Quelle semaine ! Comme d’habitude, le Festival d’Annecy a été source de joie, de frustration, d’ennui, d’agacement, de fascination, d’interrogation, de remise en question. J’ai été à 13 séances sur les 16 que je m’étais programmées, en ayant laissé tomber 2 et une dernière hélas annulée alors qu’on était dans la salle. Je regrette donc de ne pas avoir pu voir les films de commande, cela apporte toujours un autre point de vue sur le travail d’animation.
Comme d’habitude, j’ai tout fait pour voir les 5 programmes des courts métrages en compétition, faisant par contre l’impasse sur le sixième, nouveau cette année, proposant des programmes off limits. Et comme d’habitude, je suis sortie de ces séances en me questionnant sur l’état psychologique de certains réalisateurs. Tout de même, il y a des torturés…
Je remarque d’ailleurs depuis déjà quelques années que l’humour est de moins en moins présent, laissant plutôt sa place à des ambiances plus lourdes, pas forcément glauques mais pas franchement d’un optimisme absolu. La crainte de l’avenir ?
J’ai également profité de l’année pour (enfin !) découvert les sessions des P’tits Dej du court, de 9h à 10h chaque matin au bar des haras durant lesquels les réalisateurs des courts métrages présentés la veille venaient discuter avec le public et expliquer leur travail. J’en suis vite devenue totalement accro, faisant 3 sessions sur 5 et je trouve l’initiative géniale, permettant d’entendre directement les réalisateurs sur leur film, d’approfondir ou de mieux comprendre leur état d’esprit. Parfois on passe totalement à côté d’un court parce qu’il nous manque un détail et cela permet de mieux comprendre. Et parfois, on a détesté le court avant et on le déteste encore plus après…
Côté longs métrages, je m’y intéresse moins désormais. Pour ce qui est des grosses productions, on les aura de toute façon dans tous les cinémas de France. Pour les films plus discrets, c’est l’occasion de pouvoir les voir si jamais ils ne sortent jamais en DVD mais j’en ai vus tellement des mal maîtrisés, approximatifs, longuets, enfantins, que je suis devenue assez méfiante sur le sujet.
Cette année, je n’en ai vu que deux : Moug d’Ahmed Nour hors compétition, pas super maîtrisé et un peu bancal mais apportant un point de vue de l’intérieur de la révolution égyptienne, et L’île de Giovanni de Mizuho Nishikubo, très beau et équilibré comme j’en ai longuement parlé dans la chronique dédiée. Et la conférence de presse avec l’équipe du film après projection était particulièrement intéressante. J’aime cet aspect du festival qui permet la rencontre avec les auteurs, une approche directe et passionnante, humaine et enrichissante que j’apprécie de plus en plus d’année en année. Au bout de 13 ans de festivals, il était temps que je comprenne !
Pour continuer sur cet aspect plus humain, je suis ravie d’avoir pu participer au WIP d’Astérix : le domaine des dieux. J’avais déjà tenté les sessions WIP (Work In Progress) durant les éditions précédentes et cela reste là encore de très bons moments, apportant une belle vue sur un film en cours de production. Dans le même genre, ma séance sur Mune de Benoît Philippon et Alexandre Heboyan était tout aussi instructive.
Humainement, comment oublier également la séance de rencontre avec Isao Takahata ? Bien sûr, cela aurait été encore mieux si on avait pu voir son dernier film, Le conte de la princesse Kaguya avant et je trouve vraiment dommage de n’avoir rendu ces séances qu’accessibles sur invitation. Ce n’est pas très logique. Mais bon, ne boudons pas notre plaisir, je suis ravie d’avoir pu assister à une discussion avec celui qui, selon Toshio Suzuki (également présent mais muet), a permis la création de Ghibli. Sacré personnage !
Et puis la présentation d’Inside Out par Pete Docter était vraiment sympathique et alléchante. Beau mardi que j’ai passé là !
Deux documentaires vus également cette année : un sur Ray Harryhausen, l’autre sur le studio Ghibli. Deux très belles projections, rendant toutes deux hommage au travail acharné de magiciens de l’image, créateurs d’univers, passeurs de rêve. Touchant et passionnant.
