Volume unique par Julie Maroh, édité chez Glénat.
225x320mm, 14,99€.
Elle vient d’avoir 15 ans et tandis que ses copines la poussent à sortir avec le beau Thomas, auréolé de son statut de Terminale, l’adolescente croise dans la rue un regard, celui d’Emma, une fille aux cheveux bleus qui traverse nonchalamment la grande place de Lille. Un regard qui va commencer à la hanter dans ses rêves, lui faisant connaître des fantasmes qu’elle n’aurait jamais imaginés avoir. Montent alors en elle des désirs aussi interdits et étouffants que grisants et excitants. Des désirs qui sonnent juste, la touchent en plein cœur et la perturbent profondément même si Clémentine se refuse à les considérer comme tels, fuyant dans les bras pleins de sécurité et de normalité de Thomas. Mais se battre contre sa nature profonde est un combat perdu d’avance pour peu qu’on ait vraiment envie d’être soi…
L’homosexualité féminine est un sujet assez rarement représenté dans la BD, sans doute car les dessinatrices étaient jusqu’à il y a peu assez rares dans le milieu, plutôt réservé à la gente masculine, cible certes potentiellement intéressée par des galipettes entre gazelles blondes à forte poitrine mais à condition que les mâles gardent le beau rôle de maîtres de la relation. Ce qui n’est clairement pas le chemin emprunté par l’album de Julie Maroh, s’attachant à nous faire suivre les pas d’une ado ordinaire découvrant que l’amour sait s’affranchir des œillères devant les yeux, des dogmes et des « normes », ces dernières n’étant que de simples règles sociales érigées par une majorité aveugle au mépris de minorités qui ne demandent qu’à exister tranquillement, sans forcément porter en elles la graine d’une future apocalypse destructrice des valeurs morales.
Il suffit alors d’un simple regard pour que la vie de la jeune fille soit bouleversée à jamais, pour le meilleur comme pour le pire. Le pire, c’est-à-dire des milliers de questions qui se heurtent dans sa tête pendant des mois, la honte qui s’infiltre par tous les pores de sa peau jusqu’à la nausée, le rejet des bien-pensants jugeant l’amour encore plus durement que tous les crimes de guerre, la peur, simplement la peur de ne pas réussir à supporter tout ça pour juste vivre au grand jour. Mais évidemment aussi le meilleur, le cœur qui bat la chamade à sa simple vue, les frissons qui courent sur la peau quand les mains se frôlent, le souffle qui se coupe quand ses lèvres approchent, le simple bonheur d’être dans ses bras, avec la sensation d’être au bon endroit, vivante, simplement complète.
Le propos de Julie Maroh n’a rien de moralisateur, juste une ode à l’amour dans toute sa diversité, ses hauts et ses bas, ses engueulades et ses réconciliations, ses combats et ses victoires. Rien de déprimant non plus même si Clémentine et Emma ont bien des obstacles à franchir pour simplement être ensemble et que la finalité de leur histoire n’a rien d’un gros happy end. Pour autant, il n’y a pas non plus de victimisation de l’homosexualité – grand classique de certains romans, films ou séries TV où l’homosexuel est soit le pervers psychopathe qui flingue tout le monde parce que c’est un grand instable immature dans sa tête soit la malheureuse victime incapable de connaître le bonheur puisque pas dans la norme et ne pouvant donc finir que tragiquement – de par le cheminement de la relation mise en scène par Julie Maroh et ces mots pleins d’amour et de tendresse douce-amère qui débutent et terminent la BD.
La narration déborde d’énergie, de vivacité, au gré du journal intime de Clémentine. L’auteure préfère d’ailleurs souvent jouer avec sa mise en scène plus qu’avec les mots, laissant plusieurs pages se succéder sans aucun dialogue, le récit n’ayant besoin de rien d’autre que de l’enchaînement des images pour exprimer avec force et intensité le bouleversement intérieur de Clémentine et les émotions qui se bousculent en elle.
