Série en 7 tomes par Yoshitoki Oima, éditée en VF par Ki-oon, en VO par Kodansha.
Sens de lecture japonais, 115x175mm, 6,60€.
En janvier 2015, j’avais fait une chronique, basée sur le premier tome de A Silent Voice fraîchement sorti. La série étant désormais terminée avec 7 volumes au compteur, il est temps de revenir dessus…
Shoya est en primaire quand une nouvelle élève arrive dans sa classe. Pour le gamin turbulent et impulsif qu’il est, c’est l’occasion de remuer un peu sa routine quotidienne, lui qui est prêt à tout pour fuir l’ennui, sans se préoccuper des conséquences. Mais la nouvelle venue, Shoko, va en fait bouleverser son quotidien : elle est sourde et va rapidement être persécutée par toute la classe, menée par Shoya…
À première vue, le scénario n’est pas très encourageant : une jeune handicapée persécutée par ses camarades d’école, cela risque vite de sombrer dans le pathos et le sordide.
Mais Yoshitoki Oima, en choisissant de montrer cette histoire depuis le point de vue de Shoya, le meneur, permet une approche différente.
Shoya est une forte tête, un gamin chahuteur élevé par une mère célibataire et une grande sœur peu présente. Il ne veut passer son temps qu’à jouer, sans avoir à se préoccuper de quoi que ce soit, inventant constamment des jeux stupides qui finissent même par lasser ses copains. Il n’a pas un mauvais fond mais son énergie et ses idées foireuses lui ayant permis de s’être trouvé une place confortable de meneur dans sa classe, il n’a aucune raison de se remettre en question. De toute façon, pour lui l’avenir ne compte pas, n’existe pas. Trop ennuyeux comme notion…
Quand Shoko débarque, il est intrigué et ne voit là qu’une nouvelle occasion de tuer le temps. Il refuse de prendre en compte la souffrance d’autrui, bien trop ennuyeuse. Et l’attitude maladroite et souvent hypocrite des adultes autour de lui n’aide évidemment pas à ce qu’il prenne réellement conscience de la violence de ses actes. Après tout, c’est de sa faute à elle, c’est elle qui gêne toute la classe, non ?
Shoko, justement, a l’habitude des brimades. Sa mère apparaît d’office comme froide et sans émotion, subissant le handicap de sa fille avec aigreur et agacement… même si la suite de l’histoire nous permet d’en apprendre plus sur elle et de comprendre qu’elle cherche avant tout à apprendre à sa fille à faire face à un monde sans pitié pour les plus faibles. Bouffée ou être bouffée.
Et personne n’est à l’abri d’un revers de fortune. Ainsi, Shoya passe rapidement du statut de meneur des brimades à celui de victime, désigné comme l’unique responsable des tourments de Shoko. Son quotidien change du tout au tout : le garçon déluré et espiègle se renferme sur lui-même et plutôt que d’affronter, il perd tous ses moyens. Lui qui était le premier à se moquer de la non-réaction de Shoko face à ses brimades ressent alors ce que ça fait de voir tout le monde lui tourner le dos et de ne pas savoir comment y réagir…
La communication autour de ce titre se focalise beaucoup sur le handicap… alors que ce n’est qu’un sujet parmi d’autres. Bien sûr, tout commence par l’arrivée de Shoko et sa surdité qui devient un sujet de moquerie pour ses camarades mais il n’y a hélas pas besoin de ça pour devenir la cible de mauvais comportements dans une cour de récré. Ce n’est qu’un prétexte, bien pratique pour se déresponsabiliser de ses conneries.
De plus, on est dans la tête de Shoya et non de Shoko et c’est en premier son évolution à lui qui est décrite. Ainsi, après le bouleversement de son quotidien en primaire, on le retrouve à bientôt 18 ans, profondément marqué par ce qu’il a vécu depuis cette malheureuse histoire. Le gamin insouciant est devenu un jeune homme taciturne et solitaire, rongé par la culpabilité et l’aigreur. Abandonné de tous à un âge où tout devrait être simple, il n’est depuis plus parvenu à se rapprocher des autres, terrorisé à l’idée d’être de nouveau rejeté. N’ayant plus aucune confiance en personne y compris lui-même, il a fait le vide autour de lui, créant sa propre prison qui le protège autant qu’elle l’exclut de la vie.
