12 août 2022

L’infirmerie après les cours

Série en 10 tomes par Setona Mizushiro, éditée en VF par Asuka/Kazé Manga, en VO par Akita shoten.
Sens de lecture japonais, 112x170mm, 6,79€.

Il y a quelques années, l’éditeur Asuka a commencé à nous faire découvrir la mangaka Setona Mizushiro, avec certaines anciennes séries et d’autres nettement plus récentes. Ainsi, L’infirmerie après les cours, qui était en cours de parution au Japon à l’époque de sa sortie française, la série s’achevant en 2008 après 10 tomes.
J’avais à l’époque déjà proposé une chronique sur Mangaverse après lecture des trois premiers (il y a… ouch… sept ans). Je reviens donc aujourd’hui sur cette série, cette fois-ci en version complète, changeant forcément un peu de point de vue puisque j’ai pu découvrir le but que s’était fixé l’auteure.

infirmerie01Mashiro est au premier abord un lycéen comme les autres. Traits gracieux, caractère généreux et simple, souriant et serviable, il a tout du prince charmant, du genre à faire craquer les filles sans même s’en rendre compte. Mais il a un secret. Si la partie supérieure de son corps est masculine, la partie inférieure est féminine, ce qui ne facilite guère les choses pour un ado en pleine construction de sa personnalité, de son identité. Personne ne le sait à l’école, jusqu’à ce qu’une mystérieuse infirmière le convie à des cours particuliers le jeudi soir, le faisant entrer dans une sorte de rêve avec d’autres camarades dans le but de trouver une clé pour quitter le lycée définitivement. C’est en quelque sorte l’examen final, mystérieux, officieux, faisant se rencontrer une poignée de lycéens au fur et à mesure des départs.
Petit détail pas anodin : chaque joueur apparaît sous sa forme véritable, celle que peuvent prendre ses peurs, ses doutes, ses souffrances, bref tout ce qui peut habiter son cœur. Pas évident alors de reconnaître les autres participants, chacun cachant de nombreuses blessures jouant sur son apparence onirique. Et chacun va devoir affronter ses démons pour avoir une chance de trouver son chemin vers la sortie…

Setona Mizushiro, comme à son habitude, nous présente ici des lycéens a priori bien sous tout rapport mais cachant derrière leur sourire ou leur sérieux beaucoup de douleurs et de faiblesses qu’ils font tout pour garder au plus profond d’eux-mêmes, craignant terriblement de dévoiler leur fragilité aux autres, même aux plus amicaux. Mashiro, de par son ambiguïté physique qu’il rejette profondément, a forcément beaucoup à affronter dans ce jeu qui va dévoiler des facettes de lui/elle qui vont durement l’ébranler.
Ainsi, il rencontre Kuréha, jeune fille vive et sympathique tourmentée par une peur farouche et même une haine de la gent masculine, qui va évidemment trouver en Mashiro un moyen de dépasser cette terreur. Mais il y a également So, jeune homme dragueur et macho sans guère de scrupule, prêt semble-t-il à tout pour atteindre son but. Mais derrière ces façades se cachent des réalités nettement plus complexes.

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Ainsi Mashiro est l’exemple typique du héros totalement vide. Habituellement dans une série, le personnage principal est assez neutre pour être facilement malléable et récupérable, l’histoire servant de quête initiatique pour le remplir, tandis que les personnages secondaires sont souvent plus marqués, plus développés dès le départ, permettant ainsi aux lecteurs de s’identifier dans tel ou tel trait de caractère. Avec Mashiro, Mizushiro joue à fond cette carte car il peut être aussi bien homme que femme, et ne dévoile en fait qu’une personnalité de façade, tout étant en fait à construire en lui/elle. Il a toujours évité les décisions à prendre et assumer, et ne se voit comme homme que pour le côté héros sauveur des demoiselles en détresse qui peut sortir de belles phrases en tenant la main de la fille éperdue d’amour. Mais en grattant un peu cette surface très cliché qu’il a de la masculinité, il n’y a rien. Il n’est empli que de préjugés et d’idées toutes faites, sans réflexion, extrêmement genrées, souvent sexistes – les filles sont faibles et ne peuvent qu’être des victimes pleurnicheuses, les hommes sont forts pour les secourir et gagner à la fin.
Au fur et à mesure des cours du jeudi soir, de sa relation grandissante avec Kuréha ou de ses altercations ambiguës avec So, il apparaît de plus en plus vide et creux, ne se laissant guider que par des idées naïves, et puériles qui ne peuvent pas lui permettre de prendre sa vie véritablement en main. Dit autrement, il n’est en fait guère sympathique à force de ne rien affronter, rien assumer, tentant désespérément de faire illusion, ce qui ne marche plus dès qu’il devient un peu proche de quelqu’un.