Enfin, attaquons-nous au gros morceau de ce billet, les courts métrages vus cette année qui m’ont marquée :
– Marilyn Myller de Mikey Please (Grande-Bretagne)
Je dois dire que la séance durant laquelle a été diffusé ce court de 6 mn commençait à me donner de sérieux doutes sur le bien-être mental de l’Humanité. Puis Marylin a débarqué. Elle a fait et défait, créé et détruit. Et elle vit que c’était bien… ou pas vraiment en fait. Techniquement, cela semble simple mais en fait original, tout en stop motion. Et l’histoire, notamment la chute, est plutôt tordante et ironique. Une bouffée d’air frais dans une séance assez difficile.
– La Petite Casserole d’Anatole d’Éric Montchaud (France)
Si j’ai bien compris, il s’agit d’abord d’une BD jeunesse d’Isabelle Carrier, que je ne connaissais pas. Cela parle d’Anatole qui se trimballe une casserole. Une vraie, rouge, attachée à son pied et qui passe son temps à l’empêcher de faire tout ce que font les enfants de son âge. L’histoire est adorable et parle de l’acceptation de la différence avec énormément d’intelligence, sans se la jouer grave ou excessif. En près de 6 mn, ces mignonnes petites marionnettes nous touchent et parlent à tous, sans faire de chichi. Vraiment sympa.
– Timber de Nils Hedinger (Suisse)
Une première œuvre de 5 mn, tout à fait maîtrisée et dotée d’un humour noir désarmant. Dans une forêt qui vient d’être décimée par les bûcherons, quelques bûches survivantes grelottent. Pourquoi ne pas allumer un feu ? Oui mais le feu, ça aime bien le bois… Au départ, Nils Hedinger n’avait pour idée que de faire un court drôle et divertissant. Mais quand on regarde le film, assez féroce, difficile de ne pas y voir une petite chronique très humaine sur la solidarité, l’entraide, l’individualisme. Le genre de court dont on se souvient.
– Pickman’s Model de Pablo Angeles (Mexique)
Même s’il ne semblait pas quelqu’un de très sympathique, avec des idées assez nauséabondes, il n’empêche que j’apprécie le travail de H.P. Lovecraft. Alors voir sur grand écran l’adaptation d’une de ses nouvelles (que je ne connaissais pas), c’était déjà intéressant. Et le résultat est à mes yeux vraiment réussi. Thurber Phillips est devenu ami avec le ténébreux peintre Richard Pickman. Mais ses œuvres recèlent un terrible secret infernal… Il a fallu près de 6 ans à Angeles pour faire son film (en ordinateur 3D), après son travail. Le résultat est assez fascinant, jouant sur l’apparence de marionnettes en bois tout en proposant une texture assez indéfinissable, apportant au trouble déjà suscité par l’histoire.
– Moulton og meg de Torill Kove (Canada, Norvège)
Passer de Pickman’s Model à ce court de 14 mn, c’était assez déroutant. Mais cela a sans doute d’autant plus accentué l’humour dégagé par cette histoire quasi autobiographique dans laquelle Torill Kove revient sur l’enfance d’une petite fille norvégienne des années 60 qui aimerait tellement être comme les autres alors qu’elle a hérité de parents si originaux qui ne font rien comme tout le monde. Le ton est principalement drôle, aidé par un style graphique simple et direct qui sait taper juste sans tourner autour du pot. Certains détails sont totalement hilarants et la fin apporte sa petite touche d’émotion. Le plus ironique, c’est que j’ai vu la réalisatrice le lendemain, elle semble avoir le même genre de vélo tout bizarre que dans le film !!
– 365 de The Brothers McLeod (Grande-Bretagne)
Le film frustrant par excellence. Le principe ? Chaque seconde, une image pour un jour, et ce pendant un an. C’est frustrant car le temps qu’on identifie l’image, qu’on commence à réfléchir sur ce qu’elle représente, on passe déjà à la suivante. On n’a jamais le temps de se poser sur une qui attire plus l’œil que les autres. Mais l’idée est intéressante, un peu rude à suivre mais originale.
