Série en 6 tomes par Kachou Hashimoto, éditée en VF par Glénat.
Sens de lecture japonais, 130x180mm, 176 à 208 pages, 6,90€.
Il y a un an, lors du premier (et avant-dernier) Suivi après chronique, j’avais écrit quelques lignes sur le premier tome de Cagaster de Kachou Hashimoto. Ayant maintenant lu les 6 tomes de la série, on va tenter l’exercice de la chronique complète…
An 2125. Voilà 30 ans qu’est apparu le Cagaster, une maladie transformant certains humains en insectes amateurs de chair fraîche. L’humanité a perdu deux tiers de sa population et vit désormais retranchée dans des cités protégées. Chaque déplacement au dehors se fait dans la peur, les cagasters ayant investi d’anciennes villes devenues des cages grouillant d’insectes agressifs.
Kidow, 17 ans, est un exterminateur, chargé de tuer tout humain se transformant. Lors d’une sortie, il tombe sur un homme agonisant le suppliant d’emmener et protéger sa fille Ilie…
Comme déjà dit dans ma mini-chronique, Cagaster a comme originalité d’avoir été publiée sans éditeur, la mangaka ayant donc liberté totale sur son histoire, lui demandant quand même plus de sept ans de travail. Le résultat n’est pas parfait mais présente un scénario rythmé et plutôt efficace.
Si le danger semble venir au départ des humains devenus insectes tueurs, les hommes sont loin d’être de gentils agneaux ne voulant que le bien de leur prochain. Ainsi la monstruosité physique des cagasters révèle surtout celle morale de l’humain, sommé de perdre tout scrupule face à un éventuel danger sous prétexte de survie de son espèce. Les exterminateurs sont alors chargés du sale boulot, celui d’exécuter ceux coupables d’avoir perdu leur droit à l’humanité. Quitte ensuite à être haïs pour avoir tué froidement un membre aimé de la famille…
L’univers mis en scène par la mangaka est en soi assez classique en terme de monde post-apocalyptique : désertique, peu développé, revenu au stade des marchands et des guerriers. Mais c’est plutôt sur ses personnages que Hashimoto met l’accent, les rendant attachants et assez travaillés. Dommage néanmoins qu’elle n’ait pas suivi son idée de départ (expliquée à la fin du tome 5) avec une guerrière sauvant un cobaye, ayant finalement préféré revenir au très classique “chevalier sauvant sa princesse”. Kidow, le guerrier ombrageux au lourd passé, Ilie l’innocente jeune fille à protéger qui se trouve un job de serveuse-boniche dans un restaurant. Je regrette ainsi quelques bonnes petites doses de sexisme par ci par là, quelques paroles malheureuses dans la bouche de certains personnages mais si je ne lisais que des mangas qui plaisaient à ma facette féministe, j’aurais sans doute arrêté leur lecture depuis longtemps…
On évite néanmoins toute dose de fan-service voyeur – amateurs de voluptueuses poitrines, passez votre chemin – et on reste tout de même face à une histoire dynamique et plutôt travaillée où se mêlent aussi bien la légèreté d’un quotidien heureux mais si fragile, les combats dynamiques où chaque coup peut achever n’importe quel personnage, les questionnements sur ce qu’est l’humain et ses limites, le bien, le mal, le moralement acceptable ou pas.
Dans les postfaces, la mangaka revient sur son idée de départ, des humains se transformant en insectes en citant comme référence La métamorphose de Kafka. Ou la question n’est pas de savoir “pourquoi ?” mais plutôt “comment vivre avec ça ?”. Ici, cela revient à “Comment vivre avec cette menace constante de voir un être cher se transformer et perdre toute chance d’être considéré comme ayant le droit d’exister ?”. Comment vivre avec le risque de soi-même terminer en bestiole découpeuse de chair humaine ? Comment survivre dignement face à une humanité qui préfère continuer à tuer ses congénères, incapable de remettre en question ses pulsions belliqueuses même face à une fin programmée ?
Par son ambiance et son univers, Cagaster me fait beaucoup penser à Immortal Rain de Kaori Ozaki (que je trouve néanmoins plus intense et plus travaillé). Une ambiance chargée de tendresse et de chaleur humaine entre les personnages qu’on apprend à connaître, mais où la mort est continuellement présente et où beaucoup vont devoir faire face à un destin souvent tragique, parfois déjà écrit à l’avance par d’autres. Ilie notamment porte un lourd poids qui la fait énormément évoluer au fil des pages, la rendant assez méconnaissable entre le tome 1 et 6, ayant deux facettes extrêmement différentes qui approfondissent le personnage.
Il est également intéressant, au travers des commentaires de la mangaka, de voir comment elle a fait évoluer son histoire, décidant des épisodes à incorporer ou pas, pour parvenir à un équilibre entre rythme et développement de ses personnages par des histoires annexes.
Cagaster s’avère donc être une lecture plaisante, prenante, dynamique et efficace, au delà du classicisme de son histoire ou de ses personnages, attachants, agrémenté d’un dessin plutôt agréable et bien maîtrisé.