28 mars 2023

Daytripper, au jour le jour

Volume unique par Gabriel Bá et Fábio Moon, édité en VF par Urban Comics, 182x276mm, 256 pages, 22,50€. 

Voilà déjà quelques mois que cette création des frères brésiliens Gabriel Bá et Fábio Moon attend d’être lue sur mes étagères. Quelques mois durant lesquels je n’osais pas trop me lancer, sachant que la lecture risquait d’être forte et intense.

DaytripperBrás de Oliva Domingos vit à Sao Paulo où il s’occupe de la rubrique nécrologique d’un quotidien. Ce n’est pas vraiment le brillant journalisme dont il rêvait. Il reste dans l’ombre de son père, grand écrivain unanimement reconnu, ce qui le bloque quelque peu dans sa volonté de vivre plus personnellement de ses écrits. Mais la vie est un assemblage de choix et de routes à tracer qui mènent vers bien des destins…

Voilà une œuvre résolument pas ordinaire et on le comprend dès la fin du premier chapitre. En effet, chaque chapitre correspond à un âge du personnage principal, que l’on suit alors sur quelques heures, jours, mois, dans son cheminement personnel… et chaque chapitre se termine par sa mort. Lui qui écrit sur le décès de ses contemporains, tous les chemins qu’il emprunte le conduise vers un trépas certain, qu’il soit accidentel, dû à une maladie ou à un braquage qui tourne mal. Mais la mort n’est alors pas vraiment la finalité d’une vie, juste une fin de chapitre parmi d’autres, quand le chapitre suivant nous propose un autre chemin, une autre trajectoire de vie… C’est après tout la seule et unique certitude portée par tout humain, sa mort inévitable.

Ainsi, au fil des pages se construit avec une habilité remarquable et une narration étonnante de maîtrise l’existence d’un individu ordinaire et pourtant extraordinaire. Un homme né dans le noir d’une panne d’électricité, bercé par l’amour de ses parents même distants, ballotté par une vie a priori simple mais pleine de richesse à saisir dans l’instant. Brás cherche sa place, un sens à son existence comme nous tous. Il voyage, tombe amoureux, épaule un ami cher, devient père, vieillit tout en s’interrogeant sur le moment où commence la vie…
En fait rien n’est linéaire car les chapitres ne sont pas dans un quelconque ordre chronologique qui n’aurait aucun sens, apportant alors un rythme dans la découverte de la vie de cet homme en quête de lui-même. La question de la filiation notamment, que ce soit entre son célèbre père et lui ou lui et son fils, est particulièrement abordée, avec beaucoup de justesse et de sensibilité, de pudeur également, dans des échanges de regards, de lettres, où les sentiments passent autrement que par une parole artificielle et réchauffée. À chacun de choisir quand commence sa vie à défaut de pouvoir choisir quand la mort l’emportera.

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Par ses multiples thèmes abordés avec finesse et sobriété, sa qualité graphique, ses couleurs travaillées s’adaptant à chaque ambiance, Daytripper est de ces albums qui transportent, interrogent, touchent, apportent leur lot de questions et de réflexions qui enrichissent le lecteur et s’enrichissent à chaque lecture. L’amour et son quotidien parfois difficile et troublé, demandant efforts et bienveillance de chacun, la famille et son poids parfois écrasant mais souvent également repère dans l’obscurité des incertitudes, l’amitié et la force d’avancer qu’elle procure ou l’attachement parfois dangereux qu’elle inspire, le travail et sa prison dorée ou l’épanouissement quand il correspond à ce qu’on recherche… Il est en fait très difficile de parler de ce comics multiforme, inspirant et profond, aussi simple et évident qu’il est subtil et étonnant.
Que la mort soit aussi présente ne le rend pas pesant pour autant, bien au contraire, apportant comme un éclat supplémentaire aux quelques pas que l’on partage avec Brás, attachant dans ses doutes, ses peurs, ses joies, ses découvertes, sa recherche de ce qu’est la vie dans sa plus simple évidence.

Une réflexion sur « Daytripper, au jour le jour »

  1. C’est la couverture qui m’a fait craquer (cet adorable chienchien, ces jolies couleurs).
    Et l’une de ses autres grandes forces, c’est qu’il est sujet à différentes interprétations selon son filtre de lecture, sans jamais être manichéen.
    Bizarrement, il m’a fait penser au Portugal de Pedrosa…
    Bref, c’est rare de savoir parler aussi joliment du sujet de la mort 🙂

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