Volume unique par George Morikawa et Nobumi, édité en VF par Akata en mai 2015.
Sens de lecture japonais, 112x176mm, 6,95€.
Petit à petit, des mangas post-11 mars 2011 commencent à sortir en France. Après Santetsu chez Glénat et Daisy déjà chez Akata, c’est au tour de Je reviendrai vous voir, un one-shot de George Morikawa, célèbre pour sa saga de boxe Ippo (chez Kurokawa). Il adapte ici un récit de Nobumi, avec la participation de plusieurs autres mangaka sur quelques cases disséminées dans les pages.
Je reviendrai vous voir est plus une mise en avant sur la question purement humanitaire que sur la catastrophe en elle-même.
De par nos moyens de communication actuels, nous sommes régulièrement confrontés aux images d’horreur de catastrophes naturelles qui se déroulent plus ou moins loin de chez nous. Séismes, tsunamis, tempêtes, ouragans, tornades… il se passe rarement 6 mois sans que des images d’un bout de la planète nous parviennent, dévoilant des scènes de désolation absolue, de terreur, de panique, de dénuement total, nous laissant alors seuls avec notre impuissance et notre compassion pour les victimes. À moins d’être profondément cyniques ou aigris, difficile de ne pas ressentir un besoin sourd et criant d’aider, pour quelque raison que ce soit.
C’est exactement ce que décrit ce manga, suite à la catastrophe du 11 mars 2011, le séisme dans la région de Sendai puis le tsunami (il n’est pratiquement pas fait mention de la catastrophe nucléaire de Fukushima qui a suivi vu que cela se déroule dans les tout premiers jours, quand cette partie-là de la tragédie était encore très vague). Nobumi est illustrateur de livres jeunesse à Tokyo et son monde s’arrête quand les premiers échos du drame lui parviennent. Il veut aider, viscéralement, et si son premier geste est sans doute maladroit – envoyer des livres aux refuges pour les enfants sans savoir du tout de quoi ils ont vraiment besoin – il comprend très vite qu’il se doit d’aller sur place. Avec d’autres collègues et volontaires, il part cinq jours au milieu des ruines, la volonté chevillée au corps mais sans aucune idée ni expérience en la matière. Il se retrouve alors confronté aussi bien à la douleur des survivants qu’à ses propres doutes et questionnements sur la finalité, la portée et le bien-fondé de sa venue.
Avec ce manga, il n’y a aucun doute que toutes les personnes qui y ont participé ont vécu ce même cheminement intérieur, ce même chamboulement entre envie d’agir, peur de se tromper, bonne volonté mal gérée et impuissance face à la tragédie. Nobumi le narrateur, George Morikawa le mangaka et tous ses collègues qui ont apporté leur aide ont été sur place plusieurs fois, apportant dans leurs mots, leurs dessins, leur ressenti profondément ambigu, écartelés entre leur besoin d’être utiles et le risque de gêner ou de se tromper. On peut avoir les meilleures intentions du monde, les idéaux les plus purs, si on oublie de regarder, d’écouter et de prendre en compte la réalité pour lui préférer notre fantasme de sauveur, on fera plus de mal que de bien. L’altruisme est un beau et noble élan, mais complexe, aux racines parfois obscures, aux raisons parfois viciées, rendant extrêmement difficile d’être honnête avec soi-même et ses intentions.
Ainsi, Nobumi, obsédé à l’idée d’aider les enfants qui sont le principal moteur de son travail d’illustrateur, doit encaisser les réactions de rejet, de mépris et de haine que sa bonne volonté déclenche sur le net, les internautes étant par ailleurs très doués pour juger et imposer leurs vues sur ce qui devrait être fait ou pas. Parfois à raison quand il s’agit de gens touchés par la tragédie qui ont besoin d’exutoire, parfois à tort pour tous ceux qui jugent et malmènent en restant bien installés sans jamais réellement prendre part à l’action.
Et si ces réactions virtuelles mais non pas moins violentes perturbent Nobumi, c’est surtout qu’elles font surgir tout un pan de la réalité dont il n’avait pas forcément conscience au départ, et expriment la même détresse et la peur qu’il ressent sur ses choix sans vraiment le savoir.
Le voilà sur le terrain avec ses compagnons, face aux ruines, au chaos, aux vies brisées, aux âmes meurtries, aux familles déchirées, à la douleur et détresse des survivants qui errent sans réaliser. L’enthousiasme, la bonne volonté, l’énergie, la compassion, rien ne prépare à ce qu’ils découvrent alors, ressentant d’autant plus leur impuissance face à un tel désastre même une fois sur place. Quelle attitude est la bonne ? Quels choix doivent-ils faire ? Ne vont-ils pas être perçus comme gênants, rapaces pseudo-humanitaires juste là pour faire une petite bonne action, se donner bonne conscience pour ensuite rentrer gentiment et tout oublier ?
Mais ces questions, ces doutes, cette gêne, ils doivent de toute façon les garder pour eux et juste être là, entiers et présents pour ceux qui en ont besoin. Accepter d’être peut-être mal reçus, pas toujours les bienvenus, être juste à l’écoute de ce qu’on leur demande. Accepter de porter ce petit poids-là face à la catastrophe, de laisser leur ego et leur fierté aux vestiaires, de se retrousser les manches et de mettre les bras dans les ordures, la boue, les algues moisies et d’oublier leur petite personne pour pouvoir faire partie d’un ensemble plus grand qui pourra vraiment être utile. Il n’y a pas de place pour les ego fragiles et les orgueils blessés si on veut vraiment être utiles et ne pas être un poids, une imposture. C’est ça le don de soi.
Sans doute n’y a-t-il aucune bonne réaction face à ces drames. Faisant vibrer des parties très intimes de chacun, personne ne réagira pareil. Mais cette impuissance, ce besoin d’aider, cet appel à ce qui nous lie tous et qui dépasse les frontières, les cultures et les langues, on les ressent profondément dans ce manga qui sonne très juste et interroge. Il y a aussi des sourires, des visages qui s’éclairent, des enfants qui rient, quelque chose de simple et de fort qui ressort, au delà des drames et des tragédies. Au final, la question n’est pas « qui a tort ? » et « qui a raison ? », mais « qui fait quoi ? ».
Ca me rappel que lors de la catastrophe, j’étais tombé sur un forum où des gens se regroupaient pour envoyer de l’aide aux sinistrés (argent, matériels, directement ou par le biais d’associations…) et dans le lot une femme avait demandé comment est-ce que l’on pouvait faire pour adopter des enfants japonais victime de la catastrophe. Elle s’était littéralement fait incendier par les internautes.
Ah, faut reconnaître que pour le coup, sa question était très très maladroite, au mieux…