Série en 3 tomes par Atsushi Kaneko, éditée en VF par Casterman/Sakka, en VO par Enterbrain.
Sens de lecture japonais, 129x188mm, 240 pages, 8,50 à 9,50€.
Après IMHO et Ankama, c’est au tour de Casterman de proposer une série d’Atsushi Kaneko, Wet Moon, en 3 tomes. Un manga très… euh… enfin, plutôt… ou alors… Comment dire ?
Le jeune inspecteur Sata, intègre et consciencieux, ne pouvait pas savoir qu’en commençant son enquête sur le meurtre d’un artisan, il allait voir sa vie bouleversée. Nous sommes en 1966 à Tatsumi et le jeune homme est rapidement obsédé par la poursuite de la suspecte principale dont il n’a pu empêcher la fuite. Sa deuxième rencontre avec elle le conduit à l’hôpital d’où il ressort après un mois de coma avec une belle cicatrice sur le front et un éclat de métal dans le crâne. Très vite, sa traque le fait sombrer, guère aidé par ses collègues ripoux prêts à tout pour le corrompre…
Soyons clairs tout de suite : je n’ai rien compris à ce manga. Vraiment. Ce qui ne rend pas l’écriture de cette chronique évidente…
Au départ, je ne suis pas familière du style de Kaneko. Je n’ai jamais lu Bambi ni Soil et cette série en 3 tomes me paraissait un bon moyen de découvrir un auteur plutôt atypique dans le monde du manga. À l’arrivée, je me retrouve avec la même perplexité que face à un film de David Lynch (la référence est assez évidente durant toute la lecture) genre Mulholland Drive où on se demande au bout de combien de minutes on a totalement perdu pied avec une quelconque forme de réalité sans vraiment réussir à saisir les émotions que cela procure.
Je pense également à un film comme 2001 de Stanley Kubrick où le style oscille entre le grandiose et le perturbant tout le long, avec cette impression qu’on se retrouve finalement en apesanteur, sans notion du bas ou du haut, du réel ou du délire, du passé ou du futur.
Chaque étape de l’aventure de l’inspecteur Sata est parfaitement lisible, et même chronologiquement datée, notamment par la présence ou non de sa cicatrice… mais au fil des flash-backs, des questions qui s’enchaînent, des événements qui se déroulent… ou s’enroulent… en fait la roue du temps devient une notion totalement hors de contrôle, plus du tout linéaire, laissant libre court à la psychose du personnage.
À moins que le héros soit en fait le seul réellement sain d’esprit dans cette histoire et que tous ceux qui l’entourent, une galerie de personnages freaks dignes d’un David Lynch là encore, que ce soit physiquement ou moralement, sont tous dans une sorte d’autre monde, une autre réalité, celle de la nuit, de la pègre, des indic foireux, des flics ripoux, de l’alcool qui fait perdre conscience, de l’argent qui coule à flot, où tout est rongé par la gangrène de la corruption, où tout n’est que façade, mensonge, flatterie, magouilles… avec au dessus de tout ça, la Lune.
Astre omniprésent, que ce soit sous sa forme réelle, en objectif des prochains voyages spatiaux de l’époque dans la course effrénée que se livrent certaines nations pour décrocher la primeur d’un alunissage, ou en image tirée du film de George Méliès, Le voyage dans la Lune de 1902, ce célèbre visage lunaire avec un obus planté dans l’œil droit. Un des premiers films à effets spéciaux peut-être là pour nous signifier que tout n’est qu’apparence, tromperies, effets factices pour cacher une réalité qu’on ne fait jamais qu’entrevoir de loin, au milieu d’illusions, sans qu’on puisse jamais vraiment savoir ce qui relève de l’hallucination.
Ainsi, la deuxième étape du parcours du pauvre Sata dans cette histoire m’a quelque peu fait penser à Homunculus de Hideo Yamamoto (Tonkam), avec cet homme trépané vivant dans sa bagnole qui se met à avoir des visions suite à son opération. Leurs parcours très violents et instables me semblent assez proches, même si je n’ai qu’une vue très très partielle de la série de Yamamoto…
Voilà en tout cas un manga plutôt à réserver aux amateurs de séries torturées, labyrinthiques, sombres, glauques, qui nous laissent avancer sans repère ni boussole.
Pour ma part, je n’ai pas compris grand chose, surtout dans le dernier tome. C’est clairement le titre le plus hermétique de l’auteur que nous ayons eu l’occasion de lire en français. Pourtant, Soil était gratiné dans le genre… Et comme tu le signale, pas le meilleur choix pour découvrir Kaneko si on aime la rationalité. Dans ce dernier cas, il vaut mieux lire Bambi, beaucoup plus linéaire et “explicable”. En tout cas, j’espère que Sakka nous proposera d’autres œuvres du mangaka.