En fait, le titre A Silent Voice pourrait aussi bien se référer à Shoko et son univers de malentendante, qu’à la voix dans la tête de Shoya qui ne cesse de lui dire qu’il ne vaut rien et que tout est dangereux. Une voix silencieuse qui est sa seule interlocutrice, lui coupant toute possibilité de communication avec autrui. Comment un individu aussi odieux que lui, aussi méprisable par ce qu’il a fait subir à Shoko, pourrait-il bien avoir le droit de vivre ? Mais il suffit parfois d’un seul pas, d’une seule décision pour retrouver une raison d’exister…
A Silent Voice est un manga très émouvant et touchant sur l’amitié. Ce que ça signifie, ce que cela apporte, ce que cela demande… Sur le risque de s’ouvrir aux autres, cette peur de perdre une part de soi s’il y a rejet, incompréhension, mésentente. Cette terreur de voir que sa mauvaise estime de soi est partagée par ceux-là même qui devraient au contraire vous épauler pour avancer.
C’est en retrouvant la parole face à ses camarades que Shoya peut retrouver sa place et réussir peut-être à se pardonner à lui-même. Et on se rend finalement compte que Shoya et Shoko ont beaucoup en commun, aussi bien dans leur angoisse face à autrui, leurs difficultés de communication, leur peur d’être rejeté.e.s que dans tout l’amour qu’ils ont à apporter.
La mangaka parvient avec beaucoup de délicatesse à tisser ces relations si fragiles entre des individus en plein développement, en pleine construction d’eux-mêmes et de leur existence. Car au delà des personnages touchants de Shoko et Shoya, elle développe toute une galerie de potentiel.le.s ami.e.s, chacun.e avec un caractère précis et dépeint avec beaucoup de finesse. Naota, l’extrême maladroite qui préfère agresser, casser et envoyer balader pour ne pas montrer sa fragilité, Miki qui veut que tout le monde l’aime quitte à jouer un rôle, Miyoko qui doit apprendre à rester debout face aux coups de vent un peu violents, Tomohiro et sa soif d’amitié, etc. Tous ont de multiples facettes, des peurs, des faiblesses, parfois une culpabilité face à certaines décisions difficiles à assumer.
Ce manga est une belle œuvre qui sait parler avec intelligence et pudeur de peur, de désespoir, de pensées suicidaires face à une vie qu’on n’arrive pas à apprivoiser, d’idées noires face à des émotions qui nous dépassent et semblent nous dévorer. Mais A Silent Voice parle aussi et surtout d’amitié, de relations fortes entre des personnes qui tentent de comprendre comment être avec les autres, de respect face aux différences, sans jugement ni mépris. Elle parle d’amour, d’épreuves à surmonter chacun.e à son niveau, de culpabilité dont il faut se débarrasser en affrontant ses démons plutôt que de se laisser ronger, de ressentis désagréables qu’il faut accepter d’assumer si on veut pouvoir avancer plutôt que de laisser nos erreurs gouverner nos vies.
C’est un manga très fort et poignant, parfois rude et éprouvant, qui sait viser juste mais surtout une ode à l’amitié, à l’amour, et surtout à la vie, dans toute sa complexité…
C’est un manga que j’avais suivi avec beaucoup d’attention et attendais chaque chapitre.
Le seul reproche que je pourrais lui faire c’est sa fin. Je trouvais intéressant que l’auteur nous montre que les problèmes ne se règlent pas en un claquement de doigt et qu’il faut du temps pour changer, pardonner etc…ça donnait un ton « réaliste » à l’œuvre. J’ai donc trouvé la fin assez vite expédiée, globalement tout ce qui se passe après « l’explosion » entre tout les protagonistes et l’accident de Shoya. Ça m’a donné une impression de « tout est bien qui finit -presque-bien » (sauf le passage du film où ils se font démontés), alors que personne n’a résolu ses problèmes. J’avais une impression de rushée, si bien que je me suis demandé si l’auteur était pressé d’en finir ou si on lui avait demandé de finir rapidement…
Il faudrait sans doute que je relise l’intégralité calmement pour voir si cette impression subsiste.
J’ai tout lu d’une traite une fois les 7 tomes sortis et ça ne m’a pas choquée, en soi… Je trouve ça assez « réaliste » justement que tout ne se résolve pas, que certaines choses restent enfouies, pas totalement gérées… et justement l’accident de Shoya pousse d’autant plus à ça que face à un tel « événement », on préfère souvent ne plus ressortir certaines choses.
Du coup, après avoir lu cette chronique, j’ai trouvé la serie et lu les sept tomes d’affilée… La manière dont la langue des signes est représentée est très dynamique, je trouve. Le dessin m’a beaucoup fait penser à une autre série, mais je n’arrive plus à mettre le doigt sur le titre.