Film d’Alain Ughetto, 1h10.
Vu durant le Festival d’animation d’Annecy, le 12 juin 2013.
D’Alain Ughetto, ou de son film Jasmine, je ne sais pratiquement rien en entrant dans la salle. Pas vu de bande-annonce, juste une image. Le résumé parle d’une histoire d’amour durant la Révolution islamique en Iran en 1978-1979 avec cette fameuse Jasmine.
Il la rencontre en 1978 dans le sud de la France : il fait de l’animation, elle finit ses études. Ils ne peuvent plus se quitter. Quand elle retourne en Iran, il part la rejoindre. Mais le pays qu’il découvre alors va sombrer dans la guerre civile tandis qu’il vit son histoire d’amour avec sa belle, cachés dans sa chambre, ne devant se faire voir de personne. Dehors, la révolte gronde, les iraniens sont dans la rue pour demander le départ du Shah et le retour d’exil de l’ayatollah Khomeini dont ils espèrent tout. Petit à petit, les discours se radicalisent, la violence devient quotidienne et leur amour est mis à rude épreuve…
Jasmine fait partie des films d’animation-documentaires, mêlant images d’archives et récit de souvenirs prenant vie ici grâce à la pâte à modeler. Une pâte à modeler utilisée dans son élément le plus simple, dans un dénuement extrême, juste pour animer les personnages, sans visage, sans détail, sans vêtement, juste de la pâte de couleur bleue pour Jasmine, jaune pour Alain. Le style est extrêmement épuré – juste des bonhommes, de vagues silhouettes en pâte à modeler et les immeubles de Téhéran stylisés en polystyrène -, assez rêche, sec, sans aucun artifice. L’histoire intime face à l’Histoire, brute, âpre.
Lui ne comprend pas, avec son regard d’occidental, ce qui se passe devant lui et voit son amie petit à petit s’éloigner de lui, tandis que la rue gagne son combat et applaudit le retour de son leader. Un leader qui n’apporte pas forcément ce qu’ils en attendaient, notamment Jasmine, voyant alors les libertés individuelles menacées, et notamment celles des femmes, perdant petit à petit leurs acquis. Mais là où Alain pense qu’elle ne supportera pas cette vie sous un joug de plus en plus extrémiste, elle ne peut se résoudre à abandonner. Lui veut partir, sa vie n’est pas là alors qu’elle aime profondément son pays, indépendamment de ce que certains en font par ivresse du pouvoir et autoritarisme religieux. Elle ne peut se convaincre de partir. Leur amour est fort, mais face à la brutalité du monde qui autour d’eux se referme sur lui-même, cela ne suffit pas pour vivre. Il part, pense qu’elle le rejoindra. Les courriers, d’abord quotidiens, s’espacent, puis s’effacent…
Au travers de son histoire d’amour, racontée avec paradoxalement beaucoup de pudeur, de non-dits là où la pâte à modeler apporte une forte touche de sensualité, un côté très charnel – on voit la trace des doigts, des empreintes qui modèlent ces personnages tout simples -, c’est tout un monde qu’il interroge. La Révolution iranienne de 1978-79 fait forcément écho avec l’actualité d’aujourd’hui, où de nombreux pays du Maghreb et du Moyen-Orient connaissent des tensions, où l’extrémisme religieux rampant n’est toujours qu’à deux doigts d’en profiter pour s’insinuer, manipulant et modelant les discours, faisant s’affronter dictature installée et fondamentalistes quand le peuple lui ne rêve que de liberté.
Pour autant, on n’est pas là dans un film politique mais un film intime, très humain, brut et âpre, à l’apparence très simple mais jouant beaucoup sur le ressenti, travaillant les émotions avec deux fois rien. La voix de Jean-Pierre Darroussin, profonde, sachant alterner les silences, les respirations, laisse passer la force du propos, tout en subtilité.
Ce n’est pas un film facile d’accès, preuve en est les nombreuses personnes ayant quitté la salle durant la première demi-heure. Mais cette histoire d’amour est puissante dans son ressenti, racontée dans son essence même, le manque de l’autre, son besoin d’être avec l’autre, de le toucher, de le sentir, au travers de lettres, de mots qui contiennent une vraie souffrance face à l’absence puis à l’éloignement, physique et parfois moral quand les chemins se séparent.
Je ne sais pas trop si ce film bénéficiera d’une sortie en salles. Il possède néanmoins une page Facebook, pour suivre son actualité et voir des extraits. Un film en même temps si simple et si exigeant. Une découverte vraiment étonnante.