendie a ravagé son quartier de Tokyo et que ses parents sont morts. A lui de prendre la relève et la direction de l’entreprise familiale Daitomé. En plus de cette épreuve, il retrouve Ritsu, une amie d’enfance engagée pour aider à la maison et qui n’est pas venue seule…

Chiisakobé est une libre adaptation d’un roman historique de Shugoro Yamamoto (non traduit en français) du même nom. Mais au lieu de se dérouler à l’époque Edo, il nous est contemporain. Pour autant, on y ressent profondément l’attachement des personnages, et surtout de Shigeji, à des valeurs traditionnelles comme le respect aux aînés et aux coutumes, ou un certaine vision des rôles de chacun.
Ainsi Shigeji ne va pas ménager sa peine pour tenir bon et remettre à flot l’entreprise familiale après le drame, tout en refusant obstinément toute aide extérieure. Peu causant, le visage caché derrière une épaisse barbe, voilà un personnage très discret mais pour autant pas du tout effacé, prenant très à cœur son rôle d’héritier de Daitomé, prêt à supporter tout le poids d’une telle charge face à un marché difficile, des concurrents bien plus puissants, une conjoncture complexe. S’il n’est pas facile à cerner, on comprend petit à petit que son obstination est en fait une forme de volonté héritée de la mentalité de son père et que même si son entourage a du mal à le suivre, il  se refuse au moindre instant de faiblesse.

L’autre personnage important du manga, c’est la jeune Ritsu, à peine 20 ans, récemment orpheline, ayant assez peu d’estime d’elle-même et s’estimant déjà heureuse de pouvoir s’occuper des travaux ménagers chez Shigeji. Voilà bien deux individus qui, même s’ils ont du mal parfois à se parler et à se comprendre, suivent la même voie très traditionnelle, là où l’autre personnage féminin Yûko, plus âgée, plus instruite, est plus proche d’un idéal de femme moderne comme se l’imagine Ritsu.

La série a été couverte d’éloges aussi bien par la presse que par les professionnels – pour les lecteurs, c’est plus compliqué à dire vu que le titre ne s’adresse clairement pas au public manga classique – mais j’ai pour ma part eu un peu de mal à rentrer dans cette histoire.
Le trait de Mochizuki est extrêmement précis, presque chirurgical, parfaitement maîtrisé, jouant plutôt sur le réalisme, donnant un côté assez froid au dessin. Autant cela permet au lecteur d’un récit d’angoisse comme Dragon Head de surmonter les horreurs décrites et de pouvoir continuer sa lecture sans être trop submergé par la terreur et la panique, autant dans un récit tranquille du quotidien comme Chiisakobé, cela donne une sorte de distance qui met comme un filtre sur les émotions restant alors plutôt non-dites. C’est techniquement parfait pour permettre de retranscrire l’extrême pudeur des personnages, assez avares en paroles et en sentiments, très “japonais”, en quelque sorte.

Mais d’un autre côté, c’est en terme de lecture plus compliqué de s’impliquer dans ce qu’on lit au fil des pages, plus difficile de se sentir proche des personnages et de ce qu’ils vivent, qui n’a en soi rien de spectaculaire ou d’exceptionnel. On a juste un homme qui tente de redresser l’entreprise familial, envers et contre tout. On est ici très dans le cérébral, dans la retenue avec parfois ici et là quelques éléments totalement grotesques intégrés pour donner une dimension un peu surréelle à l’ensemble : les gamins et leur caractère assez spécial, le père de Yûko pervers obsessionnel de sa fille (qui s’en rend compte), des genres de petites notes absurdes (peut-être comme dans un film de Wes Anderson, dont Mochizuki dit s’inspirer justement).

Chiisakobé vol. 4Il n’y a ici rien de démonstratif dans les relations qui se créent entre les personnages, tout reste en sourdine, en non-dits. Mais c’est justement par le choix des cadrages, la précision du trait, les mises en scène, le travail de la narration, du découpage des planches, que Mochizuki parvient à petit à petit dévoiler le cœur de ses personnages : la difficulté du deuil pour Shigeji, qui se doit de rester fort face à la mort de ses parents pour que leur héritage ne soit pas perdu, son besoin de se rattacher tandis que ses repères ont disparu, le manque de confiance de Ritsu qui ne sait pas trop où est sa place et se sent ainsi proche des orphelins dont elle s’occupe, n’ayant aucun foyer à elle tout comme eux.

Chiisakobé n’est clairement pas une série facile d’accès et si elle ne m’a pas totalement transportée, la délicatesse de sa construction, l’élégance de son trait, l’extrême finesse de ses personnages en font une œuvre intrigante qui ne laisse pas indifférent.

2 réflexions sur « Chiisakobé »

  1. (psst… tu as laissé deux « Chigeji » au lieu de « Shigeji » au début ^^)
    J’ai beaucoup aimé cette série, justement pour tous ces non dits et cette retenue, assez fascinants à examiner. C’est vrai que c’est lent, qu’il ne se passe rien de spécial (enfin, que d’incendies et de décès, tout de même !), mais j’ai contemplé chaque planche avec beaucoup d’admiration pour l’auteur.
    Cela dit, maintenant que Tokyo Kaido est sorti, je peux dire que j’ai une préférence pour ce dernier ^^

    1. Merci, c’est corrigé, on n’a rien vu 🙂
      Oui, il y a quelque chose de fascinant mais il faut vraiment un investissement du lecteur pour réussir à se laisser prendre par l’histoire. Ca reste une démarche intéressante mais pas évidente…
      J’attends que les 3 volumes de Tokyo Kaido soient sortis pour m’y plonger.

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