Volume unique par Derf Backderf, édité en VF par les Éditions çà et là, 170x250mm, 160 pages, 19,00€. Sorti le 14 février 2014.
Ayant déjà été intriguée par l’histoire de Mon ami Dahmer sans avoir sauté le pas, je me suis retrouvé face à la même question devant Punk Rock et mobile homes, toujours par Derf Backderf (en fait œuvre antérieure à Mon ami Dahmer mais sortie en version française après). Bloquée notamment par le style graphique, tout de même assez spécial. Mais après avoir été menacée de harcèlement à chacune de mes visites par Agathe la libraire jusqu’à ce que je cède, j’ai fini par craquer, motivée également par les bons retours entendus ici et là. OK, OK, jouons la carte de la curiosité que je prône toujours, après tout, ce n’est pas un dessin, aussi spécial soit-il, qui va m’impressionner.
Dans l’Ohio du début des années 80, Otto est un lycéen de terminale plutôt atypique. Brutalisé par les caïds de l’école avant une impressionnante poussée de croissance n’empêchant pour autant pas complètement les moqueries, il s’est construit le personnage du Baron, glorieux et splendide, ne craignant rien ni personne. Vivant dans le parc de mobile homes de son grand-oncle Elmo, il attend la fin de l’année pour se barrer de sa banlieue pourrie. Jusqu’à ce que son ami Wes lui fasse découvrir The Bank, ancienne… banque reconvertie en scène underground branchée où se produisent tous les groupes de punk rock du moment. Une vraie révélation pour Otto, devenant rapidement un habitué des lieux…
Fiction inspirée de la jeunesse de Derf Backderf et de faits réels, Punk Rock et mobile homes prend place dans un coin peu avenant d’Amérique, en pleine crise industrielle, zone sinistrée ex-centre mondial du caoutchouc tentant alors de survivre. L’ambiance pourrait être des plus glauques sans Otto, personnage ahurissant, génial et terriblement attachant, grand gaillard planqué derrière son personnage du Baron, déclamant régulièrement des tirades des bouquins de Tolkien ou parlant de lui à la troisième personne. S’en étant pris plein les dents et sa fierté au début de son adolescence, il ne semble plus craindre grand-chose, et si quelques crétins continuent de lui chercher des embrouilles malgré sa carrure, il ne paraît pas y attacher la moindre importance.
Le Baron aurait facilement pu devenir un personnage méprisant et hautain, il est au contraire drôle et sympathique, en décalage complet avec les poseurs et autres prétentieux de son lycée, tout simplement très libre dans ses idées et dans ses actes. Il vit d’ailleurs pleinement les poussées d’hormones de son âge, ne perdant pas une occasion pour initier ses amis au matage discret de la poitrine de Teri Workman, la fille de ses fantasmes, quitte à risquer les coups de fusil d’un frère un brin protecteur.
Sans limite, sans méchanceté, sans arrière-pensée foireuse et sans honte ou inhibition, Otto vit tranquillement jusqu’à découvrir The Bank et son univers punk rock, côtoyant les grandes figures du mouvement, les Clash, les Ramones et autres, qui succombent rapidement au naturel désarmant du jeune homme.
Ainsi, en nous faisant suivre le quotidien drôle et décalé de son héros, Derf Backderf nous plonge dans l’ambiance underground du début des années 80, à la poursuite du punk rock, au travers du regard lucide et sans concession d’un gars qui se rend bien compte que malgré toute l’énergie déployée sur scène, tout ça ne changera sans doute pas le monde.
Malgré tout, Otto n’est pas pessimiste ou désabusé pour autant. Au delà des limites qu’il perçoit autour de lui, il ne perd pas l’idée de créer sa propre route, sans prétention particulière autre que celle de vivre en accord avec lui-même, sans aveuglement. Son parcours à The Bank est souvent drôle, taré, mais sans un gramme de méchanceté, et les aventures foireuses qu’il vit avec les uns et les autres sont autant de pépites qui valent le détour.
Alors certes, si le dessin peut surprendre et pas forcément plaire au premier, deuxième voire troisième abord, il faut bien reconnaître qu’il participe au plaisir de lecture de par son côté lui aussi un peu décalé, son trait unique, ses aplats noirs, ses visages a priori simples et en fait hyper expressifs, participant totalement à l’ambiance énergique et un peu dingue qui se dégage. Je crois même commencer à bien l’aimer.
Punk Rock et mobile homes est un ouvrage assez unique, dégageant énormément d’amour et de tendresse pour ses personnages, pour la musique, pour toutes ces rencontres qui ont construit le punk rock, pour cet instant d’adolescence où tout est possible, où tout peut basculer, où tout est à faire, sans réelles limites ou barrières en dehors de celles qu’on s’inflige.
Une belle lecture rafraîchissante, musicale (on trouve la playlist sur Youtube très facilement), émouvante et chaleureuse. OK, j’ai bien fait de craquer…
Content de voir que tu as apprécié cette lecture. Pour ma part, c’est aussi la librairie 9ème quai qui m’a fait découvrir l’auteur avec “Mon ami Dahmer”. J’étais donc préparé à la lecture de “Punk Rock et mobile homes”. 🙂
Et, comme prévu, cela a été un excellent moment de lecture, avec la fameuse playlist en fond sonore (playlist à laquelle je n’accroche pas du tout, nos univers musicaux sont trop éloignés). On peut lire la suite des “aventures” du Baron sous la forme d’un webcomic accessible sur le site de l’auteur : http://derfcity.com/
J’espère que l’on aura la chance de lire en français “Trashed”, son premier “graphic novel”.