1 février 2023

Severed

Volume unique par Scott Snyder, Scott Tuft et Attila Futaki, éditée en VF par Urban Comics, 185x282mm, 208 pages, 17,50€.

Ma récente plongée dans le monde des comics m’a permis de commencer à reconnaître quelques noms. Parmi ceux-ci revient régulièrement celui de Scott Snyder, déjà chroniqué ici pour American Vampire Legacy. Urban Comics n’en est pas resté là, proposant dans sa collection Indies Severed, one-shot écrit avec son ami Scott Tuft et illustré par Attila Futaki.

severed01Début du XXe siècle, aux États-Unis. Jack Garron, adolescent de 13 ans, apprenti violoniste, mène une vie apparemment heureuse avec sa mère. Mais ayant appris quelque temps auparavant la vérité sur sa naissance, il quitte le foyer familial pour rejoindre son père sur la route…

Severed nous est présenté comme une histoire d’horreur. Mais à trop nous en rajouter des caisses sur la prétendue horreur du titre dans les divers textes de présentation, la lecture risque quelque peu de décevoir. On ne flippe pas à chaque dialogue, on ne stresse pas à l’idée de tourner la page, et si le récit connaît une réelle tension montante, elle est loin de titiller nos nerfs plus que ça.
Je vois plutôt Severed comme une sorte de conte de fées, pas dans le sens Disneyien du terme – pas d’oiseaux qui chantonnent, de jolies princesses en dentelle, de soleil radieux et de happy end marital – mais plutôt dans le sens originel : quête initiatique, conte moral qui indique aux enfants les choses à éviter pour espérer survivre, mise en scène des peurs communes à l’Humanité, en y allant assez franco sur le côté glauque et malsain des diverses rencontres du héros au fil de l’histoire.

Au départ, Jack est le typique gamin idéaliste et naïf, croyant tout savoir, voyant le monde en noir et blanc, sans aucune nuance, ne doutant pas un instant de la réussite de sa noble entreprise, retrouver son paternel pour partager avec lui une vie de bohème au gré des chemins. Son rêve, totalement fantasmé et idéalisé sans sa tête, le mène alors sur la route, dont il n’imagine pas un instant les réels dangers qu’il peut rencontrer. Et s’il ne doit au départ son salut qu’à sa rencontre avec un autre adolescent, nettement plus pragmatique et expérimenté face aux classiques risques qu’un gamin candide peut rencontrer au beau milieu de nulle part face à des types pas très recommandables – ce n’est qu’un fugueur de plus, qui ira s’inquiéter de son sort dans l’Amérique en friche, en pleine construction ? -, ça ne suffira pas. Pas quand on se retrouve face au Mal. Un Mal qui court depuis toujours, traquant les rêves des innocents, pour mieux les transformer en cauchemars.

C’est là qu’on retrouve un autre élément des contes de fées : l’ogre, le croque-mitaine, le monstre sous le lit, celui qui surgit d’on ne sait où, vorace, sans pitié, sans limite. Avec de grandes dents (pour mieux te dévorer, mon enfant…). Jack se retrouve emprisonné dans les filets de ce monstre sans s’en rendre compte, ne voyant toujours en chacun que le meilleur qu’il puisse être. Gamin trop confiant enfermé dans les fantasmes de son rêve, perdant finalement l’innocence et l’insouciance de son enfance pour devenir un adulte, contraint et forcé, pour sa survie.
Ce n’est pas forcément amené très subtilement, puisque l’on connaît les intentions “culinaires” du monstre, dont on ne sait rien d’autre de précis d’ailleurs, sorte de fantasmagorie du Mal absolu, sans âme, sans passé, sans identité, alors que Jack, lui, ne se doute de rien et qu’on voit donc tous les pièges se refermer facilement sur son esprit trop naïf. On n’échappe d’ailleurs pas à certains clichés, où le gamin se croit abandonné et trahi par la seule personne en qui il avait confiance, c’est un peu facile et basique.

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Côté dessin et narration, le trait est maîtrisé et détaillé, nous plongeant dans l’ambiance de cette Amérique début de siècle, notamment grâce à la palette de couleurs, jouant plutôt sur des teintes ternes, et le tout se lit bien, sans temps mort, sans problème de compréhension. Mais j’ai tendance à trouver le style d’Attila Futaki trop rond, trop doux, trop tendre pour le genre et n’apportant pas l’énergie explosive nécessaire dans les scènes d’action pour réellement donner la sensation d’oppression, d’horreur, de stress intense, de panique. Un dessin qui a du mal à convenir à ce type de récit, demandant plus de brut, de texture, d’expressivité, de trash pour prendre le lecteur aux tripes.
Ajoutons là-dessus que faire faire autant de choses à un personnage qui vient de se faire découper le bras, alors qu’il devrait être en train de se vider de son sang, sonné par le traumatisme physique, c’est quand même drôlement balèze (c’est un peu comme ce personnage dans Prometheus qui saute, court, escalade, se bat alors qu’il vient de se faire ouvrir le bide en deux à la sauvage et refermer l’ouverture avec trois agrafes)… C’est peut-être de l’ordre du détail, de la petite facilité scénaristique mais ça fait perdre en crédibilité et en intensité.

Si elle n’est donc pas parfaite sur plusieurs points, Severed reste une œuvre intéressante, plutôt prenante, suivant les premiers pas d’un gamin dans un monde d’adultes qui va l’obliger à grandir pour survivre, quitte à perdre une partie de lui-même. Elle parle de famille, de la recherche de ses origines, d’envie de trouver une place légitime, du combat pour se faire sa propre place, du chagrin de devoir faire son deuil de ses gentils idéaux d’enfant qui explosent face à la réalité d’un monde sans complaisance. Jack pense que tout ce qui le constitue vient de ce qui coule dans ses veines, il finit par découvrir qu’il est ce qu’il choisit d’être, en en assumant les conséquences. Et que le Mal rôde, toujours…

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