– Histoires de bus de Tali (Canada)
Je n’aurais sans doute pas pensé à mettre ce film ici juste après la projection. Mais après avoir entendu sa réalisatrice en parler… En fait, c’est son histoire qu’elle raconte, quand elle devient conductrice de bus scolaire au Québec pour pouvoir faire coucou aux gens. Sauf qu’elle se retrouve avec un vieux bus impossible à diriger, sur des routes pas évidentes dans un pays blindé de neige constamment. Elle a raconté qu’à l’époque, elle avait la hantise d’écraser quelqu’un, il n’y a aucune visibilité en marche arrière, au point qu’elle en faisait des cauchemars la nuit. Inutile de dire que dans le film, elle est allée un peu plus loin… Et que oui, elle a versé dans le fossé mais ça arrive à tout le monde !
– Beauty de Rino Stefano Tagliafierro (Italie)
Hum, un court un peu perturbant. En utilisant une centaine de tableaux classiques qu’il anime de manière très limitée pour ne pas trop dénaturer l’œuvre originale, le réalisateur propose au spectateur de passer par toute une palette d’émotions, allant de l’extase à l’horreur infernale, mais toujours au travers de la beauté des peintures (dont beaucoup de William Bouguereau). Le résultat sur grand écran est assez saisissant, et déconcertant. On peut s’interroger sur l’intérêt d’animer des peintures qui se suffisent déjà amplement en elles-mêmes, surtout de manière si minimaliste finalement… Néanmoins, il faut reconnaître que l’agencement des tableaux est fascinant et très intrigant… À noter qu’au départ, le film a fait le buzz sur le net, avant d’être repéré par des festivals et donc retiré du web.
– Hipopotamy de Piotr Dumala (Pologne)
Là encore, un court dont je n’aurais jamais parlé sans avoir entendu le réalisateur ensuite. Dans un décor extrêmement limité, comme la scène d’un ballet moderne, il nous amène devant un groupe de femmes nues en train de se baigner avec leurs jeunes enfants. Arrive alors une troupe d’hommes aux intentions quelque peu violentes. L’idée étant, si je comprends bien, de faire se comporter des humains comme le font les hippopotames (Le réalisateur a eu l’idée après avoir vu un docu sur ces animaux). Toutes les femmes ont le même visage, de même que tous les hommes, tous les enfants. Le décor est minimaliste. Le propos est violent, choquant et a rapidement entraîné une controverse parmi les festivaliers. Le réalisateur l’assume et le comprend, lui-même a ressenti un malaise en le faisant. Mais son but est d’interroger sur l’homme, sa nature. Là où l’animal peut paraître cruel mais n’a pas à être jugé car vivant sa conscience du bien et du mal, l’humain a un sens moral et se rend donc bien compte de la possible horreur d’une situation qu’il provoque. Ce qui ne l’empêche nullement de faire bien pire que les mâles hippopotames… Le propos est perturbant, assez complexe à saisir sue le coup mais intéressant.
– Phantom Limb d’Alex Grigg (Australie, Grande-Bretagne)
La première chose que j’ai remarqué sur ce court, c’est son style graphique. Simple mais original et attachant. Puis vient son histoire, touchante. Un couple a un accident de moto. Lui n’a rien. Elle perd son bras gauche. Mais n’a aucun problème de membre fantôme. Lui si. Sa culpabilité en prend la forme et l’obsède. L’idée m’a semblé intéressante et bien gérée, habilement suggérée même. Un peu comme ces hommes qui font une couvade pendant la grossesse de leur femme. Très efficace et visuellement agréable.
– La Maison de poussière de Jean-Claude Rozec (France)
Ah, que j’ai aimé ce film. Une femme vit dans une barre d’immeuble bientôt détruite. Elle est relogée mais se retrouve dans les décombres en cours de démolition de son ancien appartement en suivant des silhouettes d’enfants… Au premier coup d’œil, j’ai pensé immédiatement à La maison en petits cubes de Kunio Katô, récompensé fort justement il y a quelques années. Même teinte sépia, même design un peu exagéré, même thème d’un individu qui revoit sa vie au travers des ruines de son ancienne demeure. Quelqu’un a demandé au réalisateur s’il connaissait l’autre film, il a répondu qu’il l’avait vu pour la première fois pendant la réalisation et que ça l’a quelque peu cassé. Mais lui qui au départ avait plutôt prévu de faire un film pour enfants avec des flash-backs a au fil des jours changé de style pour aller vers plus de drame, avec un fin assez tragique, une ambiance donc plus lourde, chargée, sur cette femme qui ne parvient pas à échapper aux souvenirs de sa vie (représentés très originalement). Vraiment touchant et parlant.
