Série en cours par Rick Remender, Sean Murphy et Matt Hollingsworth (pour la couleur), éditée en VF par Urban Comics, 197x300mm en version NB, 185x285mm pour la version couleurs, 15,00€.
Volume 1 paru le 29/04/16 pour la version noir et blanc, le 27/05/16 pour la version couleurs.
Depuis que je me suis plus sérieusement mise aux comics, s’il y a un auteur qui me fait acheter sans trop réfléchir, c’est bien Sean Murphy. De Joe l’aventure intérieure à The Wake, en passant par Off Road ou évidemment Punk Rock Jesus, son dessin précis, détaillé, nerveux ne cesse de m’éblouir. Pas de raison donc que je passe à côté de Tokyo Ghost, sa nouvelle série scénarisée par Rick Remender. Etant plutôt sensible au noir et blanc, c’est cette version limitée que j’ai lue, la version couleur sortant un mois plus tard qui plus est.
Los Angeles, 2089. Le monde est un égout à ciel ouvert, une fosse septique où rampent les humains abreuvés de nano-tech, constamment bombardés de divertissements virtuels, maintenus sous drogues pour réussir à oublier l’horreur de ce qui les entoure : une vie sans but, vide de tout sens, où seul l’audimat compte, où seule l’adrénaline qui coule à flot permet de survivre. La mort, la violence, la misère sont partout. Led Dent est un agent de Flak Corp, multinationale du divertissement, et il traque les individus qui gênent le patron. Brute nano-dopée qui ne sort jamais la tête de ses émissions, il peut compter sur Debbie Decay, sa partenaire et son amour de toujours, seule zéro-tech de tout le secteur. Elle rêve d’autre chose pour lui, un monde sans meurtre, sans drogue, sans tech…
Le monde où sévissaient les pires trash TV que Sean Murphy mettait en scène dans Punk Rock Jesus n’était déjà pas joyeux, mais alors là, on a atteint le summum du glauque. Une terre morte où les multinationales ont tout gagné, gérant tout selon leurs seuls intérêts sans aucun risque que qui que ce soit puisse s’y opposer. L’humanité n’est plus qu’un réservoir à viande, juste bonne à se bourrer de nano-tech et de drogues diverses en passant le temps face à des divertissements ultra-violents où la vie n’a aucune importance. Tout est devenu toxique, désespéré, cynique, sans plus un gramme de compassion, d’amour ou d’authenticité.
Au milieu de ce bain empoisonné survit Debbie, qui espère réussir à sauver son amour, perdu au fin fond de la masse de chair défoncée de Led Dent. Mais est-il possible de le sauver, lui qui a fait de terribles choix pour elle (ou pour lui ?), devenu montagne de muscles, brute épaisse n’ayant plus aucune conscience ou morale ? Lui qui, obnubilé par le cliché du mec assez fort pour protéger sa demoiselle, n’a pu supporter de la voir elle le protéger lui, prêt alors à perdre son humanité pour rassurer son ego ?
C’est une histoire d’amour. Mais l’amour qu’on aimerait toujours voir plus fort que tout est-il réellement si puissant face aux doutes, aux démons planqués dans nos âmes qui n’attendent que la moindre petit faiblesse pour sortir et nous dévorer ? Face à l’adrénaline du danger, du sang qui gicle, des crânes qui se brisent, face à la puissance de la vengeance qui plante profondément ses racines dans le cœur de chacun, dans ce monde où la survie ne tient absolument à rien ?
Ce futur mis en scène par Remender et Murphy fait froid dans le dos, d’autant plus qu’il est finalement basé sur notre propre quotidien, où l’argent est roi, où les scrupules et l’éthique s’effacent devant un gros chèque, où il est tellement plus facile de nourrir les mauvaises facettes humaines que les bonnes. Ce premier tome est déjà complet en lui-même, porteur d’un minuscule espoir face à la toute-puissance du cynisme et de la soif de violence. Debbie avait cru trouver une oasis dans sa vie tourmentée mais il suffit parfois d’un rien pour dégoupiller une grenade et tout ravager…
Le dessin de Murphy est toujours aussi impressionnant, rageur, détaillé, précis. Les premières pages nous plongent directement au cœur de l’action et on est pris dans un rythme d’enfer qui coupe le souffle et étourdit. Puis on reprend pied, on respire une bouffée d’air et on comprend dans quel merdier les deux auteurs nous ont emportés.
Comme on l’aura compris, le tout est très violent et dur, mieux vaut être averti. Ce premier tome amorce en tout cas une histoire prometteuse, déjà riche en rebondissements, dense en idées et pleine d’imprévus. Que vont-ils nous réserver pour la suite ?