Volume unique par Derf Backderf, édité en VF par les Éditions çà et là, 170x250mm, 240 pages, 22,00€. Sorti en septembre 2015.
Après avoir eu tant de mal à me lancer dans la découverte du style de Derf Backderf il y a deux ans, j’ai été totalement convaincue après ma lecture de Punk Rock & mobile homes et de Mon ami Dahmer. C’est donc sans aucune appréhension que j’ai continué avec sa dernière oeuvre en date, Trashed, toujours chez çà et là.
Derf Backderf a été un an éboueur dans sa petite ville de l’Ohio à la fin des années 70 et c’est en puisant dans son expérience qu’il décrit le quotidien olfactivement éprouvant de JB et Mike. Deux jeunes mecs, comme lui à l’époque, qui se retrouvent à ramasser les poubelles de leur bled…
Ça ne doit pas être évident de proposer à son éditeur « eh mec, ça te dirait de publier ma BD sur deux éboueurs ? »… Et pourtant, quand on a le talent de Derf Backderf, ce serait dommage de louper ça.
JB et Mike débutent dans le métier et vont devoir se salir la tronche et les mains pour garantir la propreté des rues de leurs concitoyens. Quel que soit le temps, même avec le pire blizzard. Quel que soit ce qu’il y a à ramasser, que ce soit des cerfs morts, des moteurs de bagnole, des poubelles remplies de couches de bébés ou des marmites qui cuisent depuis des jours sous le soleil. Pas très ragoutant, hein ? Mais Derf Backderf a l’art et la manière de décrire le quotidien de ses personnages avec une grosse dose d’humour et un sens de la dérision inimitable.
Il est même très appréciable qu’il n’y ait aucun cynisme, aucune méchanceté ni aucun dénigrement de leur job chez les deux amis. Certes, le boulot n’est pas reluisant et pour draguer, le parfum éboueur n’est pas le plus efficace. Mais JB et Mike font leur travail du mieux possible, selon les moyens du bord, faisant contre mauvaise fortune bon cœur quand le voisinage n’est pas très arrangeant, quitte à coller un petit cadeau au passage pour les citoyens les plus créatifs dans la connerie. Ils sont d’ailleurs régulièrement révoltés par ce qu’ils voient, n’acceptant pas tout d’un air blasé en s’en foutant éperdument.
JB et Mike galèrent, face à des collègues pas toujours bien agréables ou un chef exigeant, mais ils assument le travail sans sourciller, conscients d’avoir un rôle certes ingrat mais tout de même bien utile. Leur quotidien enchaîne les anecdotes les plus hilarantes, grotesques, absurdes, hallucinantes et pourtant vraies, l’auteur s’étant également renseigné sur le système de gestion des déchets pour la sortie de la BD.
Il en profite au passage pour égratigner la société consumériste du toujours plus, irresponsable, immature et tout simplement crade où tout semble fait pour que l’humanité finisse par se noyer dans ses propres détritus. Le rêve américain en prend aussi pour son grade, avec les habitants expropriés par les banques qui vident les maisons sans ménagement, laissant tous les vestiges d’une vie attendre la benne sur le trottoir, les villes aux commerces qui se vident et ferment, l’hypocrisie d’une économie qui se donne bonne conscience en recyclant ses bouteilles de lait tout en continuant à déverser ses tonnes de déchets, les horaires infernaux de boulots toujours plus précaires et inacceptables, avec notamment le ramassage des torpilles jaunes. Pensez routiers, pensez besoins naturels, pensez marchandises à livrer au plus vite quitte à ne pas pouvoir s’arrêter en chemin. Vous devriez comprendre ce que sont ces fameuses torpilles jaunes qu’il faut ramasser à chaque printemps avec la tonte des pelouses des bords de routes…
Comme le résume très bien JB : « Imagine l’économie comme un immense tube digestif. Et nous on est là, devant le trou du cul du libéralisme à nettoyer. » Cela me semble un bon résumé…
Bref, on n’imagine pas à quel point une BD sur le ramassage des déchets peut être drôle, instructive, riche, jubilatoire, révoltée. Mais il faut tout le talent de Derf Backderf pour réussir ça.