(Coup dur quand un spectateur lui a fait remarquer que son personnage avait des airs de Christine Boutin…)
– Poils de Delphine Hermans (Belgique)
Honnêtement, ce film est bizarre. Esthétiquement, c’est assez spécial, avec des couleurs très fortes et une histoire franchement tarée. Des gens obsédés par les poils. Mais étonnamment, ça marche. On est plus touchés que dégoûtés par certains, amusés par d’autres. Vraiment bizarre mais…
– Padre de Santiago Bou Grasso (France, Argentine)
Je ne suis pas complètement sûre d’avoir tout compris. Mais que ce soit techniquement ou esthétiquement, voilà un court vraiment prenant. Une femme en 1983 en Argentine, s’occupe de son vieux père malade, ex-militaire. Au fil des minutes qui défilent, cette femme nous montre sa vie sans éclat, morne, vide, où chaque petit instant de possible bonheur est coupé dans son élan par les gong d’une horloge qui constamment la ramène à son devoir familial. Et rien ne semble pouvoir changer. L’atmosphère est glaçante, tragique, intrigante, très impressionnante. Un court qu’on n’oublie pas de sitôt.
Il y en a encore quelques autres, bien sûr, mais je préfère me concentrer sur ceux-là (et oublier ceux que j’ai totalement détestés).
Pour finir, que dire sur l’organisation même de cette édition ?
J’ai déjà parlé de la billetterie et du plantage absolu du site lors des lancements, avec l’impossibilité de se connecter, de réserver, pour finalement voir les séances complètes avant d’avoir pu les atteindre. Mais je ne suis pas à plaindre : entre mon badge presse, inestimable sésame, et différents petits coups de bol, j’ai pu réserver toutes les séances que je souhaitais. Si on oublie la séance des films de commande annulée pour problème technique le lundi – ce sont des choses qui arrivent – et différents petits bugs rencontrés uniquement ce jour-là, tout s’est plutôt bien passé pour moi.
Je n’ai pas énormément utilisé la salle de presse mais les quelques fois, j’avais de quoi m’asseoir et presque un Wifi efficace (presque parce qu’il pouvait être très lent). Je n’ai jamais réussi à voter pour les prix du public depuis l’appli sur la tablette mais j’ai pu aller sur le site officiel pour le faire. En fait, tout est passé assez vite, guère eu le temps de souffler et les quelques bénévoles rencontrés, principalement à l’entrée des salles, ont toujours été très sympathiques, malgré la chaleur et la fatigue. Je craignais quelque peu cette histoire de billets numériques sur le badge, ça s’est finalement plutôt bien passé, jamais été bloquée à l’entrée d’une séance… et il faut reconnaître que c’est nettement plus rapide et pratique que les billets papier, qu’on doit trimbaler, ne pas perdre, ne pas oublier et dont l’échange était toujours très compliqué. Là, il suffisait de se connecter, bon OK, quand ça marchait, et s’il restait des places, ça se faisait dans l’instant.
Honnêtement, je n’ai pas eu à me plaindre. Et de leur côté, cela faisait bien longtemps qu’ils n’avaient pas pu diffuser tous les programmes en plein air le soir sans soucis de mauvais temps.
On verra donc ce que l’année prochaine nous réservera, du 15 au 20 juin 2015. D’ici là, Bonlieu sera terminé et le Festival pourra retrouver ses quartiers. Rendez-vous donc en 2015 si tout va bien !
Ça, on a remarqué que tu as apprécié les petits déjeuners du court 🙂
Je vais quand même songer sérieusement à aller à l’édition 2015, histoire de voir le nouveau Bonlieu.
Merci pour tes compte-rendus, toujours aussi plaisants à lire. Et à l’année prochaine pour une nouvelle édition !
édition à priori sympathique, c’est la 1ere fois en 15 ans que je ne fais pas le festival ( démotivation, programmation des Longs métrages peu intéressante pour moi à l’annonce en mai, et puis un peu de lassitude, la salle des haras trop pénible a se coltiner de nouveau)
Merci à toi pour tes billets chaque jour et les contre-rendus de séances, j’ai vécu un peu le festival sur le site et en ville, l’ambiance toujours détendue c’est tout 🙂
Cette pause d’un an fera sans doute du bien avant de repartir pour 2015 ^^.