Volume unique par Inio Asano, édité en VF par Kana, en VO par Shogakukan.
Sens de lecture japonais, 150x210mm, 10,00€.
Les habitants de la résidence appellent cet endroit le quartier de la lumière. Un quartier tout simple, comme tant d’autres, où se croisent ce mangaka en recherche d’inspiration, ce jeune garçon ayant trouvé une occupation pour le moins inattendue, cette fille qui guette un monstre de son passé, ce père franchement à l’ouest, ce nostalgique de la vie d’avant, cette lycéenne découvrant les lubies d’une de ses camarades de classe…
C’est Kana qui le premier nous fait découvrir le travail d’Inio Asano avec la sortie en 2006 du recueil Un monde formidable, suivi du one-shot Le quartier de la lumière puis la série Solanin et enfin La fin du monde, avant le lever du jour, tout ça en collection Made In. Signalons également Le champ de l’arc-en-ciel chez Panini Manga en 2008.
Le style d’Inio Asano est trompeur, tel un mille-feuilles dont chaque couche attend d’être découverte et goûtée pour lâcher sa saveur.
Ainsi, les premières pages du Quartier de la lumière semblent nous proposer un petite voyage dans le quotidien tout simple et tout tranquille d’une barre d’immeubles sans histoire, avec son habituel brouhaha de voisinage. Le trait, très doux et personnel, détaillé et dynamique, le texte mi-rêveur mi-interrogatif, tout indique alors un parcours de lecture sympa et balisé, avec son lot de personnages attachants et très humains dans leur simplicité d’habitants de ces quartiers calmes, sans aucune autre prétention que de mener une petite vie sans rêve de gloire ni ambition démesurée.
Et d’un coup, paf ! Un corps chute, la banlieue tranquille se lézarde, laissant apparaître quelque chose de toujours aussi humain mais de bien moins serein et idyllique que ne le laissait entendre l’agent immobilier cherchant à loger les petits couples fraîchement unis.
En effet, si la lecture d’un Blessures nocturnes ou d’un Ushijima ne laisse dès le départ guère de doutes sur le côté super glauque de leurs histoires toutes plus sordides les unes que les autres, Inio Asano créé ici ses propres règles et n’a pas son pareil pour fracasser l’apparente tranquillité de ces scènes ordinaires qu’il fait basculer d’un coup dans un contexte nettement plus blafard. Prostitution adolescente, suicides, mal-être, incompréhension, désillusion, perte de repères, désarroi profond, violence, autant de sujets pas très glamour qui se mêlent à une dose finalement inattendue d’amitié, d’amour, à donner comme à recevoir, dans la découverte de l’autre, pas toujours joyeuse mais jamais simpliste, parfois bourrée d’a priori à déconstruire…
Car l’humain pour le mangaka n’est pas un gentil mouton sans histoire mais pas non plus pour autant un horrible personnage définitivement mauvais ne méritant aucune chance de rédemption. Ainsi, malgré la lourdeur de certains sujets abordés sans détour ni complaisance, la lecture ne rend pas dépressive au troisième degré, juste un peu plus attentif à un monde jamais manichéen, oscillant sans cesse entre le bleu profond et serein du ciel et la noirceur sans issue d’une nuit sans étoile. L’auteur est habile car il n’a aucun besoin d’en faire des tonnes pour scotcher, entremêlant ses histoires a priori sans lien apparent, pour petit à petit former un puzzle cohérent et profond où ses personnages se frôlent, se confrontent sans se voir, portant leur solitude en bandoulière, seule émotion qu’ils ressentent réellement, tout le reste paraissant sans épaisseur, comme un voile d’illusion qui se jette éphémèrement devant leurs yeux avant de disparaître sans qu’ils aient pu jamais le toucher.
