Volume unique par Tetsuya Toyoda, édité en VF par Ki-oon, en VO par Kodansha.
Sens de lecture japonais, 170x240mm, 14,00€.
En 2008, Kana nous avait permis de découvrir le premier volume sorti en relié de Tetsuya Toyoda, Undercurrent. Déjà une belle réussite, touchante et marquante. En octobre 2013, Ki-oon reprend le flambeau avec la sortie en collection Latitudes de Goggles, un volume regroupant six nouvelles écrites entre 2003 et 2012. Des nouvelles tout à la fois drôles, touchantes, émouvantes, justes, bourrées de tendresse même si les thèmes abordés peuvent être assez durs et tragiques.
Comme dans Undercurrent, Toyoda s’intéresse avant tout au quotidien banal et tout simple d’individus plutôt ordinaires. Se côtoient au fil des pages un chômeur, un habitué des petits boulots, un détective, des enfants, des salary-men, des retraités, une enquêtrice… bref, un petit concentré d’humanité avec ses bons côtés et ses zones d’ombre. Comme cette petite fille recueillie par un ami de sa famille, refusant d’enlever ses lunettes de moto, se murant dans un silence lourd de souffrances et de tristesse contre lequel va se dresser un jeune homme touché par la détresse de la gamine. Une gamine non désirée, non assumée, malmenée, séparée de la seule personne qui avait accepté de l’aimer à cause d’un bête accident.
Car la mort est très présente dans plusieurs de ces nouvelles. Une mort souvent accidentelle, qui pèse sur les épaules des proches, leur fait perdre pied avant une nouvelle rencontre qui leur redonne envie de vivre, ou au contraire leur fait réaliser l’importance de la vie, même si elle peut être pleine d’embûches, de disputes, de colère et d’incompréhension.
Au travers de ces histoires toutes simples, Toyoda dresse un portrait touchant et sensible de personnages simplement humains, donc imparfaits, dont les certitudes ont fini par faire place à des doutes, sur leurs choix, leur comportement, les décisions qu’ils ont pu prendre à une époque où tout semblait si différent. Mais pour autant, malgré la souffrance des uns, la tristesse des autres, Toyoda ne joue par la carte de l’apitoiement ou du mélo baveux, préférant amener d’une manière ou d’une autre de petites notes d’espoir, de possibilités d’un renouveau, d’un avenir meilleur, avec un peu plus d’amour et de chaleur. Pas un avenir sans galère forcément, mais simplement plus serein, plus généreux, avec ses petits instants de grâce, de beauté même si sur le moment, rien ne permet de l’imaginer.
Toyoda n’utilise aucun effet sensationnel ou spectaculaire. Les émotions, les ambiances, il les fait passer par les non-dits – beaucoup de cases muettes -, les regards, les petits actes banals du quotidien, préparer le repas et le partager, sortir et admirer un arc-en-ciel, rencontrer des gens dans la rue, bavarder… des trucs très simples et pourtant fondamentaux, qui font l’essence même de la vie. Son trait précis et détaillé, qui me fait toujours penser à celui de Hiroki Endo ou de Makoto Yukimura, dégage énormément de fluidité et d’élégance, sans fioriture, avec même une bonne dose d’énergie et de rythme, y compris dans des moments pourtant très contemplatifs. Toyoda n’est pas un mangaka de l’action, ce qui n’empêche pas quelques rebondissements ou courses-poursuites.
Sans oublier une bonne dose d’humour léger, évitant toute lourdeur sans pour autant amoindrir l’émotion transmise.
Si ces nouvelles ont été écrites sur plusieurs années, on trouve des thèmes communs – la famille, le souvenir, la mort – et même des personnages utilisés sur plusieurs histoires, permettant de leur donner à chaque fois un peu plus de profondeur (les lecteurs d’Undercurrent devraient même reconnaître quelques visages).
Bref, avec ce recueil, Tetsuya Toyoda prouve une nouvelle fois qu’il sait raconter le quotidien d’individus attachants, simples et touchants, cherchant tous un peu d’amour ou au moins d’intérêt de leur entourage. Rires, émotions, chaleur, tendresse… voilà ce que vous trouverez dans Goggles.
Merci pour ta chronique. Je viens justement de me faire prête Goggles suite à la lecture d’Undercurrent et je pense que je vais m’y attaquer rapidement.
C’est effectivement un recueil de très belles histoires. Les graphismes, et même le propos, m’ont fait penser à du Hiroki Endo, en moins sombre et moins cynique toutefois. J’ai apprécié retrouvé des personnages similaires d’une histoire à une autre… Voire même quelqu’un d’Undercurrent !
Seul bémol et de taille : l’édition 🙁 le livre est énorme pour rien, le papier trop fin et rêche. Quel dommage…