Série en 2 tomes par Pocket Chocolate, éditée en VF par Kotoji Éditions.
Sens de lecture occidental, 150x210mm, 112 pages, 11,00€.
Le manhua, la BD chinoise, a toujours eu du mal à trouver son public en France. En plus de quelques trucs ponctuels chez certains éditeurs, comme Tonkam et la BD de Hong Kong ou Kana avec 80°C, Kylooe et les titres de Li Kunwu, il y a eu le label Hua shu chez Casterman, rapidement arrêté, ainsi que l’éditeur Xiao Pan, qui a survécu tout de même quelques années, permettant de faire connaître notamment Benjamin, désormais chez Pika (qui lance pour l’occasion sa collection Chin’Arts). Et n’oublions pas les éditions Fei, proposant des collaborations entre auteurs chinois et français (liste non exhaustive tant certains petits éditeurs peuvent être discrets…).
Un autre auteur a été découvert chez Xiao Pan, Pocket Chocolate, désormais édité par Kotoji Éditions dans leur collection Asian District. Leur collaboration débute avec la série en 2 tomes, Crystal Sky of Yesterday.
À l’occasion du mariage d’un de ses amis d’enfance, Tu Xiaoyi voit les souvenirs de sa dernière année de lycée remonter à la surface. Élève peu motivé, plus intéressé par le dessin que par l’entrée à l’université, il passe ses journées avec son ami Peanut, tout en rêvant de la belle Yao Zhetian. Mais ce petit univers tranquille et sans histoire va connaître quelques bouleversements avec l’arrivée de Qi Jingxuan, forte tête qui n’hésite pas à se faire entendre.
Comme beaucoup de manhuajia, Pocket Chocolate travaille directement en couleurs, y apportant un soin très particulier jouant énormément sur l’ambiance de chacune de ses pages. Semblant aimer particulièrement les scènes de lever ou coucher de soleil, il joue beaucoup sur la lumière et la douceur des ses teintes, apportant une sensibilité très forte aux émotions de son personnage Xiaoyi.
En m’appuyant sur les quelques manhua que j’ai pu lire jusque-là, j’ai l’impression que les auteurs chinois aiment souvent apporter une tournure très poétique à leurs textes. Ainsi Crystal Sky of Yesterday joue beaucoup sur les pensées du personnage central, décrivant en détail le paysage (“Le soleil couchant enveloppait la ville d’un voile doré”) ou ses ressentis de joie ou de tristesse au fil des petits événements du quotidien, avec des termes ne rendant pas forcément très naturels mais appuyant et exaltant les émotions. Cela peut donner un style parfois un peu ampoulé, jouant énormément sur l’introspection des personnages, avec beaucoup de non-dits, de phrases un peu énigmatiques, bref jouant principalement sur le ressenti et l’ambiance.
On n’est clairement pas ici dans une BD d’action, il ne se passe en fait pratiquement rien et le focus est vraiment pointé uniquement sur Xiaoyi, au travers de ses interactions plus ou moins poussées avec Peanut, Zhetian ou Jingxuan. Tous vivent la fin de leur adolescence au travers d’un carcan d’attentes qui ne leur convient pas, devant accepter la vision souvent étriquée des professeurs sur leur avenir qui ne semble même pas leur appartenir. Et face à des parents absents ou au contraire trop exigeants, ils sont confrontés à un âge adulte qui ne les intéresse guère, n’y voyant que désillusions, obligations et perte de tous leurs rêves là où ils aimeraient plutôt trouver leur propre route. Ainsi Xiaoyi se reconnait idéaliste, mais il ne souhaite pas du tout être confronté à une réalité qu’il sait d’avance décevante.
Si cette plongée dans les aspirations et le quotidien d’une jeunesse chinoise est parfois quelque peu trop emphatique dans ses textes, où tout semble toujours porté à son extrême, on y ressent également beaucoup de douceur et de tendresse d’un auteur pour un âge où tous les rêves commencent à se retrouver confrontés à une réalité rigide où l’individu et ses aspirations ont du mal à être pris en compte.
Il n’est pour autant pas question de critique du modèle chinois (du moins tel qu’on se l’imagine en occident), juste le ressenti de futurs adultes en prise avec un monde dont ils savent déjà qu’il aura du mal à ne pas les décevoir.
Le trait est extrêmement fin et plutôt maîtrisé, mis en avant par des couleurs douces et chaleureuses, jouant clairement sur la palette de la sensibilité et de l’émotion.
Je regrette un peu que l’éditeur n’en ait pas profité pour nous expliquer un peu le fonctionnement du système scolaire chinois car l’adaptation de la traduction prend le parti d’utiliser des termes très français (terminales, baccalauréat, bac blanc), tout en n’expliquant pas certains détails donnés au fil de l’histoire. Je trouve qu’un petit texte sur la scolarité chinoise aurait pu être un ajout intéressant.
D’autant qu’on ressent très clairement au fil du quotidien de ces adolescents un état d’esprit forcément très chinois (la “rébellion” de la forte tête de la classe se résume à quelques phrases ironiques contre le professeur, on est loin du chef de gang), très porté sur les règles, les uniformes, le respect aux aînés (fussent-ils des abrutis ou des corrompus), en profiter pour présenter plus en détail une culture qui nous est finalement peu connue aurait été un plus.
Crystal Sky of Yesterday reste en tout cas une jolie œuvre très délicate, n’allant pas forcément jusqu’au bout de ce qu’elle pourrait dire, mais décrivant avec finesse les ressentis de quelques adolescents face à un avenir à construire.
Un autre titre de Pocket Chocolate, That moment maybe, est d’ailleurs prévu toujours chez Kotoji pour septembre 2015.