On tombe alors sur un nouveau niveau de lecture où, derrière leur masque d’apparentes ordures ou de gros faibles incapables de dépasser leurs mauvais côtés ou de prendre leur vie en main, les personnages gagnent en épaisseur en dévoilant une gamme subtile d’émotions, de paradoxes, de raisonnements, les rendant plus compréhensibles sans excuser ou légitimer pour autant des actes parfois extrêmes, la fin pouvant justifier les moyens pour certains.
Le lecteur peut suivre ces différents destins avec recul, sans qu’à aucun moment il ne soit question de jugement, de morale. Le but n’est alors pas de donner un sens à tout mais simplement d’être là et d’observer ces êtres si proches de nous finalement, bien loin d’être des supermen sans personnalité, cherchant juste à trouver comment gérer leurs rêves et leurs angoisses, sans se renier et se perdre, pour ne pas risquer de simplement devenir des pantins déshumanisés avalant leur journée sans jamais aucun espoir de la vivre vraiment, avec ses bons jours comme ses matins foireux.
Inio Asano ne cherche clairement pas la facilité en mêlant aussi étroitement divers destins que rien ne paraît vraiment relié jusqu’à ce qu’on comprenne un peu mieux les intercations qui se créent au fil des pages. Rien ne semble aller dans la même direction, comme si on lisait plusieurs mangas en même temps, et pourtant tout apparaît cohérent quand la dernière page se tourne, avec son lot de questions, de réflexions ou simplement un ressenti diffus et complexe, jamais lourd ou désagréable, plutôt pensif et contemplatif, sans colère, sans agacement. Le genre de manga qu’on repose une fois fini en prenant un peu de temps avant de pouvoir se glisser dans d’autres univers.
Les personnages se développent petit à petit, même quand ils n’apparaissent pas directement sur les pages, dévoilant plusieurs visages qui s’imbriquent les uns dans les autres pour former un tout profondément humain, dans ce qu’il a tour à tour de fragile, d’émouvant, de tendre, de drôle, de brutal, de noir, de caché, de honteux, sans complaisance mais également sans jugement hâtif ou moralisateur vain. Pas de fin réelle et définitive mais pas de frustration puisqu’il ne s’agit là que de quelques vies qui s’entrecroisent sur quelques pages, certaines s’arrêtant plus vite que d’autres mais la Vie continuant d’avancer malgré tout.
Et comme le dit un personnage à la fin “Je crois surtout que pour atteindre le bonheur, il faut commencer par y croire”. Ou comment ne pas se laisser à désespérer de chercher en vain quelque chose déjà là devant nos yeux…
Quel bonheur de voir que le premier article écrit sur un manga parle de mon mangaka préféré… <3
Depuis le tout premier tome sorti en France, je suis fan. J'adore son coup de crayon et j'aime la façon dont il met à nue des scènes de la vie de tous les jours (qui n'arrive quand même pas à tout le monde, disons-le).
A lire !
En fait, je dois avouer que c’est un article que j’ai repris de Mangaverse.net pour tester ce nouveau site 🙂 Mais ça reste un auteur que j’adore et j’ai d’ailleurs écrit des chroniques pour ses autres œuvres, Solanin, La fin du monde avant le lever du jour, Un monde formidable et Bonne nuit Punpun (chroniques à retrouver sur Mangaverse). Me manque juste Le champ de l’arc-en-ciel, son œuvre la plus difficile je crois, et je dois retravailler ma chronique que j’espère ensuite poster ici…
Ce n’est peut-être qu’une reprise mais c’est le premier article ! Et c’est l’essentiel car c’est un auteur trop méconnu !
J’ai adoré ses mangas même si j’avoue que je suis restée un peu hermétique à Bonne nuit Punpun.
J’attends la chronique sur Le champ de l’arc-en-ciel avec impatience. 🙂
C’est sûr que ce n’est pas un auteur qui se laisse facilement apprivoiser.
Pour Le champ de l’arc-en-ciel, je dois retrouver le temps de le relire une nouvelle fois pour retravailler ma chronique. Très complexe, comme manga…