Volume unique par Jillian et Mariko Tamaki, édité en VF par Rue de Sèvres, 184x254mm, 320 pages, 20,00€. Sorti en mai 2014.
Peut-être aviez-vous eu l’occasion de lire Skim des canadiennes Jillian et Mariko Tamaki en collection Écritures chez Casterman ? Pas moi en tout cas, mais la parution de Cet été-là chez Rue de Sèvres (Nadia Gibert n’est sans doute pas partie de Casterman qu’avec Mari Yamazaki dans ses cartons…) me permet de découvrir un très beau duo d’auteures.
Rose, 13 ans, comme chaque été depuis… toujours, vient d’arriver au bord du lac à Awago Beach. Elle y retrouve Windy, 11 ans, son amie de chaque vacance estivale. Mais petit à petit, au fil des années, elles grandissent et commencent à changer. Leur amitié pourra-t-elle tenir malgré tout ?
Les vacances adolescentes, un thème tellement rabâché qu’on ne pense pas pouvoir y découvrir quelque chose de nouveau. Et pourtant…
Dans Cet été-là, les cousines Tamaki décrivent avec énormément de finesse et de subtilité la relation en pleine évolution de deux amies. Un an et demi les sépare seulement mais quand arrive l’adolescence, c’est un gouffre.
D’un côté, Windy, avec toujours ses rondeurs d’enfant, sa candeur, son insouciance, son addiction au sucre, pouvant parler des pires sujets sans vraiment se rendre compte de la portée de ses mots, qui restent simples et sans sous-entendus. De l’autre, Rose, dont le regard sur le monde commence à changer, ne se sentant plus forcément si à l’aise avec certaines de ses habitudes estivales d’avant, ne comprenant pas vraiment le décalage qu’elle sent se créer entre elle et sa meilleure amie de plage. Et puis il y a les garçons qui commencent à la faire rougir, à l’intimider quand Windy ne voit là que des mecs dégueu sans intérêt.
Parfois, au détour d’une conversation, d’un jeu anodin et innocent, d’un regard qui se détourne, on sent une distance s’installer entre les deux fillettes qui savent bien que tout va bientôt changer pour elles, notamment physiquement avec leur gentille obsession des seins qui poussent (ou pas, c’est bien là le problème…), même si cela reste pour le moment très abstrait pour la petite Windy tout en prenant tout son sens et son importance pour Rose.
Au delà du regard très attachant et tendre de ces deux amies, on fait également connaissance avec leur entourage, ado comme adultes, plongés chacun dans leurs propres tourments.
Les parents de Rose se déchirent depuis des années, Alice la mère ne parvenant pas à surmonter un traumatisme qui l’empêche d’avancer et d’accepter de vivre de nouveau, là où Evan, papa attendrissant et prévenant, finit par ne plus trouver sa place à force de devoir supporter la tristesse de sa femme face à leur fille adorée. Leur relation, douloureuse, à vif, fragilisée, mais sans doute toujours pleine d’amour est décrite là encore avec finesse et justesse, sans lourdeur ni pathos, avec Rose en témoin bouleversée par ces adultes qui ne semblent guère plus sûrs d’eux qu’elle alors qu’elle arrive justement à un âge où, loin des certitudes de l’enfant qu’elle était, elle va avoir besoin d’une bouée solide pour ne pas couler. Ce monde adulte qu’elle va bientôt rejoindre, cela ressemble donc à ça ? Si loin des rapports simples qu’elle entretenait plus jeune avec Windy, loin de toute complexité, où aucun mot ne pouvait vraiment blesser…
Et puis il y a les adolescents du village, en plein mélodrame hormonale qui apporte sa touche d’intensité orageuse supplémentaire. Comme si les relations autour de Rose n’étaient déjà pas suffisamment tendues pour une enfant en plein chamboulement intérieur. Et ce n’est évidemment pas de regarder des films d’horreur en douce avec Windy, comme pour braver la peur que cet avenir d’adulte leur inspire, qui va vraiment calmer leurs angoisses. Mais Freddy ou Leatherface, aussi effrayants soient-ils quand on se balade ensuite dans le noir pour rentrer chez soi, font-ils le poids face à la peur de gérer une vie de grande personne dans un monde apparemment si complexe où même les parents semblent sur le point de sombrer ?
Le trait de Jillian Tamaki est parfaitement adapté, apportant sa touche délicate et maîtrisée à l’ambiance à la fois tendre et chaleureuse d’amies encore dans l’enfance, tendue et perdue d’adultes en plein doute, parvenant à faire ressortir toute la finesse des relations variées que chaque personnage entretient avec son entourage. Les visages, les regards sont expressifs, sachant faire passer la tension, le doute, la peur, le désarroi, l’ennui en une case. Le dessin est sans concession avec les petits détails physiques, les rides, l’acné, les rondeurs, apportant une touche de réalisme supplémentaire pour des personnages déjà bien développés.
La narration est habile, jouant avec la nonchalance des vacances tout en imposant un rythme accrocheur sans en faire trop, sans stress ou sensiblerie excessive.
Cet été-là est une œuvre à découvrir pour tout amateur de quotidien en apparence simple qui révèle toutes ses facettes subtiles au fil des pages, l’air de rien. On plonge sans réserve dans la vie de Rose, ses vacances qui semblent si paisibles, pour ensuite découvrir petit à petit ce qui se passe derrière les portes, les sourires et les grasses mâtinées, les balades sur la plage, les réunions familiales autour d’un feu de camp. On suit un quotidien profondément touchant et attachant, bourré d’amour et de tendresse, sans lourdeur ou bouleversement exagéré, juste la vie d’une gamine en train de grandir, obligée de dire adieu à l’innocence de son enfance.
Une réussite.
Merci : j’avais lu les noms de Jillian et Mariko Tamaki mais impossible de me rappeler où. Grâce à toi, ça me revient, c’est dans un article consacré au Toronto Festival 🙂
Cette BD me tente beaucoup, même si les conflits familiaux me mettent mal à l’aise (le côté Bisounous, toussa). Que ce soit dans ta description ou dans les images, je pense beaucoup à Vanyda, bizarre ^^
Même s’il y a conflit, il n’y a rien de lourd, de pesant. On ressent beaucoup d’amour et de tendresse derrière tout ça. Le ton est en fait assez apaisant malgré tout ce qui peut arriver, cela fait partie de la vie et on avance quand même… Vraiment quelque chose de bien retranscrit je trouve.
Lu et avec plaisir, merci d’en avoir parlé ^^
Effectivement, c’est relativement soft, côté drame familial.
J’ai beaucoup aimé l’ambiance et les sentiments qui sont retranscrits. Pas un énorme coup de cœur mais j’aimerais le relire, mon avis peut changer.