Le choix des couleurs, le bleu bien sûr, la couleur de l’être aimé, qui ressort par touche au milieu d’un quotidien ordinaire un peu terne, mais aussi les dégradés d’ocre, de brun, de gris qui forment le cadre du récit de souvenirs de Clémentine et toutes les autres teintes qui s’ajoutent quand on revient au présent, apporte quelque chose de particulièrement marquant à l’histoire, nous projetant dans la vie de la jeune fille au fil des mois et des années de son cheminement personnel, avec beaucoup de subtilité. Le trait est délicat, élégant, très expressif, avec ces regards si importants, si entêtants. Il se dégage également beaucoup de sensualité dans les scènes d’amour sachant habilement retranscrire le désir brûlant sans jamais sombrer dans le vulgaire ou le simple étalage de bidoche voyeuriste.
Les 160 pages se dévorent alors de bout en bout, avec le cœur qui bat au fil des rencontres, des déchirures, des peurs, des doutes, des retrouvailles, des déclarations, donnant alors une lecture bouleversante, poignante, pleine de délicatesse, de sincérité et d’énergie, loin de tout cliché, pouvant évidemment parler à tous, aussi bien homo qu’hétéro. Avec l’espoir que ces quelques pages puissent faire évoluer quelques mentalités, briser quelques préjugés. Car envers et contre tout, au-delà de l’homophobie qui reste encore aujourd’hui vivace dans notre société comme une mauvaise herbe qui repousse toujours, au-delà de l’hétérocentrisme qui ne voit pas plus loin que le bout de sa prétendue normalité, au-delà de la haine que certains se permettent de cracher en se parant des atours de protecteurs de leur sacro-saint mode de vie parfait et unique, c’est « l’amour qui peut sauver ce monde », comme le dit Emma, et la vie qui gagne de toute façon…
Sur l’objet lui-même, si je ne suis pas fan du grand format, habituée que je suis au manga, je dois reconnaître qu’il permet une lecture aisée et aérée des pages, de bien profiter des dessins et que le prix est on ne peut plus raisonnable pour un album couleurs en papier glacé de 160 pages. J’ai d’ailleurs cru comprendre qu’il avait déjà été réédité après seulement un mois de ventes, ce qui n’est pas rien…
Cette BD ne m’a pas déprimée mais m’a quand même laissé une boule pleine de tristesse dans la gorge. Enfin, ça, c’est dès les premières pages, dès que le ton (gris-bleu) est donné.
Autrement, j’ai eu un gros, gros coup de foudre pour cette œuvre subtile et passionnée et j’ai suivie avec beaucoup d’intérêt la trajectoire des deux héroïnes.
Enfin, comme toi, j’ai trouvé le livre très grand et avais l’impression que mes mains étaient trop petites, haha. Pourtant, c’est la couverture avec ce grand dos qui m’a interpelée.
A voir maintenant ce que vaut le film avec Seydoux, mais l’affiche me fait déjà peur…
J’ai aussi trouvé cette BD très triste 🙁 . Je l’ai lue ce matin et j’y pense encore. C’est très intimiste, très touchant et très juste surtout. En revanche, j’ai l’impression qu’il manque un tout petit quelque chose pour faire de cette BD quelque chose d’excellent, j’ai trouvé qu’on tirait parfois un peu trop sur la corde sensible. Au niveau du livre même, ce n’est pas sa taille qui m’a dérangée, mais plus le papier glacé: j’aurais vraiment vu cette BD sur du papier mate. Je n’aime vraiment pas cette manie de mettre du papier glacé partout!! Sinon, le film en question, La vie d’Adèle, vient de remporter la palme d’or.
Il vient de remporter la Palme d’Or certes, mais à aucun moment on évoque la BD de Julie Marcoh, ce qui manque quand même d’élégance.
Mieux vaut attendre l’avis de la principale intéressée plutôt que de juger une attitude, il nous manque peut-être un certain nombre d’éléments. Surtout qu’on n’a pas vu le film.
Julie Maroh a d’ailleurs réagi à cette Palme sur son site et devrait donner son avis sur le film par la suite (qu’elle a déjà vu deux fois).
Après tout le déballage d’immondices et de crasses de ces derniers mois, je préfère pour ma part me focaliser sur le positif et ne pas juger le reste.
Edit : la réponse de Julie Maroh, en détail, sur le film et Kechiche.