Série en 4 tomes par Haruka Kawachi, éditée en VF par Komikku, en VO par Shodensha, prépubliée dans le magazine Feel Young.
Sens de lecture japonais, 130x180mm, 7,90€.
Pour sa deuxième série après L’île infernale, Komikku tente le josei avec Les fleurs du passé de Haruka Kawachi.
Connaissez-vous le film Always de Spielberg ? Richard Dreyfus y incarne un pilote casse-cou en couple avec une Holly Hunter amoureuse mais lassée de son inconscience. Il meurt d’ailleurs dans le crash de son avion au cours d’un sauvetage. Il se réveille face à Audrey Hepburn (son dernier film…) qui lui explique qu’il va retourner sur Terre en tant qu’esprit devant aider un apprenti-pilote à devenir le meilleur… et accessoirement permettre à Holly Hunter de faire son deuil dans ses bras.
Pourquoi je vous parle de ça ? Car le début de l’histoire des Fleurs du passé m’y a beaucoup fait penser.
Hazuki est un jeune homme de 22 ans tombé fou amoureux de Rokka, 30 ans, fleuriste passionnée qui a perdu son mari Shimao, malade, voilà trois ans. Mais elle ne parvient pas à tourner la page et les efforts de Hazuki, devenu son employé, pour conquérir son cœur ne sont pas facilités par le fantôme du mari qui hante encore la boutique et ne compte pas laisser sa place…
Comme dans beaucoup de romances, Kawachi nous met en scène un triangle amoureux. Mais comment gagner contre un fantôme qui s’accroche ? Comment trouver sa place dans le cœur d’une veuve qui ne veut pas vraiment faire son deuil ?
Avec ce genre d’histoire, on peut facilement tomber dans le pathos dégoulinant, le mièvre sirupeux, sans subtilité avec des personnages monolithiques bien basiques. Mais les individus que Kawachi met en scène prennent rapidement de l’épaisseur et laissent apparaître une profondeur qui ne cesse de se développer au fil des pages.
Ainsi, Hazuki ne fait pas durer le suspense très longtemps et ose déclarer son amour à sa patronne, sans fard ni ambiguïté. Là voilà qui se retrouve alors face à un choix qu’elle avait jusque-là toujours évité d’affronter : au delà de la douleur de son deuil, elle continue de vivre, assumant la charge de la gestion de la boutique remplie de souvenirs, mais en ayant décidé de laisser volontairement de côté toute une partie d’elle-même. Mais est-ce vraiment une vie ? L’arrivée de Hazuki chamboule tout.
En apparence, on a là un jeune gars un peu mou, vide, avec un regard de poisson mort, du genre à rester planqué dans ses sentiments à sens unique sans jamais aller plus loin. Mais il n’est en fait pas comme ça : déterminé, amoureux, il veut faire partie de la vie de la chef, comme il l’appelle, et ne peut se résoudre à la voir se morfondre dans une vie terne constamment tournée vers le passé et les souvenirs de son défunt mari. Il avance, doucement mais sûrement, se dévoile, prend des risques, ne brusque rien mais comprend qu’il a peut-être une petite chance de combler le vide qu’il ressent dans l’existence de Rokka.
Mais ce serait sans compter avec Shimao : au fil des flash-backs, des souvenirs, le gentil mari qui semblait si indifférent et résigné face à son inévitable destin dévoile des facettes plus complexes. Malade depuis toujours, ayant assidûment fréquenté les hôpitaux, il a toujours dû renoncer à avoir une vie normale, devant se contenter de voir les autres la mener à sa place. Sa rencontre avec Rokka, comme une évidence, lui donne un petite chance de pouvoir un peu en profiter avant de devoir définitivement quitter la scène… enfin, définitivement… pas complètement. A-t-il vraiment accepté tous ces renoncements comme tout le monde semble le croire ? La passion, l’énergie et les couleurs vives qui ressortent de ses compositions florales ne sont-elles justement pas une manière de montrer qu’il ne peut se résigner ?
Le passage de vie à trépas change évidemment un peu la donne et lui permet justement de mieux laisser ressortir ses frustrations face à une perte qu’il ne peut assumer, celle de l’amour de sa femme. Est-ce alors possible de laisser un autre que lui peut-être la rendre heureuse ?
Au travers du destin de ces trois personnages, Kawachi interroge avec subtilité et justesse sur la complexité de l’amour : pas juste ce noble sentiment encensé depuis des siècles, mais aussi ses conséquences, ses à-côtés moins louables, la jalousie, le pouvoir sur l’autre, le ressenti de propriété qui ne peut que s’accompagner de souffrance. Jusqu’à quand parle-t-on d’amour, où commence l’attachement dangereux, l’oubli de l’autre et de ses émotions, l’égoïsme de son propre bonheur ?
Rokka se retrouve ainsi forcée de se confronter à elle-même, à ses peurs d’oubli, de tromperie, de perte définitive de l’autre. Peur aussi de finalement renoncer à ce qu’elle pensait éternel, perdant alors toutes les certitudes d’absolu auxquelles elle se cramponnait pour tenir et survivre.
Le dessin, classique et maîtrisé, parvient à retranscrire ces émotions, cette sensibilité à fleur de peau, l’amour inconditionnel et tendre de Hazuki, celui plus tourmenté de Shimao ou celui presque sacrificiel et résigné de Rokka, qui va devoir assumer que la vie continue, même si son cher mari qu’elle admirait tant n’est plus, et qu’il est illusoire d’espérer pouvoir raisonner son cœur tant qu’il bat encore. Ces trois personnages, qu’on apprend à connaître au fil de leur quotidien, des questions qu’ils se posent, des doutes qui les assaillent, des limites qu’ils atteignent, en deviennent rapidement touchants et attachants, au delà des décisions qu’ils prennent.
Les josei ne sont aujourd’hui plus si courant à paraître, vu leur peu de succès. Pour les amateurs, il serait dommage de louper celui-là, dont les quatre volumes prennent le temps d’explorer, d’interroger, d’émouvoir, d’amuser et d’attendrir.
Belle chronique pour la Saint-Valentin 🙂
Œuvre découverte totalement par hasard pour ma part (jolies couleurs, joli feuillage – d’ailleurs, je serais bien en peine de dire quelle serait ma couverture préférée) et à laquelle je suis attachée.
Il y a certes quelques défauts (narration un peu décousue, quelques passages à plat) mais on les oublie vite au profit de l’histoire toute douce et subtile. Les gens ne rougissent pas quand ils se tiennent la main, et encore heureux, ils ont 30 ans.
Je m’attendais à une réflexion un peu plus poussée sur le deuil mais finalement, le ton est très juste et très bien comme ça. L’histoire d’amour se construit naturellement, entre la veuve dépitée et le nonchalant passif-agressif sur les bords. L’histoire nous transporte réellement hors du temps, le temps de 4 volumes.
Seul bémol selon moi : la traduction. J’ai rarement lu des phrases aussi peu naturelles, voire sibyllines. Peut-être est-elle trop japonaise/japonisante pour moi.