Série en cours par Wilfrid Lupano et Paul Cauuet, édité par Dargaud, 225x298mm, 56 pages, 11,99€.
Tome 1 sorti en avril 2014.
Tome 2 en octobre 2014.
Tentée depuis plusieurs mois, j’ai fini par céder et acheter les deux tomes disponibles de la série Les vieux fourneaux. Si je ne connaissais pas le trait de Paul Cauuet, j’avais par contre déjà pu découvrir le talent scénaristique de Wilfrid Lupano avec Ma révérence et Un océan d’amour. Déjà convaincue tant par ces bonnes références que par les excellentes critiques déjà entendues, j’espérais juste ne pas être déçue à la lecture…
Antoine, Pierre et Émile sont trois vieux amis d’enfance. Ils se retrouvent à l’occasion de l’enterrement de Lucette, la femme d’Antoine, qui laisse là un mari éploré mais aussi une petite-fille, Sophie, dont elle était très proche. Cette dernière, enceinte, revient d’ailleurs de la ville pour reprendre le théâtre de marionnettes de sa grand-mère qu’elle veut faire renaître. Mais Lucette avait gardé durant toutes ces années un petit secret qui va se dévoiler après sa disparition…
Une des grandes forces de la BD c’est de pouvoir parler de sujets pas forcément a priori super attirants, de mettre en scène des personnages ne correspondant pas nécessairement aux clichés vendeurs… Ici, le troisième âge est en vedette avec notre trio de joyeux septuagénaires à la langue bien pendue et à la mémoire toujours vaillante.
Antoine a travaillé 40 ans pour un laboratoire pharmaceutique voisin et, en tant que syndicaliste, ne s’est jamais gêné pour pourrir la tronche du grand patron Garan-Sevier, aujourd’hui richissime vieillard totalement gâteux qui ne peut guère profiter de sa fortune. Pierre, encore plus engagé, est fouteur de merde professionnel et même à la retraite, il continue son action en gérant un groupe de non-voyants anarchistes qui aime mettre l’ambiance dans les réunions d’actionnaires et autres meetings politiques à grands coups de terrorisme situationnel option “vieux croulants qu’on ne peut pas cogner sans risquer un procès”. Quant à Émile, s’il coule des jours paisibles… et un peu chiants dans une maison de retraite, sa vie trépidante a connu bon nombre d’aventures que beaucoup n’oseraient croire…
Ce trio particulièrement attachant est un bonheur à suivre, que ce soit quand ils se remémorent le bon vieux temps, parsemé de grèves, d’actions syndicales et de baston avec les CRS, ou quand ils doivent donner un coup de main à l’un des leurs, embarquant dans l’histoire Sophie la petite-fille toute aussi énergique que sa grand-mère. Leur quotidien est bien loin de l’image de tranquille sérénité qu’on pourrait associer à la retraite et entre les engueulades, les rabibochages, les rencontres, les souvenirs, les découvertes, les rigolades entre copains, c’est surtout un énorme flot de tendresse que les deux auteurs nous balancent, faisant fi des clichés et des fossés générationnels qui ne demandent bien souvent qu’à être comblés.
Si dans le premier tome, les vieux en prennent pour leur grade – la tirade de Sophie sur “la pire génération de l’histoire de l’Humanité” face à un groupe de retraités sur une aire d’autoroute est une future scène culte, à n’en pas douter -, le deuxième amène une nouvelle facette avec par exemple une mamie anar en pleine séance de hacking de sites politiques ou un grabataire véritable arme de destruction olfactive particulièrement efficace en plein meeting BCBG.
Entre les dialogues savoureux et les scènes totalement rocambolesques, l’humour est omniprésent, avec un sens de la dérision et de l’ironie finement ciselé. Avec ces papys “gôchistes”, on est même plongé dans les luttes syndicales d’hier et d’aujourd’hui, face à des multinationales souvent tournées en ridicule – la société “boulangère” du tome 2 est magnifique de conneries – même si finalement, l’argent reste roi et qu’il est bien difficile, même avec la meilleure volonté du monde et l’énergie de l’idéalisme, de faire changer les choses. On garde derrière ça toujours un petit arrière-goût doux amer d’une pilule difficile à avaler face à un monde encore et toujours dirigé par la cupidité et la médiocrité. Le tableau ne peut pas être idyllique si on le veut réaliste, cela ne rend les scènes drôles que plus fortes et éclatantes.
Ces deux tomes sont en tout cas un pur régal, visuellement et scénaristiquement, avec des personnages hilarants, émouvants et terriblement attachants, jamais parfaits ou héroïques, juste humains avec leurs petites faiblesses, leurs paradoxes, leurs illusions, leurs rêves, leur fatalisme, leur énergie.
Je croyais pour ma part que la série se terminait avec le tome 2, il n’en est rien. Chaque volume est en fait un épisode à part entière et la série continue, avec un tome 3 annoncé pour novembre 2015. Nul doute qu’il y a encore beaucoup à raconter…
Ça y est, j’ai fini par lire (j’ai emprunté en biblio le 1er puis j’ai “couru” acheter les deux suivants) les trois tomes de la série (à quand un 4ème ?), me souvenant de ton avis enthousiaste et des bonnes bullenotes récoltées sur bulledair.
J’ai adoré cette combinaison d”humour et de dénonciations qui sonnent justes que l’on trouve tout au long de ces trois histoires indépendantes. J’ai particulièrement apprécié les analepses, la façon dont elles sont amenées, comme leur côté émouvant. Dernier point extrêmement appréciable, c’est, comme tu le signales, le fait que les auteurs ne font pas d’idéalisme, et ils n’hésitent pas à mettre en exergue toutes les erreurs que les protagonistes ont pu faire tout au long de leur vie. Le tome 3 est particulièrement édifiant sur ce point.