Forcément, ces épreuves du jeudi soir, où il doit affronter sa lâcheté, son hypocrisie, son immaturité, il les redoute à force de s’en prendre plein la tête. On ne peut pas mentir durant ces cours et les divers adversaires qu’il y affrontera, plus ou moins longuement, ne seront que des épines de plus qui l’obligeront à enfin peut-être être honnête avec lui-même et comprendre que tout n’est pas si basique et manichéen qu’il le croit.
Au delà du physique, du sexe, c’est l’authenticité de l’individu qui compte, homme ou femme, masculin ou féminin, ce sont ses choix et sa manière d’appréhender le monde qui feront la différence. Tout n’est pas défini dès le départ, tout est à construire à partir d’une base qu’il faut accepter pour pouvoir y prendre pied, quitte à ensuite la dépasser et la bouleverser.

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Clairement, Mizushiro ne joue pas la carte de la facilité avec cette série. Durant les premiers tomes, j’ai beaucoup craint l’amoncellement de préjugés sexistes qui sortaient de la bouche de Mashiro, mais ils étaient fort heureusement régulièrement flingués par les autres personnages, pas forcément plus à l’aise avec leurs passé ou leurs secrets que lui, mais bien souvent nettement plus directs et vrais. Même si certains préfèrent finalement abandonner le combat, ne trouvant pas la force d’affronter les épreuves qu’on leur impose.

La série regorge de détails, d’indices, mais ce n’est qu’à la toute fin, quand Mizushiro introduit un élément important, qu’on commence à entrevoir le but de tout ça. But peut-être un peu forcé ? Néanmoins, l’idée est intéressante et l’ensemble interroge beaucoup au fil des pages, même si l’apprentissage de Mashiro semble parfois stagner, tant le personnage rame à sortir de ses préjugés, de son confort foireux, de ses certitudes qui ne sont que poudre aux yeux pour ne pas avoir à affronter une réalité demandant force et courage.
Ainsi, les femmes sont loin de n’apparaître que comme des victimes attendant le prince pour s’en sortir, Kuréha montrant par exemple la force de son caractère au fil des épreuves très lourdes qu’elle doit surmonter, acceptant de prendre les choses en main envers et contre tout. Quant à So, il démontre que rien ne prédispose à encaisser les coups durs, lui-même, stéréotype du macho fort et viril, mettant finalement beaucoup de temps avant de réussir à accepter et dépasser ses traumas.

infirmerie02Voilà qui donne deux personnages particulièrement intéressants à suivre au gré de leurs doutes et de leur approfondissement, au delà des clichés, des retournements prévisibles ou des amourettes de passage. Ils sont les garde-fous de Mashiro pour que celui-ci atteigne enfin un certain point de sérénité et d’acceptation de certaines choses qui, loin de le stopper, de l’enfermer, lui permettront en fait d’avancer et d’évoluer vers quelque chose de plus grand (et c’est en écrivant cette chronique que je me rends compte à quel point il manque le genre “neutre” à la langue française, pour parler de Mashiro).

Si L’infirmerie après les cours n’est aujourd’hui plus commercialisée par l’éditeur (trouvable en occasion ou en médiathèque), elle mérite en tout cas qu’on s’y intéresse et qu’on plonge dans les méandres de l’esprit de Mashiro, tourmenté, bouleversé dans ses convictions foireuses pour mieux se construire et comprendre qu’il n’y a de limites que là où on se les impose à soi-même, au delà des clichés et des préjugés qu’il faut dépasser pour se libérer.

2 réflexions sur « L’infirmerie après les cours »

  1. Avec ta chronique, je vois l’œuvre sous un autre jour 🙂
    Même si l’auteur en joue, les clichés m’avaient tellement fatiguée et exaspérée que j’ai décroché à peu près à la moitié. Il me semble avoir fini malgré tout la série, mais je n’en ai que très peu de souvenirs.
    Pourtant, l’ambiance fantastique-horreur est très bien instillée, les questionnement extrêmement intéressants… Je ne sais pas, tous les personnages m’ont soûlée, Mashiro en tête.
    A relire !

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